(New York) De Gloria Steinem à Shirley Chisholm en passant par Bella Abzug, New York a donné aux États-Unis quelques-unes des figures les plus importantes du mouvement féministe. Mais la métropole américaine est toujours en quête d’une première mairesse, après 109 hommes à sa tête depuis sa fondation, dont 108 Blancs.

Judy Sheridan-Gonzalez fait partie des New-Yorkaises que cette suite ininterrompue ne surprend pas.

« Ce pays parle d’une façon, mais marche d’une autre façon », dit la présidente de l’Association des infirmières de l’État de New York.

Et il en va de même pour la Grosse Pomme, selon elle.

« Nous disons que c’est une ville progressiste, mais je ne suis pas sûre qu’elle le soit à ce point », dit-elle sous une pluie fine à l’extérieur du Centre hospitalier Montefiore, dans le Bronx, où elle travaille et où Maya Wiley, candidate à la primaire démocrate pour la mairie de New York, vient de tenir une conférence de presse.

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Maya Wiley (à droite) en campagne devant un hôpital pédiatrique de New York le 20 mai dernier

Néanmoins, Judy Sheridan-Gonzalez nourrit l’espoir que New York élise enfin une mairesse. Après tout, son organisation a donné son appui à l’avocate et militante des droits civiques, qui a choisi un des endroits les plus touchés par la COVID-19 pour présenter un plan destiné à étendre la couverture médicale à des centaines de milliers de New-Yorkais, y compris les clandestins.

« Nous croyons en la diversité, mais ce n’est pas le seul facteur, dit l’infirmière. Nous avons la chance d’avoir en Maya Wiley une candidate issue d’une race et d’un sexe qui ont été marginalisés, mais qui est aussi une vraie progressiste. »

Un choix crucial

Le 22 juin, les démocrates de New York seront appelés aux urnes pour choisir celui ou celle qui représentera leur parti à l’occasion de l’élection à la mairie en novembre prochain. Compte tenu de la faiblesse des candidats républicains en lice, ils éliront ni plus ni moins, ce jour-là, le successeur du maire démocrate Bill de Blasio, qui ne peut solliciter un troisième mandat.

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Le maire sortant Bill de Blasio

Le choix des démocrates est crucial. Il survient à un moment où l’avenir de New York est en jeu. Non seulement l’économie de la ville doit-elle être relancée après une pandémie dévastatrice, mais la sécurité des citoyens, perturbée par une hausse des homicides et des décharges de tirs liée à la prolifération des armes à feu, doit également être rétablie.

Mais ce choix pourrait aussi être historique. Outre Maya Wiley, deux autres candidates briguent la mairie chez les démocrates. L’une d’elles, Kathryn Garcia, a vu sa popularité monter en flèche dans les sondages après avoir reçu l’appui du New York Times et du Daily News, qui ont vanté son travail à la tête d’agences municipales sous les deux dernières administrations.

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Kathryn Garcia, candidate à la primaire démocrate

La candidate de 51 ans a revendiqué un autre soutien révélateur, celui de Liz Abzug, fille de l’icône féministe Bella Abzug, ancienne représentante de New York et première femme à briguer la mairie de New York en 1977.

Il est temps d’avoir quelqu’un [à la mairie] qui a vécu l’expérience, je ne sais pas, d’avoir un bébé, d’être dans la salle de conférence et que vos idées ne soient pas entendues, qui comprend comment faire en sorte que les femmes soient présentes.

Liz Abzug, lors d’un discours dans un parc de Manhattan nommé en l’honneur de sa mère

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Liz Abzug (à gauche), fille de l’icône féministe Bella Abzug, a donné son appui à la candidate Kathryn Garcia

« Totalement sexistes »

Dans un sondage publié lundi dernier, Kathryn Garcia récoltait 15 % des intentions de vote contre 22 % pour le meneur, Eric Adams, président de l’arrondissement de Brooklyn, et 16 % pour Andrew Yang, ancien candidat présidentiel, qui a perdu des appuis. Maya Wiley, 57 ans, occupait le cinquième rang avec 9 % des intentions de vote, soit 1 point de pourcentage de moins que Scott Stringer, contrôleur des finances de New York.

  • Andrew Yang

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    Andrew Yang

  • Eric Adams

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    Eric Adams

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Avant la montée de Kathryn Garcia dans les sondages, Andrew Yang et Eric Adams avaient tous les deux affirmé qu’ils n’hésiteraient pas à l’embaucher comme numéro deux après leur élection à la mairie.

« Je pense qu’elle ferait une partenaire phénoménale dans mon administration. Elle est le genre d’opérateur expérimenté qui peut apporter beaucoup de valeur aux New-Yorkais », a déclaré Andrew Yang, dont l’inexpérience en matière gouvernementale est le talon d’Achille.

Kathryn Garcia a qualifié ce genre de propos de « totalement sexistes ». « Ça donne l’impression qu’ils me font un compliment, mais ce n’est pas le cas », a-t-elle déclaré au magazine The New Yorker.

En s’adressant à ses rivaux complimenteurs, elle a ajouté : « Pour être tout à fait claire : je n’ai pas besoin de vous pour diriger ce gouvernement. »

Christine Quinn, ex-présidente du conseil municipal de New York et candidate malheureuse à la mairie de New York en 2013, a une impression de déjà-vu.

J’aimerais que mon histoire soit unique. C’est pourquoi chaque fois que j’entends Andrew Yang dire que Kathryn Garcia ferait une excellente adjointe ou qu’Eric Adams remet en question les connaissances de Maya Wiley, avocate des droits civiques, sur le maintien de l’ordre, j’ai envie de hurler.

Christine Quinn, dans une tribune

Des soutiens progressistes

Maya Wiley, elle, aimerait que l’histoire de la course à la mairie de 2013 se répète à son avantage. Cette année-là, Bill de Blasio avait créé la surprise en remportant la primaire démocrate pour la mairie de New York après avoir été longtemps à la traîne dans les sondages. Il avait fait le plein de votes chez les Afro-Américains et les progressistes.

Ex-conseillère juridique du maire de Blasio et ex-professeure à la New School de Manhattan, Maya Wiley s’est fait connaître du grand public comme analyste à la chaîne MSNBC. Au cours des derniers jours, elle a profité des déboires de ses deux rivaux les plus progressistes, Scott Stringer et Dianne Morales, pour engranger les soutiens des groupes et personnalités progressistes les plus en vue.

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Alexandria Ocasio-Cortez

« Si nous ne nous unissons pas en tant que mouvement, nous aurons une ville de New York construite par et pour les milliardaires, et nous avons besoin d’une ville par et pour les travailleurs. Donc, nous ferons de Maya notre premier choix », a déclaré la représentante démocrate de New York, Alexandria Ocasio-Cortez, sur les marches extérieures de l’hôtel de ville, samedi dernier.

La question est de savoir si les démocrates de New York voudront d’une candidate aussi marquée à gauche que Maya Wiley. Celle-ci propose notamment de retrancher 1 milliard de dollars du budget de la police pour investir cette somme dans les communautés. Beaucoup plus modérée, Kathryn Garcia met l’accent dans ses publicités récentes sur sa promesse de « retirer les armes [des] rues » et d’« assurer que les petits commerces rouvrent et restent ouverts ».

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Gloria Steinem et la candidate Maya Wiley devant un monument honorant les grandes figures féministes dans Central Park, le 7 mai dernier

L’une d’elles mettra-t-elle fin à la mainmise des hommes sur la mairie de New York ? Gloria Steinem, faut-il préciser, a parié sur Maya Wiley.

Pas un cas unique

New York n’est pas un cas unique. Beaucoup d’autres grandes villes américaines n’ont jamais élu une mairesse. Figurent parmi celles-ci Los Angeles, Detroit, Philadelphie et Boston.

Depuis le 22 mars dernier, Boston est dirigé par une femme, Kim Janey, mais celle-ci a succédé au maire Marty Walsh, actuel secrétaire au Travail au sein de l’administration Biden, en tant que présidente du conseil municipal, comme le veut la charte de la Ville de Boston. Elle tentera d’obtenir un mandat bien à elle en novembre.

Parmi les 1621 maires de villes américaines de 30 000 habitants et plus, 407, ou 25,1 %, sont des femmes, selon le Center for American Women and Politics de l’Université Rutgers. Des femmes ont été élues à la mairie de 10 villes comptant au moins un demi-million d’habitants, dont Chicago, Phoenix, Seattle, Washington et Atlanta.