(New York) Ces derniers mois, Andrew Cuomo a dû penser au moins une fois à un autre natif de Queens, son district natal. Élu à la Maison-Blanche en 2016, ce concitoyen a survécu à de multiples allégations d’inconduites sexuelles et à deux mises en accusation au Congrès des États-Unis.

Et cette semaine, l’exemple de Donald Trump a probablement pesé sur la décision du gouverneur démocrate de New York d’ignorer les appels à la démission des ténors de son parti, y compris Joe Biden, à la suite de la publication d’un rapport accablant sur les allégations de harcèlement sexuel le visant.

« C’est l’une des choses de l’après-Trump que nous allons voir de plus en plus souvent », estime Craig Burnett, politologue à l’Université Hofstra, à Long Island. « Les politiciens impliqués dans ce que nous considérions comme un scandale devant mettre fin à leur carrière ont un mode d’emploi pour essayer de tenir bon et de voir ce qui leur peut arriver de pire. »

PHOTO TED SHAFFREY, ARCHIVES ASSOCIATED PRESS

Letitia James, procureure générale de l’État de New York

Présenté mardi par la procureure générale de l’État de New York, Letitia James, le rapport de 165 pages corrobore les allégations de 11 employées et ex-employées de l’État et accuse Andrew Cuomo de les avoir harcelées sexuellement, en violation des lois fédérales et de l’État. Dans certains cas, le gouverneur de 63 ans, fils de l’ancien gouverneur de l’État Mario Cuomo, se voit reprocher d’avoir touché les parties intimes de ses accusatrices sans leur consentement.

Mais ce refus de démissionner ne s’explique pas seulement par l’exemple du 45président, selon Craig Burnett.

« Andrew Cuomo aime vraiment être gouverneur, il aime être en contrôle, il aime le pouvoir », dit le politologue.

Il a beaucoup à perdre dans cette affaire : son héritage politique et celui de sa famille.

Craig Burnett, politologue à l’Université Hofstra, à Long Island

« Les enjeux sont vraiment élevés. Il possède aussi cette forme d’acharnement que l’on retrouve chez certains politiciens. Il pense qu’il peut survivre, même aujourd’hui », poursuit M. Burnett.

Démission ou destitution ?

Demain, c’est moins sûr.

En attendant, le président de la commission judiciaire de l’Assemblée de l’État de New York a annoncé la fin imminente d’une enquête en destitution lancée en mars dernier contre Andrew Cuomo. Il a donné jusqu’à vendredi prochain au gouverneur et à son équipe juridique pour soumettre toute preuve dans la défense du politicien élu à son poste actuel pour la première fois en 2010. « Nous coopérerons », a indiqué jeudi un porte-parole du gouverneur.

L’enquête de la commission judiciaire ne porte pas seulement sur les allégations de harcèlement sexuel formulées à l’encontre d’Andrew Cuomo. Elle s’intéresse aussi à trois autres dossiers ayant miné la réputation du gouverneur, qui était celle d’un héros national et international alors que la pandémie de COVID-19 était à son comble dans l’État de New York.

L’un d’eux concerne sa gestion de cette pandémie dans les établissements pour personnes âgées de l’État (il est accusé d’avoir caché le nombre exact de morts liées à la COVID-19). Un autre découle de la publication d’un livre sur sa gestion de cette même crise sanitaire qui lui a rapporté au moins 5 millions de dollars (et qui aurait été écrit par des adjoints aux frais de l’État).

Or, de nombreux démocrates de la Chambre basse de l’État, où ils sont majoritaires, veulent simplifier l’affaire. Ils ont donc plaidé mercredi pour la rédaction rapide d’articles de mise en accusation portant uniquement sur les allégations de harcèlement sexuel, suivie d’un vote en séance plénière d’ici 7 à 10 jours.

La mise en accusation d’Andrew Cuomo nécessiterait un vote à majorité simple. Elle serait suivie par un procès devant le Sénat, où les démocrates sont également majoritaires, et les sept juges de la Cour d’appel de New York. Or, la destitution requiert un vote au deux tiers des voix.

« S’il ne démissionne pas, il sera mis en accusation et destitué », prédit Craig Burnett, de l’Université Hofstra. « Je pense qu’il y aura un moment où les gens lui diront : “Écoute, cela va se produire. Soit tu pars tranquillement et tu sauves peut-être un peu la face, soit tu laisses toutes ces choses désagréables traîner devant le public pendant des mois.” »

Des enquêtes criminelles

Andrew Cuomo a déjà entendu ce message de la bouche de ses alliés politiques les plus fidèles de l’État de New York, dont certains l’avaient défendu bec et ongles après les premières allégations de harcèlement sexuel publiées dans les médias en février dernier. Jay Jacobs, président du Parti démocrate de l’État de New York, est l’un d’eux.

« Le gouverneur a perdu sa capacité à gouverner, tant sur le plan pratique que sur le plan moral », a-t-il dit mercredi dans un communiqué où il a qualifié d’« inévitable » la démission ou la destitution du gouverneur.

Mais Andrew Cuomo ne doit pas seulement s’inquiéter de son avenir politique. Depuis mardi, les procureurs de cinq comtés new-yorkais – Manhattan, Albany, Westchester, Nassau et Oswego – ont annoncé qu’ils avaient ouvert des enquêtes criminelles sur les actes reprochés au gouverneur.

Au moins une de ses accusatrices a par ailleurs intenté une poursuite civile contre lui. Il s’agit de Lindsey Boylan, ex-adjointe qui a accusé Andrew Cuomo de gestes déplacés, dont un baiser sur la bouche sans son consentement, et de commentaires déplacés. Le rapport de la procureure générale de New York révèle que Boylan a fait l’objet d’une campagne orchestrée par l’entourage du gouverneur visant à la discréditer dans les médias après qu’elle eut formulé ses premières allégations. Elle n’est pas la seule à avoir subi un tel traitement.

Comme d’autres observateurs, Craig Burnett croit qu’Andrew Cuomo tentera de gagner du temps pour éviter d’avoir à démissionner avant la fin de son mandat, le 1er janvier 2023. Il croit qu’il échouera. Mais certains n’en sont pas convaincus.

« Si quelqu’un peut conserver son emploi, son amour-propre et son esprit après avoir été accusé d’avoir touché, tripoté, intimidé – ou une combinaison des trois – 11 femmes sans leur consentement, c’est Andrew Cuomo », estime Andrea Peyser, chroniqueuse au New York Post. Donald Trump est peut-être du même avis.