La majorité des insurgés du Capitole venaient de milieux aisés, n’étaient pas affiliés à des groupes d’extrême droite et habitaient des comtés remportés par Joe Biden, révèle une étude surprenante de l’Université de Chicago sur ces « nouveaux radicaux ».

Les images de l’insurrection du Capitole ont montré des militants d’extrême droite arborant des logos néonazis, des drapeaux confédérés et vêtus d’habits paramilitaires prendre d’assaut le cœur de la démocratie américaine.

Or, si des adhérents à des groupes comme les Proud Boys et les Oath Keepers faisaient effectivement partie de la foule violente, ils étaient loin d’être majoritaires : les gens affiliés à des groupes d’extrême droite comptaient pour à peine 10 % des personnes accusées par le gouvernement fédéral dans la foulée de l’attaque.

« Ces gens ont beaucoup de visibilité dans les médias, mais ils ne représentent pas le profil type des émeutiers du Capitole », explique en entrevue téléphonique Keven Ruby, associé de recherche principal du Chicago Project on Security and Threats à l’Université de Chicago.

Avec son collègue Robert A. Pape, Keven Ruby a analysé le profil des 213 personnes accusées par le gouvernement fédéral depuis les attaques du 6 janvier, soit environ le quart des quelque 800 insurgés qui ont pénétré dans l’édifice.

Les résultats de leur analyse, dit-il, sont inquiétants : les « nouveaux radicaux » qui ont attaqué le Capitole pour y terroriser les élus et invalider l’élection présidentielle défient les stéréotypes associés aux émeutiers violents.

« N’oublions pas que ces gens n’ont pour la majorité pas exprimé de regrets par rapport à leurs gestes, dit M. Ruby. Tout indique qu’ils avaient beaucoup de fierté d’avoir été là. Ils pourraient utiliser la violence politique et demeurer une menace pour les années à venir. »

Plus riches, plus âgés

Les insurgés arrêtés après avoir mis à sac le Capitole étaient plus vieux que les militants d’extrême droite typiques aux États-Unis. Les émeutiers étaient âgés de 35 ans et plus pour la majorité, alors que les militants d’extrême droite arrêtés aux États-Unis entre 2015 et 2020 étaient majoritairement âgés de moins de 35 ans.

Aussi, le cliché voulant que les insurgés aient été des laissés-pour-compte, des gens désabusés par la société, bref, des gens qui n’avaient rien à perdre, ne tient pas. Au contraire, les émeutiers arrêtés avaient « beaucoup à perdre », écrivent les chercheurs dans un texte publié dans The Atlantic.

Environ quatre personnes arrêtées sur dix sont propriétaires d’une entreprise ou occupent des emplois de col blanc. Parmi les participants présumés à l’émeute du Capitole se trouvaient des PDG, des commerçants, des médecins, des avocats, des informaticiens et des comptables. Seulement 9 % étaient au chômage, ce qui est frappant.

Robert A. Pape et Keven Ruby, dans leur article

Parmi les militants d’extrême droite arrêtés aux États-Unis de 2015 à 2020, 25 % étaient au chômage et presque aucun n’avait un emploi de col blanc.

De plus, on peut penser que les insurgés provenaient de comtés rouges, des endroits où habitent peu de démocrates et où se balader avec une arme et appuyer Trump est aussi naturel que respirer. Là encore, ce n’est pas le cas : la majorité provenait de comtés qui ont été remportés par Joe Biden à la dernière élection, notent les chercheurs.

Clivage politique

Quand on regarde les 30 000 à 50 000 personnes qui étaient au rassemblement à Washington, on ne trouve pas tant des extrémistes que des gens qui représentent les électeurs républicains dans leur ensemble, note Keven Ruby.

« Si vous croyez que l’élection a été frauduleuse, comme l’a répété Donald Trump pendant des mois, ce n’est pas un grand pas de soutenir la violence, même si une fraction des républicains ont effectivement des comportements violents. L’administration Biden devra trouver des stratégies pour discuter et écouter ces gens qui croient qu’ils ont été lésés, et qui possèdent beaucoup d’armes », dit-il, rappelant qu’une des personnes arrêtées avait une grande quantité d’armes dans son camion et que des bombes et des cocktails Molotov ont été retrouvés près du Capitole.

C’était la première fois dans l’histoire récente des États-Unis qu’un tel assaut à la fois réel et symbolique visait le gouvernement fédéral, dit-il.

C’est surprenant. Le fait que ça ait été mené avec le soutien de tellement de monde, des gens ordinaires, je crois que c’était impossible à imaginer.

Keven Ruby, associé de recherche principal du Chicago Project on Security and Threats à l’Université de Chicago

L’attaque du 6 janvier a révélé une nouvelle force dans la politique américaine, « pas simplement un mélange d’organisations de droite, mais un mouvement politique de masse plus vaste qui a la violence en son cœur », écrivent les chercheurs.

Les solutions sur lesquelles on peut généralement compter pour contrer l’extrémisme, comme le fait qu’un extrémiste va se modérer en vieillissant ou une fois qu’il aura décroché un bon emploi, ne sont pas applicables pour arrêter ces nouveaux radicaux. Et cibler les organisations d’extrême droite ne donnera pas non plus le succès escompté – les nouveaux radicaux n’en font pas partie.

« Ce ne sera pas un problème facile ou rapide à résoudre », dit M. Ruby.