(Washington) Enceinte vénérable à l’ambiance d’ordinaire feutrée, le Sénat américain résonne cette semaine des hurlements, insultes et exclamations angoissées venant des vidéos choc de l’assaut du Capitole, pièces maîtresses de l’accusation au procès de Donald Trump, un rôle inédit pour l’image.  

Avec ses nombreux clips tirés de réseaux sociaux, ce procès historique occupe toutes les grandes chaînes câblées américaines depuis mardi, offrant un « spectacle » plus captivant pour le grand public que les explications parfois compliquées du premier procès en destitution du 45e président américain, dans l’affaire ukrainienne.  

Des écrans et enceintes ont été installés dans l’hémicycle sombre aux pupitres de bois, épaisse moquette, et murs marbrés, qui semble habituellement d’un autre temps.

Les caméras de la chaîne parlementaire C-Span sont les seules autorisées à filmer les séances au Congrès, et elles n’ont été installées pour la première fois dans l’hémicycle qu’en 1986, soixante ans après l’invention de la télévision.  

Pour les 100 sénateurs, l’expérience est absolument sans précédent.

Dressés sur leurs chaises, républicains et démocrates ont frémi et se sont émus en découvrant des images inédites de l’assaut meurtrier du 6 janvier, qu’ils ont vécu dans leur chair au moment où ils s’apprêtaient à certifier la victoire de Joe Biden à la présidentielle.  

S’il a refusé de témoigner, la voix de Donald Trump résonne sans cesse à la chambre haute, l’accusation repassant des extraits de son discours devant des milliers de partisans, juste avant l’assaut.  

Le vice-président Mike Pence à quelques mètres des émeutiers, le sénateur républicain Mitt Romney, bête noire de Donald Trump, faisant soudainement demi-tour lorsqu’un policier lui indique qu’il se dirige vers la foule, un policier hurlant, pris en étau : les élus démocrates qui portent l’accusation devant les sénateurs présentent des images inédites ou rarement vues, tirées des milliers d’heures compilées par la police.  

Elles proviennent de caméras de sécurité, de médias, mais aussi, et surtout, des images des manifestants pro-Trump, qui ont partagé sur les réseaux sociaux, parfois en direct, leur avancée sur le Capitole.

Lewinsky, première en vidéo

« Cela déchire le cœur et met les larmes aux yeux », a réagi Mitt Romney, ex-candidat à la présidentielle, en confiant aux journalistes qu’il avait été « bouleversant » de découvrir ces moments à l’écran.  

Les émeutiers fouillant les pupitres des sénateurs, s’installant dans les bureaux de la cheffe des démocrates au Congrès, Nancy Pelosi, et un mot laissé à Mike Pence, « justice sera rendue » : les sénateurs ont revécu des scènes qui les touchent en premier lieu.

« La présentation d’hier a été extrêmement puissante, déchirante », a confié jeudi aux journalistes Chuck Schumer, chef de la majorité démocrate qu’on peut aussi voir, sur ces images, fuir les partisans de l’ex-président.  

« Je ne m’étais jamais vu sur les images qu’ils ont montrées », a-t-il déclaré.

Resté à distance du procès jusqu’ici, le nouveau président Joe Biden a aussi été « choqué » par les vidéos projetées mercredi, selon la Maison-Blanche. « Je pense que certains ont peut-être changé d’avis », a-t-il confié aux journalistes.  Même si les alliés républicains de l’ex-président ne signalent pas de revirement.  

Ce n’est pas la première fois que des vidéos sont montrées dans l’hémicycle pour des procès au Sénat.

Ce fut le cas lors de la première procédure en destitution de Donald Trump, début 2020.  

Et des extraits de la déposition de Monica Lewinsky avaient été diffusés à la chambre haute lors du procès de Bill Clinton en 1999, marquant la première présentation en vidéo en plus de deux siècles d’histoire du Sénat, selon ses historiens.  

Mais si ce témoignage avait marqué les esprits, il n’avait pas occupé la même place que les dures images de l’assaut, qui ont servi de fil conducteur à l’exposé des procureurs.  

À plusieurs reprises, les démocrates ont dû lancer des avertissements sur les contenus à venir, comme ces images d’une femme abattue par la police dans les couloirs de la Chambre.  

Les tweets de Donald Trump aussi ont occupé une place de choix dans l’argumentaire des démocrates. Des pièces à conviction dont ne disposaient évidemment pas les accusateurs de Bill Clinton ou d’Andrew Johnson, premier président jugé en destitution, et acquitté… en 1868.