(New York) En entrant pour la première fois dans la modeste maison d’Allen Weisselberg à Long Island, en banlieue de New York, Donald Trump s’est exclamé : « C’est ici que mon directeur financier vit ? Quelle honte ! »

La famille Weisselberg était assise pour la Shiva, observant ce rite du judaïsme après la mort de sa mère. Faisant fi des circonstances, le promoteur immobilier s’est empressé de montrer aux personnes endeuillées des photos de femmes nues prises sur son yacht. Puis, ayant été séduit par la beauté de la future bru de son employé, il s’est mis à la courtiser tout de go.

Un autre homme qu’Allen Weisselberg aurait peut-être tenté de remettre à sa place le malotru. Mais Allen Weisselberg n’est pas cet homme, selon Jennifer Weisselberg, devenue depuis son ancienne bru, qui a raconté l’anecdote à la journaliste du New Yorker Jane Mayer. Le directeur financier de la Trump Organization a préféré tourner l’affaire à la blague.

PHOTO JB MILLER/TRUMP ORGANIZATION

Allen Weisselberg, directeur financier de la Trump Organization

« Il ne m’a pas défendue ! », s’est indignée Jennifer Weisselberg avant de décrire ainsi la relation d’Allen Weisselberg avec Donald Trump, dont il est le comptable après avoir été celui de son père, Fred, pendant des années : « Toute sa valeur se résume à cette question : “Est-ce que Donald m’aime aujourd’hui ?” C’est toute sa vie, sa raison d’être. Il est obsédé. Il a plus de sentiments et d’adoration pour Donald que pour sa femme. »

Si cette description reflète la réalité, elle donne une idée du défi auquel font face aujourd’hui les procureurs de Manhattan et de l’État de New York. Les deux mènent des enquêtes criminelles sur les affaires de Donald Trump. Or, pour inculper l’ancien président et obtenir un verdict de culpabilité contre lui, ils peuvent difficilement se passer de la coopération d’Allen Weisselberg.

Y parviendront-ils ? La question reste en suspens. Mais la réponse tiendra peut-être à l’aide précieuse qu’ils ont déjà reçue de cette femme avec laquelle Donald Trump a flirté en pleine Shiva.

Avantages annexes

Ex-danseuse et chorégraphe professionnelle, Jennifer Weisselberg a été mariée de 2004 à 2018 à Barry Weisselberg, l’un des deux fils du directeur financier de l’organisation Trump.

Barry Weisselberg travaille lui-même pour l’empire de Donald Trump. Jusqu’à tout récemment, il gérait la célèbre patinoire Wollman de Central Park, entreprise de la Trump Organization, qui n’acceptait que les paiements en espèces.

À la suite d’un divorce acrimonieux, Jennifer Weisselberg a fourni au bureau du procureur de Manhattan Cyrus Vance une multitude de documents sur la situation financière de son ex-mari. Selon les médias new-yorkais, ces documents laissent croire que Barry Weisselberg n’a pas payé d’impôts sur les avantages annexes dont il a joui en tant qu’employé de la Trump Organization, y compris un appartement dans Central Park South et les voitures que Donald Trump a mis à sa disposition gratuitement pendant des années.

Ils révèlent aussi que le couple n’a pas eu à payer de sa poche les dizaines de milliers de dollars de frais de scolarité dans une école privée de Manhattan pour sa progéniture. Cet argent a été versé par Donald Trump au nom de son comptable. Ce dernier a-t-il payé des impôts sur cet avantage annexe, auquel s’ajoutent des voitures ?

Cette question n’intéresse pas seulement le procureur de Manhattan, mais également la procureure générale de l’État de New York Letitia James. Mercredi dernier, le New York Times et CNN ont révélé qu’elle menait une enquête criminelle sur le directeur financier de la Trump Organization depuis le début de l’année.

La veille, elle avait annoncé que son enquête en cours sur la Trump Organization n’était plus de nature purement civile. « Nous enquêtons activement sur la Trump Organization à titre criminel, conjointement avec le procureur de Manhattan », avait-elle précisé.

À l’exception des procureurs, personne ne sait vraiment ce qu’il se passe exactement en coulisse. Mais tout le monde s’accorde pour dire que la pression est forte sur Allen Weisselberg. Très forte. Le comptable ne doit pas seulement s’inquiéter de son avenir, mais également de celui de son fils.


Un Trump « agité »

Et Donald Trump dans tout ça ? La semaine dernière, son entourage l’a décrit comme étant « agité » par l’annonce de Letitia James et les révélations médiatiques sur Allen Weisselberg. Dans un pavé de 909 mots publiés en un seul paragraphe sur son nouveau blogue, il a dénoncé une « chasse aux sorcières politique et partisane » menée par deux procureurs élus à leur poste sous la bannière démocrate.

Cyrus Vance et Letitia James cherchent à déterminer si Donald Trump a commis des fraudes bancaires ou fiscales. La question à laquelle ils doivent répondre est la suivante : la Trump Organization a-t-elle, d’une part, gonflé la valeur de ses propriétés pour obtenir des prêts avantageux et, d’autre part, baissé la valeur des mêmes propriétés pour réduire ses impôts ?

Les procureurs s’intéressent notamment à une propriété de Westchester, en banlieue de New York, achetée par la Trump Organization pour 7,5 millions de dollars en 1996, dont la valeur est passée à 291 millions de dollars dans un document présenté à des banques en 2012.

Pour obtenir une condamnation dans ce genre de dossier, les procureurs doivent prouver que la personne accusée avait l’intention bien arrêtée de commettre une fraude. D’où l’importance d’obtenir la coopération d’un témoin de l’intérieur comme Allen Weisselberg, qui connaît tous les secrets financiers de la Trump Organization. Ces secrets comprennent la façon dont son fils Barry a géré la patinoire Wollman, dont les recettes en argent liquide lui étaient remises une fois par semaine, selon son ancienne bru.

« Je ne pense pas que tout l’argent ait été rapporté. C’était pour Trump. C’est pourquoi il voulait tant que [Barry] soit là », a déclaré Jennifer Weisselberg, confiant à la journaliste Johanna Berkman en avril dernier ce qu’elle avait déjà dit au procureur de Manhattan.

Qui sait ? L’ex-bru d’Allen Weisselberg n’aurait peut-être pas été aussi bavarde s’il l’avait défendue lors de la Shiva.