(New York) L’heure est aux scénarios politiques d’épouvante aux États-Unis.

Fin septembre, l’intellectuel néoconservateur Robert Kagan a flanqué la frousse aux lecteurs du Washington Post. Dans une tribune exhaustive, il a expliqué pourquoi son pays se dirigeait lentement mais assurément vers « la plus grande crise politique et constitutionnelle depuis la guerre de Sécession ».

Début octobre, le comédien Bill Maher a repris l’essentiel de cette thèse sur HBO dans un topo viral intitulé Coup d’État au ralenti. Le tout prenait fin sur le retour de Donald Trump à la Maison-Blanche en 2024, peu importe les résultats de la prochaine élection présidentielle.

Les deux hommes fondent leur argumentaire sur les efforts tous azimuts de l’ancien président pour renverser l’élection présidentielle de 2020, de même que sur les retombées de son « grand mensonge ». Retombées qui incluent l’adoption de nouvelles lois électorales dans plusieurs États et l’émergence de responsables et d’électeurs républicains prêts à rejeter le verdict des urnes.

Mais la plupart des prophètes de malheur semblent tenir pour acquis que les élections de mi-mandat, prévues en novembre 2022, produiront des résultats normaux. Bill Maher, par exemple, voit le républicain Kevin McCarthy remplacer la démocrate Nancy Pelosi à la tête de la Chambre des représentants après la conquête de la majorité des sièges de cette assemblée par son parti.

Un tel scénario est banal : le parti qui n’est pas au pouvoir à la Maison-Blanche a l’habitude de connaître du succès aux élections de mi-mandat. Mais cette banalité ne correspond pas à l’air du temps, qui est vicié.

Preet Bharara, ancien procureur des États-Unis pour le district sud de New York et animateur d’une balado populaire, y est allé d’une prédiction beaucoup plus audacieuse la semaine dernière : Donald Trump assouvira son besoin insatiable d’attention et de vengeance en ravissant à Nancy Pelosi son marteau de présidente de la Chambre.

« C’est très intéressant »

« Il n’y a rien dans la loi ou la Constitution qui empêche Donald Trump de devenir le prochain président de la Chambre, a-t-il déclaré. Les gens peuvent penser que c’est inhabituel, que c’est fou. Je ne pense pas que c’est plus fou que l’idée en 2014 de la victoire de Donald Trump à la présidence en 2016. »

Il faut tout de suite préciser que ce scénario a d’abord été soulevé le printemps dernier par Steve Bannon, ex-conseiller de Donald Trump. L’ex-président a par la suite été interrogé à deux reprises sur le sujet.

PHOTO STEVE HELBER, ASSOCIATED PRESS

Le stratège politique Steve Bannon, ex-conseiller de Donald Trump

« C’est très intéressant », a-t-il répondu à l’animateur de radio d’extrême droite Wayne Allyn Root, en juin dernier.

Après avoir précisé que d’autres personnes lui avaient suggéré de se présenter au Sénat, il a ajouté : « Mais vous savez quoi, votre idée pourrait être meilleure. »

Quelques semaines plus tard, Donald Trump s’est montré plus circonspect sur cette question lors d’une interview accordée à David Brody, animateur d’une chaîne de télévision chrétienne. Cependant, il n’a pas encore écarté cette possibilité qui fait rêver plusieurs de ses alliés et électeurs.

« Pouvez-vous imaginer que Nancy Pelosi doive remettre ce marteau à Donald J. Trump ? », a demandé fin août le représentant républicain de Floride Matt Gaetz devant des électeurs d’Iowa enthousiasmés par cette idée.

Au moins un représentant démocrate a voulu s’assurer qu’un tel scénario ne se produise jamais. Élu dans une circonscription de Pennsylvanie, Brendan Boyle a déposé en juillet dernier un projet de loi rendant inéligible au poste de président de la Chambre toute personne n’y ayant pas été élue.

« Le président de la Chambre est le deuxième dans la ligne de succession présidentielle des États-Unis. Le fait que le nom de Donald Trump soit même évoqué comme un président potentiel de la Chambre des représentants devrait servir de sonnette d’alarme et indiquer que nos exigences actuelles doivent être modifiées au nom de la protection de notre nation et de notre démocratie », a-t-il déclaré.

Un rêve ou un cauchemar ?

Nancy Pelosi n’a pas donné suite au dépôt de ce projet de loi destiné à prévenir un scénario encore inédit aux États-Unis.

Elle ne veut peut-être pas attirer l’attention sur le fait que des représentants de son propre parti ont déjà voulu la remplacer par des personnalités politiques qui n’étaient pas des membres élus de la Chambre. En janvier 2019, par exemple, deux représentants démocrates ont appuyé la sénatrice d’Illinois Tammy Duckworth pour le poste de président de la Chambre. Un autre a préféré Joe Biden, qui n’avait pas encore annoncé sa candidature à la présidence. Et un autre encore a opté pour la militante de Géorgie Stacey Abrams.

Certes, le scénario du remplacement de Nancy Pelosi par Donald Trump peut sembler plus farfelu que troublant. Mais Preet Bharara n’est pas le seul à se rappeler que l’ancien président a d’abord fait rire avant d’être élu à la Maison-Blanche.

Sans doute consciente de ce précédent, la très sérieuse chaîne NPR a elle-même consacré la semaine dernière un topo à ce scénario qui « pourrait être un rêve ou un cauchemar pour chaque parti ». Pour que celui-ci devienne réalité, il ne faudrait qu’un vote de l’éventuelle majorité républicaine de la Chambre en faveur de l’élection de Donald Trump en remplacement de Nancy Pelosi.

« C’est une occasion de performance médiatique dont Trump se délecterait », a commenté la journaliste de NPR Mara Liasson en évoquant notamment la présence de Donald Trump dans le fauteuil occupé par le président de la Chambre à l’occasion du discours de Joe Biden sur l’état de l’Union en 2023.

Or, cette occasion d’attirer sur lui les feux des projecteurs se transformerait en véritable scénario d’épouvante si Donald Trump suivait les suggestions que lui a faites l’animateur de radio Wayne Allyn Root, en juin dernier.

« Vous devenez le président de la Chambre, vous menez la mise en accusation de Biden et vous lancez des enquêtes criminelles contre Biden. Vous les anéantirez pour ses deux dernières années, et ensuite vous serez président. Faites-le ! »