(New York) Il assimile l’avortement à un meurtre. Il juge futiles les efforts pour combattre le réchauffement de la planète. Il s’oppose au contrôle des armes à feu et au concept même du salaire minimum.

Ses critiques le qualifient d’« extrémiste » ou de « rétrograde », alors que ses admirateurs le décrient comme une « bouffée d’air frais ». Le 14 septembre, Larry Elder, vétéran de la radio parlée et maître de la provocation, pourrait être appelé à remplacer le démocrate Gavin Newsom à titre de gouverneur de la Californie.

PHOTO SANTIAGO MEJIA, ARCHIVES ASSOCIATED PRESS

Gavin Newsom, gouverneur de la Californie

Les électeurs du plus populeux des États américains ont jusqu’à ce jour-là pour répondre à deux questions dans le cadre d’une procédure de destitution. La première est ainsi libellée : « GAVIN NEWSOM doit-il être démis de ses fonctions de gouverneur ? »

La deuxième invite les électeurs à choisir parmi une liste de 46 candidats, démocrates ou républicains, celui ou celle qu’ils préfèrent pour remplacer le gouverneur Newsom s’il est démis.

Le résultat de la première question est imprévisible. Selon une moyenne de sondages réalisée par le site de référence FiveThirtyEight, 48,8 % des électeurs californiens sont opposés à la destitution de leur gouverneur, alors que 47,6 % y sont favorables.

C’est moins serré en ce qui concerne le remplaçant éventuel du gouverneur. Selon la moyenne des sondages de FiveThirtyEight, Larry Elder possède une avance de 10,2 points de pourcentage sur son plus proche rival, Kevin Paffrath, un démocrate de 29 ans qui s’est d’abord fait connaître comme youtubeur féru d’immobilier et de finance.

Mais l’animateur de radio occupe le premier rang des sondages avec seulement 19,3 % des intentions de vote, selon FiveThirtyEight. C’est donc dire qu’une fraction seulement de l’électorat pourrait élever au poste de gouverneur cet homme de 69 ans qui a déjà fait la promotion sur son site web d’un livre des années 1950 intitulé Comment être une bonne épouse.

Un des conseils : « Ne vous plaignez pas. »

Le précédent de 2003

Mais comment la Californie en est-elle arrivée là ? Il faut d’abord rappeler qu’elle est déjà passée par là. Le 7 octobre 2003, 55,4 % des électeurs de l’État ont démis pour la première fois un gouverneur, en l’occurrence le démocrate Gray Davis, bouc émissaire d’une crise énergétique marquée par des hausses de tarifs et des pannes d’électricité.

Ayant fait campagne sous la bannière républicaine, son futur remplaçant, l’acteur Arnold Schwarzenegger, a récolté ce jour-là 48,6 % des voix, contre 31,5 % pour son plus proche rival, le démocrate Cruz Bustamente.

Dix-huit ans plus tard, c’est une crise sanitaire qui pourrait avoir raison de Gavin Newsom. Des militants, stratèges et donateurs républicains ont profité de la grogne suscitée par les mesures restrictives de lutte contre la COVID-19 pour lancer une pétition réclamant une procédure de destitution contre le gouverneur.

Pour atteindre leur objectif, ils devaient recueillir au moins 1,5 million de signatures valides, soit 12 % des électeurs ayant participé à la plus récente élection au poste de gouverneur (en 2018). Ils ont eu droit à deux coups de pouce importants.

Tenant compte de la pandémie, un juge leur a d’abord donné 120 jours supplémentaires pour obtenir les signatures nécessaires. Puis, Gavin Newsom leur a fait une faveur inestimable en bafouant ses propres mesures concernant les rassemblements et le port du masque. Le 6 novembre dernier, il a célébré en compagnie d’une douzaine de personnes le 50e anniversaire de naissance d’un lobbyiste avec qui il est ami.

Et il l’a fait au French Laundry, le plus chic et couru des restaurants de Californie, où un repas peut coûter 450 $ par personne. Pire encore : parmi les convives se trouvaient deux hauts responsables de la California Medical Association, une organisation qui regroupe médecins et chercheurs de l’État.

Après la diffusion de photos de la soirée, Gavin Newsom s’est excusé, mais l’épisode a placé en orbite la campagne pour sa destitution.

« Le sage de South Central »

« Gavin Newsom devrait être nerveux. Je vais prendre son poste. Il faut qu’il tombe. La criminalité, les sans-abri, le coût de la vie scandaleux, la taxe sur l’essence, la façon dont il a fermé le gouvernement tout en ignorant les restrictions mêmes qu’il a imposées, au French Laundry avec le lobbyiste qui a rédigé les restrictions… »

Le 12 juillet dernier, soit quatre jours avant la date limite de dépôt des candidatures, Larry Elder a tenu ces propos lors du lancement de sa campagne pour le poste de gouverneur de Californie.

Il s’agissait d’une décision inattendue de la part de celui qui se présente comme « le sage de South Central », référence au quartier de Los Angeles où il a vu le jour. Mais cet Afro-Américain est rarement là où on l’attend. Issu d’un milieu pauvre, il a fréquenté la prestigieuse Université Brown avant de faire son droit à l’Université du Michigan.

Habitué de la Playboy Mansion, il se vante aujourd’hui d’avoir initié le rappeur Snoop Dogg à la marijuana. Promoteur de la réélection de Donald Trump en 2020, il se décrit comme un libertarien. D’où son opposition aux mesures imposant le port du masque ou la vaccination.

Dans une certaine mesure, son entrée dans la course fait l’affaire de Gavin Newsom. Comme l’ont fait les médias ces dernières semaines, le gouverneur rappelle les positions les plus controversées de l’animateur de radio pour inciter les démocrates et les indépendants à voter contre sa destitution.

Il n’insiste pas seulement sur les commentaires sexistes qui ont jalonné la carrière de Larry Elder. Il l’accuse aussi de « propager des théories du complot meurtrières » qui le mèneraient à adopter des politiques semblables à celles ayant contribué à la résurgence des contaminations au Texas et en Floride.

« Quel est l’enjeu du scrutin du 14 septembre ? C’est une question de vie ou de mort », dit le narrateur d’une pub récente de Gavin Newsom.

L’ironie n’échappe à personne : la crise sanitaire qui a contribué à la procédure de destitution dont le gouverneur de Californie fait l’objet pourrait également être sa bouée de sauvetage.