La pandémie de COVID-19 et le mouvement Black Lives Matter (BLM) donnent une impulsion additionnelle au mouvement pour la légalisation de la marijuana aux États-Unis.

John Hudak, analyste de la Brookings Institution, note que « le désastre économique » lié à la propagation au pays du virus SARS-CoV-2 a exacerbé l’intérêt de nombreux élus qui espèrent créer « une importante source de revenus » pour leur État en légalisant le commerce de cette drogue.

« C’est devenu un élément important de la conversation publique sur la relance économique », note-t-il.

Les revendications des militants de BLM, explique par ailleurs M. Hudak, ont permis d’attirer l’attention sur le fait que la « guerre contre les drogues » a eu un impact démesuré sur la communauté noire et que la fin de la discrimination nécessite une révision des politiques en place relativement à la marijuana.

Ces considérations sont manifestes notamment en Virginie, où les élus du Congrès à majorité démocrate planchent activement sur un projet de loi pour la légalisation qui doit être adopté d’ici quelques semaines.

Dans un récent discours, le gouverneur de l’État, Ralph Northam, aussi un démocrate, a relevé que les Noirs qui consomment de la marijuana courent un risque bien plus important que les Blancs d’être accusés d’un crime et d’être éventuellement condamnés en justice.

PHOTO DEAN HOFFMEYER, ARCHIVES ASSOCIATED PRESS

Ralph Northam, gouverneur de l’État de Virginie

Nous avons fait notre recherche et nous pouvons procéder à la légalisation de la bonne manière en donnant la priorité à l’équité sociale, à la santé et à la sécurité publique.

Ralph Northam, gouverneur de l’État de Virginie

L’élu promet d’ailleurs d’utiliser une partie des sommes générées par les futures taxes sur la marijuana pour aider les populations les plus touchées historiquement par l’approche répressive.

Un rapport déposé en novembre indique que l’industrie de la marijuana en Virginie pourrait générer à terme jusqu’à 1,5 milliard de dollars par année en revenus et plus de 300 millions de dollars de taxes.

Les élus locaux prévoient la création d’une nouvelle agence qui sera chargée de chapeauter le secteur. La légalisation deviendrait effective le 1er janvier 2024 de manière à donner du temps aux autorités pour se préparer.

Des doutes persistent

Mary Crozier, qui chapeaute un regroupement d’organisations communautaires en Virginie, pense que les élus font fausse route.

Les revenus en cas de légalisation, dit-elle, sont souvent sensiblement en deçà des sommes espérées et les risques sanitaires, particulièrement pour les jeunes, sont importants.

Mme Crozier se dit sensible au fait que la communauté noire est plus souvent ciblée par la police, mais relève que ce problème ne devrait pas être pris en compte lorsque vient le moment de décider s’il faut ou non légaliser la marijuana. « C’est la police qui doit changer », dit-elle.

Un mouvement « largement soutenu »

Matthew Schweich, directeur adjoint du Marijuana Policy Project, une organisation militant pour la légalisation du produit partout aux États-Unis, pense que le mouvement dispose aujourd’hui d’un large soutien dans la population et transcende les lignes politiques. « C’est une approche qui est viable partout au pays », dit-il.

M. Schweich en veut notamment pour preuve le fait que les résidants de quatre États aux profils très différents ont dit oui à la légalisation lors de référendums tenus en novembre en même temps que l’élection présidentielle.

L’Arizona, le Montana, le New Jersey et le Dakota du Sud se sont ajoutés à une liste qui en comptait déjà plus d’une dizaine.

John Hudak, de la Brookings Institution, note que le fait que les législateurs d’un nombre croissant d’États vont de l’avant démystifie l’effet de la légalisation et contribue à sa popularité. « Les gens voient que le ciel ne tombe pas et que les promesses d’apocalypse ne se matérialisent pas », relève l’analyste.

Au fédéral, l’interdit demeure

Les gains faits par les tenants de la légalisation dans plusieurs États ne se reflètent pas au fédéral, où l’interdit demeure. La Chambre des représentants a appuyé en décembre un projet de loi prévoyant de décriminaliser la marijuana sans la légaliser, en remplaçant notamment les mises en accusation par de simples amendes, mais n’a pas obtenu l’approbation du Sénat.

La faible marge dont dispose désormais le camp démocrate à la Chambre haute rend peu probable une réforme en profondeur dans ce domaine, puisqu’il faudrait l’appui de 60 sénateurs, un objectif difficilement atteignable, affirme M. Schweich.

Le gouvernement fédéral continue formellement d’interdire la vente et la consommation de marijuana, mais se garde, depuis l’administration de Barack Obama, d’intervenir dans les États où le produit a été légalisé.

L’administration de Donald Trump a continué dans la même voie.

La situation est « irrationnelle », relève le représentant du Marijuana Policy Project, qui ne craint pas de voir Washington opter un jour pour une approche plus interventionniste.

« C’est très peu probable puisque ce serait très impopulaire comme décision. Dans notre milieu, les gens ne pensent pas qu’un retour en arrière est possible », dit-il.