(New York) Le premier bulletin de vote n’avait même pas été dépouillé. En fait, les 22 millions d’électeurs de la Californie avaient encore jusqu’à 20 h, mardi, pour décider s’ils voulaient virer ou non le gouverneur démocrate Gavin Newsom à la faveur d’un référendum.

Qu’à cela ne tienne : le 45e président des États-Unis criait déjà à la fraude électorale, allégation infondée à laquelle faisait écho le candidat républicain le plus susceptible de remplacer le gouverneur.

« Quelqu’un croit-il vraiment que la procédure de révocation en Californie ne soit pas truquée ? », a demandé Donald Trump dans une déclaration diffusée lundi. « Des millions et des millions de bulletins de vote par correspondance feront de cette élection une autre escroquerie, pas différente […] de l’escroquerie de l’élection présidentielle de 2020. »

De son côté, l’animateur de radio ultraconservateur Larry Elder, en tête des 46 candidats en lice pour remplacer le gouverneur Newsom, a invité ses partisans à signer sur son site de campagne une pétition réclamant une enquête sur les résultats « tordus » du scrutin.

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Le candidat républicain Larry Elder

Ni Donald Trump ni Larry Elder n’a présenté la moindre preuve appuyant ces allégations. Cependant, les deux hommes ont dû voir les derniers sondages de la campagne, qui donnaient à Gavin Newsom une excellente chance de survivre à la grogne suscitée par sa gestion de la pandémie.

Ils pouvaient donc s’attendre à ce que le dépouillement des suffrages confirme ces sondages, ce qui s’est produit. Moins de 45 minutes après la fermeture des bureaux de vote, les médias ont commencé à projeter la victoire nette du gouverneur Newsom et du camp opposé à sa destitution. Après le dépouillement de 61 % des voix, le « non » revendiquait 67,5 % des suffrages contre 32,5 % pour l’adversaire.

Les Trump, Elder et compagnie auront donc choisi de formuler leurs fausses allégations avant même de prendre la mesure de leur cinglante défaite. Une attitude qui a troublé bon nombre d’observateurs, et pas seulement en Californie.

Digne des « dictatures »

« C’est une pratique étrange et dangereuse pour les candidats d’alléguer qu’il y a fraude afin de justifier leurs défaites », a commenté Barry Burden, politologue à l’Université du Wisconsin à Madison. « Les candidats du camp républicain sont de plus en plus susceptibles d’affirmer que la fraude est la raison de leurs défaites, souvent sans véritable preuve d’actes répréhensibles. »

Si ce phénomène n’est pas tout à fait nouveau, le référendum de Californie a illustré la nouvelle tangente qu’il a prise depuis l’arrivée de Donald Trump sur la scène politique, selon le professeur Burden.

« Bien que de telles allégations aient parfois été formulées dans le passé après la conclusion d’une élection, les candidats commencent maintenant à suivre l’approche de Trump en soutenant avant l’élection que la fraude est la seule explication possible de leurs défaites à venir. Ces allégations ne sont pas fondées sur des faits et ont pour effet secondaire malheureux de diminuer plutôt que d’augmenter la confiance des électeurs. »

Robert Shapiro, politologue à l’Université Columbia de New York, porte un jugement encore plus sévère.

C’est un problème très grave qui mine la démocratie américaine. Il a été lancé par Trump, qui a porté le mensonge et la manipulation politique par la désinformation à des excès sans précédent. C’est ce que l’on attend d’un gouvernement autoritaire et des dictatures.

Robert Shapiro, politologue à l’Université Columbia de New York

La procédure de révocation visant Gavin Newsom était l’aboutissement d’une campagne lancée l’an dernier par des stratèges et des donateurs républicains. Ceux-ci ont tablé sur le mécontentement d’une bonne partie du public californien à l’égard de la gestion de la pandémie de COVID-19 dans l’État. Mécontentement que le gouverneur démocrate a alimenté en bafouant lui-même certaines des mesures restrictives qu’il avait imposées.

Après la récolte d’un nombre suffisant de signatures – un peu moins de 1,5 million –, un scrutin a été fixé au 14 septembre. Son coût a été évalué à près de 280 millions de dollars pour l’État.

Le vent tourne

Les électeurs étaient appelés à répondre à deux questions. La première : le gouverneur Newsom doit-il être démis de ses fonctions, oui ou non ? La deuxième : si oui, par qui doit-il être remplacé ?

La deuxième question ne devait être prise en considération que si le « oui » récoltait 50 % des voix.

Il y a un peu plus d’un mois, les deux options étaient à égalité, selon la moyenne des sondages compilée par le site FiveThirtyEight. Gavin Newsom risquait donc de devenir le deuxième gouverneur de Californie à succomber à une telle procédure après le démocrate Gray Davis, qui avait été remplacé par l’acteur Arnold Schwarzenegger en 2003.

Mais le vent a commencé à tourner en sa faveur quand le dernier des républicains à annoncer sa candidature, Larry Elder, a pris la tête des remplaçants possibles. Dès lors, Gavin Newsom a pu mobiliser les démocrates, deux fois plus nombreux que les républicains en Californie, en mettant l’accent sur les positions controversées de l’animateur de radio afro-américain. Climatosceptique assumé, ce dernier est notamment opposé à l’avortement, au contrôle des armes à feu, au salaire minimum et à la plupart des mesures restrictives pour lutter contre la COVID-19, dont le port du masque ou la vaccination obligatoire.

Lundi soir, le gouverneur démocrate a également reçu l’aide de Joe Biden, qui a fait campagne à ses côtés et comparé Larry Elder à Donald Trump.

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Le président des États-Unis, Joe Biden (à gauche), et le gouverneur Gavin Newsom lors d’un évènement visant à encourager les Californiens de voter contre la destitution de leur gouverneur (Vote No), lundi.

« Il est le clone de Donald Trump », a déclaré Joe Biden lors d’un discours à Long Beach. « Pouvez-vous imaginer qu’il soit gouverneur de cet État ? Vous ne pouvez pas laisser cela se produire. »

Pendant ce temps, on pouvait lire sur un site lié à la campagne de Larry Elder un texte expliquant que Gavin Newsom avait déjà gagné grâce à une « fraude » détectée par des analyses statistiques « utilisées pour détecter les fraudes lors d’élections organisées dans des pays du tiers-monde (comme la Russie, le Venezuela et l’Iran) ».

Ne manquerait plus maintenant que Rudy Giuliani s’en mêle.