Ce mercredi soir, à l’avant-veille de son 100e jour à la présidence, Joe Biden prononcera son premier discours devant le Congrès américain. Il évoquera sans doute cette étape symbolique à laquelle le président Franklin D. Roosevelt (FDR) a donné toute son importance en 1933. Pour souligner l’occasion, La Presse s’est entretenue avec Jonathan Alter, journaliste et auteur de nombreux livres, dont The Defining Moment : FDR’s Hundred Days and the Triumph of Hope, pour savoir si les comparaisons faites ces jours-ci entre Joe Biden et FDR sont justifiées.

Comment Franklin D. Roosevelt en est-il venu à imposer le concept des « 100 premiers jours » ?

FDR était féru d’histoire européenne. Il savait qu’au début du XIXe siècle, 100 jours s’étaient écoulés entre le retour de Napoléon Bonaparte de son exil dans l’île d’Elbe et sa défaite finale face aux Britanniques lors de la bataille de Waterloo. En juin 1933, le président Roosevelt a remarqué que cela faisait 100 jours qu’il avait convoqué le Congrès en session extraordinaire d’urgence pour faire face à la Grande Dépression. Il a donc passé en revue tout ce qu’il avait accompli au cours de cette période. C’est devenu un repère arbitraire mais pratique pour les futurs présidents, au grand dam de plusieurs d’entre eux, qui auraient préféré être jugés sur une période plus longue.

Quel a été l’effet des 100 premiers jours de FDR sur les États-Unis ?

Dans ses 100 premiers jours, Roosevelt a changé le contrat social que nous avions aux États-Unis. Son programme s’appelait le New Deal. Avant Roosevelt, si vous aviez des problèmes, ça ne regardait pas le gouvernement fédéral. Peut-être que certaines organisations caritatives ou certains gouvernements locaux pouvaient vous aider, mais pas Washington. Cela a changé au cours des 100 premiers jours. Vous avez eu une série de programmes touchant à tout, de la création d’emplois publics à la réglementation de Wall Street en passant par l’établissement de nouvelles normes sur la façon dont le gouvernement répondrait à toutes sortes de souffrances. À travers 15 textes de loi, FDR a réussi à restaurer la confiance dans la capacité du gouvernement à aider les gens. Et ce faisant, il a rétabli la confiance dans la démocratie. Je dirais que c’est au cours de ses 100 premiers jours que Franklin Roosevelt a sauvé la démocratie et le capitalisme. Souvenez-vous qu’il y avait beaucoup de gens qui pensaient que la démocratie était finie et qui voulaient un dictateur, que ce soit de gauche ou de droite.

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Franklin D. Roosevelt, président de 1933 à 1945

Qu’a dit ou fait Biden pour mériter d’être comparé à Roosevelt ?

Biden a signé un plan d’aide de 1900 milliards de dollars pour faire face à la COVID-19. C’est beaucoup plus, en dollars de 1933, que ce que Roosevelt a fait en matière d’investissements publics aux États-Unis. Il a donc déjà dépassé Roosevelt dans une certaine mesure, même si les changements structurels mis en œuvre par Roosevelt n’ont pas été égalés. Il est beaucoup trop tôt pour dire que Biden sera un aussi grand président que Roosevelt.

Voyez-vous un parallèle entre le rôle de FDR dans la défense de la démocratie et celui de Biden ?

C’est très similaire. Afin de soutenir la démocratie, Roosevelt a dû montrer qu’un gouvernement démocratiquement élu était capable de répondre aux besoins du peuple. Biden a exactement le même défi. Lors de son discours d’investiture, Biden a dit : « La démocratie l’a emporté. » Ce n’était pas tout à fait exact. La vérité est que la démocratie aux États-Unis a évité une balle. Et si Biden échoue, nous pourrions voir une version encore plus forte de l’autoritarisme que celle représentée par Trump. Les enjeux pour Biden et pour nos traditions démocratiques sont donc très élevés. Nous avons un parti politique dans notre pays qui est devenu fondamentalement un parti de doléances blanches avec seulement un lien ténu avec la vérité.

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Jonathan Alter, journaliste et auteur

Y a-t-il dans le plan d’aide de 1900 milliards de dollars des programmes qui contribueront à des changements structurels, comme ceux instaurés par FDR ?

Pas dans ce plan, qui était surtout une série d’efforts à court terme pour aider les Américains à faire face à la crise sanitaire. Mais Biden a maintenant proposé de 2000 à 3000 milliards de dollars supplémentaires pour les infrastructures et d’autres dépenses susceptibles de déboucher notamment sur de grands changements structurels liés aux changements climatiques. Si ce projet de loi est adopté, et je pense qu’il le sera, selon toute vraisemblance, Biden connaîtra un succès comparable à celui qu’a connu Roosevelt en 1933. Même si ses marges au Sénat sont très minces, tout porte à croire qu’une version de ce plan très ambitieux deviendra loi d’ici l’été.

Quels sont les traits personnels que Biden partage avec FDR et qui pourraient l’aider comme président ?

Au début de la présidence de FDR, un juge de la Cour suprême à la retraite l’a décrit comme ayant un intellect de seconde classe mais un tempérament de première classe. Il en va de même pour Joe Biden. Il y a eu beaucoup de présidents plus intelligents que Roosevelt et Biden. Tous deux étaient considérés comme des poids plumes bavards avant de devenir présidents. Tous deux étaient considérés comme trop infirmes pour être présidents. Roosevelt avait la polio et Biden est vieux. Mais ce tempérament de première classe qu’ils partagent, qui est ennobli par la souffrance personnelle, leur a donné une empathie et une connexion avec les autres. Politiquement, c’est très utile.

Un bilan en sept mots

Selon l’Associated Press, Joe Biden aura réalisé 25 de ses 61 promesses électorales au cours de ses 100 premiers jours à la présidence. Nous nous contenterons de dresser un bilan en sept mots.

Vaccination

Cent millions de doses en cent jours. Au moment où Joe Biden a fait cette promesse, certains l’ont trouvé très ambitieux, peut-être trop. Il ne l’était pas assez. Au 92e jour de sa présidence, ce sont 200 millions de doses des vaccins contre la COVID-19 qui avaient été administrées aux États-Unis.

Économie

Malgré l’opposition unanime des républicains de la Chambre des représentants et du Sénat, les démocrates ont adopté le plan d’aide de 1900 milliards de dollars souhaité par Joe Biden pour affronter les conséquences de la COVID-19. La mesure, qui prévoyait notamment l’envoi de chèques de 1400 $ à des millions d’Américains, devrait contribuer à propulser le taux de croissance de l’économie à plus de 7 % en 2021.

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Joe Biden a présenté un projet d’infrastructure de 2300 milliards de dollars.

Infrastructures

Personne ne s’attendait à ce que Joe Biden parvienne à promulguer un projet d’infrastructure de 2300 milliards de dollars durant les 100 premiers jours de sa présidence. Mais le débat a été lancé autour de ce plan, présentant d’ambitieux objectifs de réduction des émissions de gaz à effet de serre, qui pourrait devenir le plus important de sa présidence.

Immigration

Au-delà des décrets présidentiels mettant fin à certaines des mesures les plus controversées de Donald Trump, dont la construction d’un mur le long de la frontière sud, Joe Biden est encore loin d’avoir réalisé ses principales promesses en matière d’immigration. Le Congrès ne semble pas prêt, par exemple, à toucher à son projet de réforme du système d’immigration, qui doit notamment ouvrir la voie à la naturalisation de millions de clandestins. Et la situation des migrants à la frontière sud demeure problématique.

Armes

Comme dans le dossier de l’immigration, Joe Biden a besoin de l’aide du Congrès pour remplir ses promesses concernant les armes à feu. Après les tueries des dernières semaines, il a notamment appelé à l’interdiction des fusils d’assaut. Mais, faute d’appuis pour une telle mesure, il a dû se contenter de signer des décrets présidentiels à portée limitée.

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Des armes à feu dans un magasin de Californie

Diversité

Joe Biden avait promis une administration à l’image de son pays. Il a rempli cette promesse en assemblant le cabinet le plus diversifié de l’histoire, avec 46 % de femmes et 50 % de personnes de couleur. Y figurent le premier secrétaire à la Défense noir, Lloyd Austin, la première Autochtone au poste de secrétaire de l’Intérieur, Deb Haaland, et le premier immigré pour diriger le département de la Sécurité intérieure, Alejandro Majorkas.

Monde

Joe Biden en a étonné beaucoup en affichant une attitude très ferme à l’égard des principaux rivaux des États-Unis. Il a imposé des sanctions sévères contre la Russie, refusé de lever les sanctions contre l’Iran et maintenu les barrières tarifaires contre la Chine, tout en critiquant ce pays pour son traitement des Ouïghours et sa répression à Hong Kong. Et il a mis fin à l’attitude complaisante de l’administration Trump à l’égard de l’Arabie saoudite.