(Washington) Malgré tout, la transition a eu lieu, ouvrant la voie à une nouvelle ère politique aux États-Unis.

Malgré une campagne sans précédent du président sortant pour renverser les résultats de l’élection présidentielle, malgré un assaut meurtrier contre le siège de la démocratie américaine, malgré une menace terroriste qui a transformé Washington en camp retranché, Joseph Robinette Biden Jr. a prêté serment à titre de 46e président des États-Unis, un peu avant midi mercredi, sous un ciel où le soleil venait tout juste de chasser les nuages.

Quelques instants auparavant, Kamala Harris était elle-même entrée dans l’histoire en devenant la première femme — une femme de couleur de surcroît — à accéder à la vice-présidence des États-Unis.

« La démocratie l’a emporté », a déclaré Joe Biden lors d’un discours d’investiture prononcé sur la même terrasse du Capitole qui avait été envahie par des émeutiers le 6 janvier dernier.

Élu à l’issue de sa troisième campagne présidentielle, Joe Biden devient, à 78 ans, la personne la plus âgée à occuper le bureau Ovale de la Maison-Blanche, où il a fait son entrée en après-midi pour signer une série de décrets. Il y a découvert une lettre signée par son prédécesseur qu’il a qualifiée de « généreuse ».

Le nouveau président démocrate hérite de plusieurs crises historiques — sanitaire, économique et politique — auxquelles il a fait allusion au cours d’un discours d’investiture de 21 minutes au ton à la fois personnel et solennel dont le mot « unité » a été le leitmotiv.

« Baisser la température »

« Pour surmonter ces défis, pour restaurer l’âme et assurer l’avenir de l’Amérique, il faut bien plus que des mots. Il faut la chose la plus insaisissable dans une démocratie : l’unité », a dit Joe Biden, exhortant ses compatriotes à faire « baisser la température » de la politique nationale et à mettre fin à une « guerre incivile » qui oppose les « rouges aux bleus », les « ruraux aux urbains », les « conservateurs aux libéraux ».

« La politique ne doit pas être un feu qui fait rage, détruisant tout sur son passage. Chaque désaccord n’a pas à être une cause de guerre totale. Et nous devons rejeter la culture dans laquelle les faits eux-mêmes sont manipulés, voire fabriqués », a-t-il dit.

La cérémonie d’investiture n’aura été en rien comparable aux plus récentes. Et pas seulement à cause des mesures de sécurité exceptionnelles qui ont empêché le public de se masser sur la grande esplanade du National Mall. Pour la première fois depuis 1869, un président sortant a boudé l’investiture de son successeur. Andrew Johnson, qui avait été le dernier à agir de la sorte, est considéré comme un des pires présidents de l’histoire américaine, en plus d’avoir mérité une réputation de raciste invétéré.

Le vice-président sortant Mike Pence était cependant présent, tout comme tous les présidents vivants, à l’exception de Jimmy Carter. Accompagnés de leurs femmes respectives, les George W. Bush, Bill Clinton et Barack Obama ont par la suite suivi Joe Biden et Kamala Harris au cimetière militaire d’Arlington, en Virginie, où ces derniers ont déposé une gerbe sur la tombe du Soldat inconnu. Il s’agissait d’un des nombreux gestes symboliques de la journée destinés à tourner la page d’une présidence qui a bafoué les normes et les traditions.

L’autre précédent

Kamala Harris n’a pas pris la parole au cours de la cérémonie d’investiture. Mais Joe Biden a fait allusion au précédent créé par cette fille d’immigrés jamaïcain et indienne.

PHOTO JONATHAN ERNST, AP

Kamala Harris et Joe Biden

« Nous voyons la première femme de l’histoire américaine élue à une fonction nationale, la vice-présidente Kamala Harris. Ne me dites pas que les choses ne peuvent pas changer », a-t-il déclaré.

Joe Biden a créé son propre précédent lors de son discours d’investiture. Jamais l’un de ses prédécesseurs n’avait choisi cette occasion pour promettre à la fois de combattre le racisme et le terrorisme intérieur fomenté par l’extrême droite.

Il faut peut-être remonter au deuxième discours d’investiture d’Abraham Lincoln, en pleine guerre civile, pour trouver quelque chose de semblable.

« Un appel à la justice raciale, en gestation depuis 400 ans, nous émeut. Le rêve d’une justice pour tous ne sera plus différé », a déclaré le 46e président.

Tout dans cette cérémonie d’investiture aura donc signalé la fin de l’ère Trump, y compris le poème récité par Amanda Gorman, poète de 22 ans, qui a fait référence à l’assaut du Capitole.

« Cet effort a presque réussi / mais si la démocratie peut être par instants retardée / elle ne peut être définitivement supprimée », a déclamé la jeune femme, captivant le public par sa fraîcheur, son élégance et son assurance.

« Un grand soulagement »

Accompagné par sa femme Melania, Donald Trump a quitté la Maison-Blanche un peu après 8 h. Montant à bord de l’hélicoptère Marine One, il s’est rendu à la base militaire d’Andrews, au Maryland, où l’attendaient Air Force One et une petite foule. Avant de monter à bord de l’avion présidentiel qui devait le transporter à Palm Beach, en Floride, il a prononcé un bref discours au cours duquel il a vanté ses réalisations et souhaité « bonne chance et beaucoup de succès » à la « nouvelle administration ».

« Ils ont les bases pour faire quelque chose de vraiment spectaculaire », a-t-il déclaré avant de promettre d’effectuer un retour « d’une façon ou d’une autre ».

Sharon McQuain, une démocrate de Caroline du Sud, craint ce retour. Mais elle a quand même jubilé en voyant à la télévision Donald Trump quitter la Maison-Blanche.

« C’est un énorme soulagement, a-t-elle déclaré en tentant de s’approcher du Capitole. Nous ne pensons pas qu’il disparaîtra, mais c’était bon de le voir partir de la Maison-Blanche. »

Michelle Hager, une autre démocrate de Caroline du Sud, a ajouté : « Nous sommes tout simplement ravies. Nous allons avoir de la normalité, du professionnalisme et de la civilité. »

Kevin Thomas, un résidant de Washington, se réjouissait de son côté du précédent créé par Kamala Harris. Père de trois jeunes filles, l’Afro-Américain de 31 ans a fréquenté l’Université Howard, alma mater de la nouvelle vice-présidente.

« C’est un grand jour pour les femmes noires, a-t-il dit après la cérémonie d’investiture. Je suis tout simplement heureux d’être témoin de ce moment historique. J’ai fait du porte-à-porte en Pennsylvanie pour aider le ticket démocrate. J’aime penser que j’ai tout fait pour catapulter les deux candidats démocrates. Et je suis très heureux pour la vice-présidente Harris. »

Les militants d’extrême droite étaient beaucoup moins heureux. Quasi invisibles à Washington mercredi, certains d’entre eux, dont les Proud Boys, ont exprimé leur déception à l’égard du 45e président cette semaine. « Trump sera jugé par l’histoire comme un échec total », a écrit le groupe extrémiste sur Telegram lundi.

Comme avait l’habitude d’écrire Donald Trump sur son défunt compte Twitter : « Triste ! »

La cérémonie en vidéos

Pour revoir la cérémonie en entier