(New York) Norman Ornstein, chercheur émérite au sein d’un groupe de réflexion conservateur, ne peut s’empêcher d’établir un parallèle entre la pandémie de coronavirus et l’évolution du Parti républicain.

En novembre dernier, faut-il le rappeler, ce parti a fait élire à la Chambre des représentants une ancienne adhérente du mouvement complotiste QAnon, Marjorie Taylor Greene, dont les fantasmes extrémistes ont inclus l’exécution de personnalités démocrates.

« Vous avez un virus, un virus très dangereux, puis vous commencez à voir apparaître des variants plus dangereux et plus meurtriers. Et c’est ce qui est arrivé au Parti républicain », a déclaré le politologue rattaché à l’American Enterprise Institute au cours d’un entretien téléphonique.

Le virus dont parle Norman Ornstein ne porte pas le nom de Donald Trump. À son avis, l’ancien président n’aura été que l’« accélérateur » d’un extrémisme dont il décrivait déjà les ravages dans un livre sur le Congrès américain publié en 2012 sous le titre It’s Even Worse Than It Looks (C’est encore pire qu’il n’y paraît).

Mais la représentante républicaine de Géorgie Marjorie Taylor Greene est bel et bien le produit du variant républicain. Récemment, cette femme d’affaires de 46 ans s’est dissociée de QAnon. Cependant, en 2018 et en 2019, elle a endossé sur sa page Facebook les théories les plus scabreuses et pernicieuses du mouvement.

Elle a également exprimé son appui à l’exécution par balle ou par pendaison de Nancy Pelosi, d’Hillary Clinton et de Barack Obama ; qualifié de « false flag » (mise en scène) la fusillade de Parkland, en Floride ; et théorisé que des incendies en Californie ont été provoqués « par un rayon laser venu de l’espace » afin de permettre l’aménagement d’un réseau ferroviaire « avec l’aide des Rothschild », allusion aux banquiers préférés des antisémites.

Après l’élection présidentielle du 3 novembre, elle a évidemment crié à la fraude et voté contre la certification des résultats.

« La peur d’être ostracisé »

Que faire maintenant de Marjorie Taylor Greene après le déballage médiatique des derniers jours concernant ses positions passées et présentes ? Un groupe de républicains de confession juive, qui a fait campagne en faveur de son opposant lors d’une primaire républicaine dans sa circonscription conservatrice, veut qu’elle soit sanctionnée. Une sanction forte pourrait prendre la forme d’une expulsion de l’élue extrémiste des deux importantes commissions au sein desquelles elle vient d’être assignée, y compris celle portant sur l’éducation et le travail.

La décision reviendra au chef des républicains à la Chambre, Kevin McCarthy, qui doit rencontrer Marjorie Taylor Greene cette semaine. Un de ses porte-parole a qualifié de « profondément troublantes » les déclarations et positions passées de la représentante. Mais Kevin McCarthy osera-t-il la punir et risquer de se mettre à dos Donald Trump, le plus influent des admirateurs de la représentante ?

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Kevin McCarthy, le chef des républicains à la Chambre des représentants

La question renvoie au dilemme auquel font face les républicains du Sénat à une semaine du début du procès en destitution de Donald Trump. Tout comme Kevin McCarthy, le chef des républicains au Sénat, Mitch McConnell, s’est levé récemment en chambre pour attribuer à l’ancien président la responsabilité de l’assaut du Capitole des États-Unis.

Le sénateur du Kentucky semblait alors ouvrir la porte à la condamnation de Donald Trump et à sa purge du Parti républicain. Mais cette porte semble s’être refermée la semaine dernière. Lors d’un vote procédural, 45 sénateurs républicains sur 50 ont approuvé une motion affirmant que le procès en destitution de l’ancien président était inconstitutionnel. La condamnation de Donald Trump pour « incitation à l’insurrection » nécessiterait l’appui de 17 sénateurs républicains.

Nous avons vu, la semaine dernière, un niveau de lâcheté ahurissant.

Norman Ornstein, chercheur émérite

« C’est le genre de choses que l’on voit dans une secte où la peur d’être ostracisé ou excommunié l’emporte sur vos propres instincts concernant ce qui est bien ou mal. Cela nous mène à cet endroit où les républicains du Sénat tentent de blanchir une incitation directe à l’insurrection et à la sédition par le président des États-Unis », a commenté Norman Ornstein.

Des instances radicalisées

Selon le chercheur, le variant républicain contribue également à la radicalisation des instances locales du Grand Old Party. Il donne plusieurs exemples, dont la décision récente du Parti républicain de l’Arizona d’adopter des motions de censure contre trois républicains bien en vue de l’État, dont Cindy McCain, veuve de l’ancien sénateur John McCain, accusée d’avoir manqué de loyauté envers Donald Trump en votant pour Joe Biden.

Norman Ornstein mentionne également l’effort de républicains du Wyoming pour punir Liz Cheney, numéro trois des républicains à la Chambre, qui a voté en faveur de la mise en accusation de Donald Trump. Le représentant de Floride Matt Gaetz, homme de main de l’ancien président, s’est joint à eux la semaine dernière en appelant à la défaite de la fille de Dick Cheney en 2022.

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Matt Gaetz, représentant de la Floride, lors d’un événement à Cheyenne, au Wyoming, jeudi dernier.

Nous sommes engagés dans une bataille pour l’âme du Parti républicain, et j’ai l’intention de la gagner.

Matt Gaetz, représentant de la Floride et homme de main de l’ancien président

Mais c’est peut-être le Parti républicain de l’Oregon qui a offert l’exemple le plus frappant de l’effet du variant républicain sur les instances locales du GOP. Ses dirigeants ont publié la semaine dernière une déclaration qualifiant l’assaut du Capitole de « false flag », de mise en scène destinée à discréditer l’ancien président.

« On est rendus à un endroit complètement différent, a déclaré Norman Ornstein. Ces républicains croient que la radicalisation du parti ne leur nuira pas nécessairement à l’occasion des prochaines élections. Et s’ils remportent la Chambre et le Sénat en 2022, ce qui n’est pas impossible, la situation s’aggravera. »

En attendant, Marjorie Taylor Greene ne semble pas trop s’inquiéter pour son avenir.

« J’ai eu un excellent appel téléphonique avec mon POTUS préféré, le président Trump ! », a-t-elle tweeté samedi à la fin d’une semaine au cours de laquelle son nom est devenu synonyme d’extrémisme. « Je lui suis très reconnaissante de son soutien… »

Y aura-t-il un jour un vaccin efficace contre ce variant ?