Dès son premier jour à la Maison-Blanche, Joe Biden s’est attelé à la tâche de démanteler les politiques jugées inhumaines de Donald Trump à la frontière sud. Au même moment, son administration a exhorté les migrants d’Amérique centrale à rester à la maison, afin de lui donner le temps de mettre en place un nouveau système d’accueil. Peine perdue : après avoir augmenté de plus de 100 % entre janvier et février, selon des données gouvernementales, l’afflux de familles et d’enfants migrants à la frontière sud menace désormais de replonger la région dans une crise, si ce n’est déjà fait. État des lieux.

Le nombre d’enfants migrants détenus en hausse

« Ce n’est pas acceptable, ça ne l’a jamais été, ça ne le sera jamais – peu importe l’administration ou le parti. » Le 23 février dernier, la représentante démocrate de New York Alexandria Ocasio-Cortez a dénoncé ainsi l’utilisation par l’administration Biden d’un centre de détention pour migrants âgés de 13 à 17 ans ouvert au Texas par l’administration précédente.

Au cours des deux dernières semaines, le nombre d’enfants migrants détenus dans des centres semblables a triplé, dépassant 3250, selon des documents obtenus par le New York Times. Or, plus de 1300 d’entre eux se sont retrouvés dans ces établissements pendant plus de 72 heures, ce que la loi fédérale interdit (selon des données gouvernementales rendues publiques mercredi, le nombre d’enfants migrants arrivés seuls à la frontière sud a augmenté de 60 % entre janvier et février, pour atteindre 9400).

En temps normal, les enfants migrants devraient être dirigés en moins de 72 heures vers des refuges administrés par le département de la Santé et des Services sociaux dans l’attente d’être réunis avec des membres de leur parenté aux États-Unis. Or, en raison de la pandémie de coronavirus, ces refuges limitaient jusqu’à vendredi dernier leur capacité d’accueil.

Accueil plus bienveillant pour les adultes

L’administration Biden a mis fin le 19 février dernier à l’une des politiques migratoires les plus controversées de Donald Trump, qui consistait à renvoyer au Mexique les demandeurs d’asile adultes pendant le traitement de leur dossier. Les migrants qui étaient visés par cette politique baptisée « Rester au Mexique » peuvent désormais être admis sur le territoire américain après avoir subi un test de dépistage de la COVID-19 et reçu une date de comparution devant un tribunal d’immigration.

Jusqu’à aujourd’hui, plus de 1100 migrants ont pu traverser la frontière américaine dans le cadre de ce programme. Au total, près de 25 000 personnes pourraient les suivre.

Les adultes arrêtés à la frontière avec de jeunes enfants ont également droit à un accueil plus bienveillant. Ils ne sont plus détenus pendant de longues périodes, comme c’était le cas sous l’administration Trump. Selon un plan annoncé par l’administration Biden, ils sont relâchés parmi la population américaine après avoir reçu un résultat de test de dépistage de la COVID-19 négatif et une date de comparution devant un tribunal d’immigration. Ils sont par la suite libres de circuler jusqu’à ce que la justice ait statué sur leur sort.

Cette façon de procéder correspond à une politique appelée « catch and release » (attraper et relâcher) par les républicains et décriée par ces derniers, y compris Donald Trump, qui y avait mis fin.

Des républicains mécontents

PHOTO JORGE DUENES, ARCHIVES REUTERS

Des migrants venus principalement d’Amérique centrale se sont présentés à la frontière américaine le 27 février dernier vêtus de t-shirts sur lesquels on peut lire : « Biden, laissez-nous entrer », à Tijuana, au Mexique.

L’arrivée à la frontière sud de milliers de migrants venus principalement d’Amérique centrale est normale au printemps. Mais les républicains n’hésitent pas à lier l’afflux actuel aux politiques de Joe Biden. Fait inusité : certains migrants se présentent à la frontière sud vêtus de t-shirts sur lesquels on peut lire : « Biden, laissez-nous entrer ».

« Aujourd’hui, j’ai rencontré des agents frontaliers. L’an dernier, ils ont arrêté 90 000 personnes traversant illégalement la vallée du Rio Grande. Cette année, ce nombre dépasse déjà 100 000 », a tweeté le gouverneur républicain du Texas, Greg Abbott, mardi après-midi.

En soirée, sur Fox News, il a mis cette vague de migrants sur le compte du démantèlement de la politique « Rester au Mexique ». « L’administration Biden savait exactement ce qu’il se passerait si elle refusait de continuer à mettre en application les politiques qui étaient en place », a-t-il déclaré.

Plusieurs autres élus républicains ont tenu des propos semblables. « Les frontières ouvertes de Biden ont créé une crise humanitaire désespérée. Et l’administration Biden et les démocrates ne veulent pas le reconnaître », a tweeté mercredi le sénateur républicain Ted Cruz.

Les démocrates conscients de l’ampleur du défi

Tout en refusant d’utiliser le mot « crise » pour décrire la situation actuelle à la frontière sud, une haute responsable de l’administration Biden a reconnu mercredi que le message des États-Unis aux migrants d’Amérique centrale pouvait être confondant.

« Lorsque l’on examine la question des messages contradictoires, il est parfois difficile de transmettre à la fois l’espoir dans l’avenir et le danger qui existe maintenant », a déclaré Roberta Jacobson, coordinatrice de l’administration Biden pour la frontière sud, lors d’un point de presse à la Maison-Blanche.

En anglais et en espagnol, la diplomate américaine a ajouté que le voyage vers le nord demeurait « dangereux » au moment où l’administration s’efforce de rebâtir un système d’accueil réduit à son minimum par l’administration précédente.

« Nous tentons d’envoyer les deux messages, a-t-elle dit. Les passeurs n’en envoient qu’un. »

Et ce message consiste à dire que l’administration Biden traitera bien les migrants.

Les démocrates sont conscients que leur ambitieux projet de réforme de l’immigration n’a pas de chance de progresser tant que la situation à la frontière sud n’aura pas été maîtrisée. Cette réforme a pour but notamment d’ouvrir la voie de la naturalisation à plusieurs millions d’immigrés clandestins.