(New York)
Surnommé le « shérif de Wall Street », Eliot Spitzer s’était bâti une réputation de justicier incorruptible en tant que procureur général de New York. Cette image étincelante devait l’aider à se faire élire au poste de gouverneur de l’Empire State en 2006. Poste qu’il allait être forcé à abandonner 15 mois plus tard après des révélations sur ses relations avec des prostituées.

Eric Schneiderman, un de ses successeurs au poste de procureur général de New York, était considéré comme un solide allié du mouvement #metoo. À l’automne 2017, il avait notamment lancé des poursuites judiciaires contre le studio de Harvey Weinstein après les révélations sur les multiples agressions sexuelles du producteur. Quelques mois plus tard, il devait démissionner après avoir été mis en cause pour des violences contre des femmes.

Y a-t-il quelque chose dans l’eau d’Albany, chef-lieu de l’État de New York, qui plombe le caractère de politiciens dotés d’une renommée enviable ? La question se pose à nouveau après les accusations de harcèlement sexuel dont fait l’objet Andrew Cuomo, qui avait promis d’assainir les mœurs corrompues de la capitale new-yorkaise, où il occupe le poste de gouverneur depuis janvier 2011.

Après avoir brillé avec éclat, son étoile avait déjà commencé à pâlir à cause de questions lancinantes entourant sa gestion des établissements pour aînés de New York au plus fort de la pandémie de COVID-19. A-t-il contribué à alourdir le bilan des décès en donnant le feu vert à l’admission de personnes contagieuses dans ces établissements du 25 mars au 10 mai 2020 ? A-t-il cherché à dissimuler le nombre des décès de résidants d’établissements pour personnes âgées ?

S’ajoutent désormais à ces interrogations, sur lesquelles enquête le FBI, des allégations de harcèlement sexuel formulées par deux anciennes collaboratrices d’Andrew Cuomo. La question est maintenant de savoir si le gouverneur devra suivre l’exemple des Spitzer et Schneiderman en démissionnant.

« Mentor » ou « prédateur » ?

« Le gouverneur voulait coucher avec moi. »

Cette déclaration ornait dimanche la une du New York Post. Elle était tirée d’une entrevue accordée par Charlotte Bennett, 25 ans, et publiée la veille dans le New York Times. La jeune femme y accusait Andrew Cuomo, 63 ans, d’avoir tenu en sa présence des propos qui lui ont fait croire qu’il désirait avoir une relation sexuelle avec elle.

« Je me suis sentie horriblement mal à l’aise et effrayée », a-t-elle raconté, précisant qu’elle avait « supposé que c’était la fin de [son] emploi ».

Contrairement à Charlotte Bennett, Lindsey Boylan, 36 ans, a raconté dans un texte publié sur le site Medium, mercredi dernier, que le gouverneur ne s’était pas contenté de lui faire des remarques déplacées, du genre « Jouons au strip-poker », il l’a également embrassée sur les lèvres sans son consentement, a-t-elle écrit.

Andrew Cuomo a d’abord nié les allégations de Lindsey Boylan par la voix d’une porte-parole. Il a par ailleurs mis sur le compte d’un malentendu les allégations de Charlotte Bennett.

Dans une déclaration écrite, il a affirmé avoir joué auprès d’elle le rôle de « mentor » après qu’elle lui a confié avoir été victime d’agression sexuelle. Et il a demandé aux New-Yorkais de ne pas sauter aux conclusions avant la fin d’une enquête sur cette affaire, qu’il a confiée dans un premier temps à l’ancienne juge fédérale Barbara Jones.

Peine perdue. Comme ç’a été le cas pour Eliot Spitzer et Eric Schneiderman, des démocrates ont été parmi les premiers à réclamer la démission d’Andrew Cuomo. Figurent parmi ceux-ci plusieurs candidats à la mairie de New York et au moins deux parlementaires d’Albany.

« Vous êtes un monstre, et il est temps que vous partiez », a tweeté la sénatrice Alessandra Biaggi, samedi soir.

Sa collègue de l’Assemblée de New York, Yuh-Lin Niou, a également appelé à la démission du gouverneur, le qualifiant de « prédateur ».

Scepticisme général

D’autres démocrates, dont la cheffe de la majorité au Sénat et le président de l’Assemblée de New York, ont réclamé la création d’une « enquête vraiment indépendante ». Ils ont douté de l’indépendance de l’ex-juge Jones, qui travaille aujourd’hui avec un conseiller de longue date d’Andrew Cuomo.

Face au scepticisme général, le gouverneur a changé d’approche dimanche. Il a indiqué qu’il demanderait à la procureure générale de New York et à la juge en chef de la Cour d’appel de l’État de choisir la personne qui enquêtera sur les allégations de harcèlement sexuel le visant. La procureure générale Letitia James a rejeté cette demande, faisant valoir que le pouvoir d’enquêter sur cette affaire lui revenait après un renvoi du gouverneur.

Ce scepticisme est justifié. En juillet 2013, après plusieurs scandales et arrestations impliquant des élus, Andrew Cuomo a créé une commission chargée d’éradiquer la corruption à Albany. Or, en mars 2014, il y a mis fin de façon abrupte lorsque la commission a commencé à s’intéresser à des organisations avec lesquelles il avait des liens. Il a par la suite assuré l’adoption de certaines réformes et déclaré mission accomplie.

Mais cette mission s’est poursuivie sous la direction du procureur fédéral de Manhattan, Preet Bharara. Après s’être saisi des dossiers de la défunte commission, ce dernier a obtenu en 2015 la condamnation du président de l’Assemblée de New York, le démocrate Sheldon Silver, et du chef de la majorité au Sénat, le républicain Dean Skelos.

PHOTO TODD HEISLER, ARCHIVES THE NEW YORK TIMES

Preet Bharara, ex-procureur fédéral de Manhattan

Preet Bharara a également intenté des poursuites judiciaires contre des membres de l’entourage d’Andrew Cuomo, dont son bras droit, Joseph Percoco, qui a été condamné à six ans d’emprisonnement en 2018 pour avoir accepté des pots-de-vin.

Après la condamnation de Percoco, Andrew Cuomo a traité Preet Bharara de « chasseur de scalps ». Il a également déclaré que l’incapacité de l’ex-procureur fédéral de le lier à des pratiques illégales représentait « l’exonération la plus crédible de l’histoire ».

Preet Bharara a plus tard déclaré que la logique d’Andrew Cuomo lui rappelait celle d’un autre politicien qui a le don de s’entourer de personnages louches.

« Il y a un parallèle entre [Donald] Trump et Cuomo à certains égards », a-t-il dit en mars 2019 au Times Union d’Albany, bien avant que des allégations de nature sexuelle ne viennent assombrir l’avenir du gouverneur de l’État de New York.

C’est vrai que les deux hommes ne viennent pas seulement du même État, mais également du même arrondissement new-yorkais.