(Washington) La Cour suprême des États-Unis a porté jeudi le coup le plus sévère au droit à l’avortement en près d’un demi-siècle, en refusant de bloquer une loi du Texas qui interdit la majorité des interruptions de grossesse, même en cas d’inceste ou de viol.

Joe Biden a fustigé « une attaque sans précédent pour les droits constitutionnels des femmes ». La décision de la haute juridiction « provoque un chaos inconstitutionnel » et « insulte l’État de droit », a ajouté le président démocrate dans un communiqué au vitriol.

La Cour suprême, qui a reconnu en 1973 le droit à avorter pour toutes les Américaines dans son arrêt emblématique « Roe v. Wade », avait été saisie en urgence par des associations de planification familiale pour empêcher l’entrée en vigueur, mercredi, de cette loi très restrictive.

PHOTO SERGIO FLORES, ARCHIVES AGENCE FRANCE-PRESSE

Une manifestation antiavortement devant le capitole de l’État du Texas, le 29 mai 2021, à Austin. La loi interdit d’interrompre toute grossesse une fois que les battements de cœur de l’embryon sont détectés, soit environ six semaines après les dernières règles, alors que la plupart des femmes ne savent même pas qu’elles sont enceintes.

Sans se prononcer sur le fond, elle a finalement décidé, pour des raisons de procédures, de laisser la loi en place tant que la bataille judiciaire se poursuit.

La décision a été prise par cinq magistrats sur neuf, dont trois ont été choisis par Donald Trump. Elle représente un succès de taille pour l’ancien président républicain et ses alliés conservateurs, qui jubilaient jeudi.

C’est « une victoire retentissante pour les pro-vie ! » a déclaré via Twitter le vice-gouverneur du Texas, le républicain Dan Patrick.  

« Nous espérons désormais reproduire ce succès dans tout le pays », a ajouté l’association Texas Right to Life.

La perspective que plusieurs États « imitent » le Texas « inquiète » la Maison-Blanche, a reconnu sa porte-parole Jen Psaki, alors que le président du Sénat de Floride faisait savoir qu’il « travaillait déjà » en ce sens.

« Dévastées »

Au Texas, les défenseurs du droit à l’avortement affichaient un profond désarroi. « Nous sommes dévastés. Nos patientes sont effrayées, confuses et cherchent désespérément à comprendre où elles pourront avorter », a expliqué Amy Hagstrom Miller, la directrice de Whole Woman’s Health qui gère quatre cliniques dans l’État.  

« Dire que nous sommes bouleversés est un euphémisme, mais […] nous allons continuer à nous battre », a ajouté Fund Texas Choice sur Twitter.

La nouvelle loi interdit d’avorter une fois que les battements de cœur de l’embryon sont détectés, soit à environ six semaines de grossesse, quand la plupart des femmes ignorent être enceintes. Une seule exemption est prévue : en cas d’urgence médicale.

Plus de 85 % des avortements pratiqués jusqu’ici au Texas avaient lieu après cette date, selon les acteurs du secteur qui, depuis mercredi, essaient d’orienter les femmes vers les États voisins.

Ils craignent toutefois que les plus défavorisées, notamment dans les communautés noires ou latinos, ne puissent se payer le voyage, et aient recours à des moyens dangereux.  

« Nous ne laisserons pas le pays en revenir aux avortements clandestins », a promis la vice-présidente Kamala Harris, alors que Joe Biden a ordonné à son gouvernement de trouver les moyens d’aider ces femmes.

« La tête dans le sable »

Avant le Texas, douze États ont adopté des lois dites « du battement de cœur », mais toutes ont été invalidées en justice, parce qu’elles violent la jurisprudence de la Cour suprême qui a garanti le droit à avorter tant que le fœtus n’est pas viable, soit vers 22 semaines de grossesse.

Mais le vaste État du Sud a formulé sa loi différemment : il ne revient pas aux autorités de faire respecter la mesure, mais « exclusivement » aux citoyens, encouragés à porter plainte au civil contre les organisations ou les personnes qui aideraient les femmes à avorter.  

Le texte prévoit que ces plaignants perçoivent au moins 10 000 dollars de « dédommagement » en cas de condamnation, une « prime à la délation », selon ses détracteurs.  

La Cour suprême a mentionné ce dispositif inédit, qui pose « des questions de procédure complexes et nouvelles », pour justifier son choix de ne pas intervenir.

Pour son chef, le conservateur John Roberts, il aurait malgré tout fallu bloquer cette loi « sans précédent », en attendant un examen de fond.  

Plus directe, la magistrate progressiste Sonia Sotomayor a reproché à ses collègues « de se mettre la tête dans le sable » face à une loi « imaginée pour […] échapper à un examen en justice ».

Réformes de la Cour

Ce premier test pour la nouvelle Cour suprême sera bientôt suivi d’un autre : elle doit examiner à l’automne une loi du Mississippi qui interdit les avortements après 15 semaines de grossesse et pourrait en profiter pour revenir sur son critère de « viabilité ».

Sans attendre, plusieurs voix démocrates ont jugé, à l’instar de la cheffe de la Chambre des représentants Nancy Pelosi, « nécessaire d’inscrire Roe v. Wade dans la loi » fédérale.

D’autres ont suggéré une réforme de la Cour suprême, qui pourrait inclure une augmentation du nombre de juges pour diluer l’influence des conservateurs.