(Washington) Joe Biden a fait de la promotion de la démocratie à travers le monde une priorité. Mais depuis son arrivée à la Maison-Blanche, elle a surtout encaissé des revers dans des pays où les États-Unis avaient placé d’importants espoirs.

« On constate une augmentation des attaques contre la démocratie, plutôt qu’une demande croissante de démocratie », dit Derek Mitchell, président du National Democratic Institute, qui défend ce système de gouvernement sur la scène internationale.

« Il est impossible d’empêcher des militaires avec des armes de décréter qu’ils seront mieux que d’autres. Les vieilles habitudes ont la vie dure, particulièrement dans des armées dont les responsables renoncent difficilement au pouvoir et aux privilèges », ajoute celui qui fut le premier ambassadeur des États-Unis en Birmanie au début d’une transition démocratique soutenue avec ferveur par Washington, il y a dix ans.

C’est justement dans ce pays que le président des États-Unis a essuyé son premier coup dur. Douze jours seulement après son investiture, l’armée renversait et arrêtait, le 1er février, Aung San Suu Kyi, longtemps considérée comme une icône de la démocratie.

Depuis, deux autres pays ont douché l’enthousiasme suscité par leurs révolutions censées tourner la page de sombres dictatures : la Tunisie, berceau des « printemps arabes » au début des années 2010, dont le président s’est arrogé les pleins pouvoirs ; et, depuis lundi, le Soudan, où les militaires ont renversé le gouvernement civil trois heures seulement après le départ d’un émissaire américain venu tenter de les réconcilier.

« Sommet pour la démocratie »

Des juntes militaires ont aussi pris le pouvoir en Guinée, au Mali et au Tchad, tandis qu’en Afghanistan, les talibans, ennemis jurés des États-Unis, sont devenus les nouveaux maîtres de Kaboul à la faveur du retrait des forces américaines et de l’effondrement du gouvernement que Washington soutenait à coups de milliards depuis vingt ans.

Le porte-parole de la diplomatie américaine, Ned Price, a reconnu des « revers dans certains pays », mais promis que l’Amérique continuerait à « mener le combat » démocratique.

C’est l’objet d’un sommet virtuel « pour la démocratie » organisé les 9 et 10 décembre par Joe Biden.

Il s’agit pour lui de démontrer que les démocraties peuvent remporter la bataille des valeurs et de l’efficacité face aux « autocraties », Chine en tête.

Pour le démocrate, ce combat est aussi une manière de marquer la rupture avec son prédécesseur républicain Donald Trump, qui n’avait pas hésité à flirter avec des dirigeants autoritaires et ne cesse de remettre en cause, sans preuves, sa défaite à la présidentielle de 2020.

À part pour l’Afghanistan, où le retrait américain, confirmé par Joe Biden, a joué un rôle, les maux des démocraties ne sont pas directement reprochés au président des États-Unis.

« Il faut des décennies pour consolider une démocratie, et des années pour l’éroder. Donc je pense qu’aucun gouvernement ne peut vraiment faire grand-chose de concret au cours de ses neuf premiers mois », estime Frances Brown, qui a travaillé sur ces sujets à la Maison-Blanche lorsque Barack Obama était président.

« Pas à la hauteur »

D’autant que l’administration Biden a réagi très rapidement face aux coups d’État en Birmanie et au Soudan, en coupant l’aide américaine – « ça ne résout pas tout comme par magie, mais ça compte », car « cela montre que l’Amérique n’est pas indifférente », affirme-t-elle.

Le président américain a aussi pris quelques distances avec des alliés, même si les défenseurs des droits humains déplorent leur timidité : il a stoppé des ventes d’armes à l’Arabie saoudite et conditionné une partie de l’aide à l’Égypte au respect de l’État de droit.

Selon un index de l’hebdomadaire britannique The Economist, l’état global de la démocratie était en 2020 au plus bas depuis le début de cette enquête en 2006, en raison de la multiplication de putschs, mais aussi de la montée des populismes.

Jonathan Powell, de l’université de Floride centrale, voit dans les difficultés économiques exacerbées par la pandémie une des raisons communes de cette dégradation.

« Quand des pays sont déjà confrontés à un équilibre très précaire entre autoritarisme et maintien d’une certaine stabilité démocratique, tout choc systémique » peut « vraiment avoir des conséquences importantes », analyse-t-il.

L’émergence de la Chine comme puissance susceptible de soutenir des régimes auxquels l’Occident tournerait le dos est à ses yeux un autre facteur possible.

D’autant que le blason du modèle américain est lui-même terni par les divisions extrêmes de sa classe politique qui ralentissent tout élan réformateur et l’irruption de la violence, à l’instar de l’attaque de manifestants contre le Congrès, le 6 janvier, pour contester les résultats de la présidentielle.

« Ceux qui se battent pour leurs propres droits démocratiques ne vont sûrement pas abandonner seulement parce que les États-Unis ne sont pas à la hauteur », estime l’ex-ambassadeur Derek Mitchell. « Mais il serait préférable que les États-Unis fassent la démonstration de l’efficacité d’une démocratie. »