(Washington) Encouragés par celui qui se proclame le président de la loi et de l’ordre, des centaines d’émeutiers ont semé mercredi l’anarchie et le chaos à Washington, envahissant le Capitole des États-Unis et interrompant la certification par le Congrès du résultat de l’élection présidentielle, dernière formalité avant l’investiture de Joe Biden à titre de 46e président.

Le siège du Capitole a commencé peu après la fin d’un discours de Donald Trump au cours duquel il a incité ses partisans à se diriger vers le bâtiment historique où les deux chambres du Congrès s’apprêtaient à confirmer la victoire électorale du président désigné. Durant la même allocution, le président a réitéré son appui aux parlementaires républicains qui avaient promis de s’opposer à la certification des grands électeurs de certains États.

« Nous allons marcher jusqu’au Capitole, et nous allons encourager nos courageux sénateurs et membres du Congrès », a déclaré Donald Trump en s’adressant à une foule de plusieurs milliers de personnes rassemblées sur la pelouse du National Mall, entre le monument de Washington et la Maison-Blanche, par une journée froide et venteuse.

« Nous ne reprendrons jamais notre pays avec la faiblesse. Vous devez faire preuve de force et vous devez être forts », a-t-il ajouté.

Le siège du Capitole, qui a duré plusieurs heures, a donné lieu à des images à la fois extraordinaires et consternantes pour un pays qui a l’habitude de vanter sa démocratie. Après avoir franchi des barrières métalliques et débordé des policiers trop peu nombreux, des émeutiers ont investi les lieux les plus augustes de l’édifice. On a vu l’un d’eux prendre ses aises dans le fauteuil du président du Sénat, un autre mettre les pieds sur le bureau de la présidente de la Chambre des représentants Nancy Pelosi, et un autre encore se promener dans la Rotonde avec le drapeau de guerre des États confédérés, symbole du racisme aux yeux de nombreux Américains.

PHOTO MIKE THEILER, REUTERS

Le vice-président Mike Pence et les élus ont été évacués. Grièvement blessée par une balle pendant l’assaut, une émeutière a succombé à ses blessures.

Digne d’« une république bananière »

« Ce n’est pas de la dissidence. C’est du désordre. C’est le chaos. C’est à la limite de la sédition, et cela doit cesser maintenant », a déclaré Joe Biden lors d’une brève allocution à Wilmington, au Delaware. « J’appelle cette foule à se retirer et à permettre au travail de la démocratie d’aller de l’avant. »

Le président désigné a également exhorté Donald Trump à faire une déclaration télévisée pour défendre la Constitution et exiger la fin du siège du Capitole.

Le président a préféré publier sur son fil Twitter une vidéo dans laquelle il a plutôt justifié ce que plusieurs personnalités républicaines, dont un ancien président, ont décrit comme une « insurrection ».

« Ce sont les choses et les évènements qui se produisent lorsqu’une victoire électorale sacrée est si peu cérémonieusement et si vicieusement retirée à de grands patriotes qui ont été mal et injustement traités pendant si longtemps. Rentrez chez vous avec amour et en paix. Souvenez-vous de ce jour pour toujours ! », a tweeté Donald Trump.

Twitter a supprimé ce gazouillis peu après et bloqué le compte du chef de la Maison-Blanche pour 12 heures.

Le 43e président, George W. Bush, a donné une interprétation des évènements du jour aux antipodes de celle de Donald Trump.

« C’est ainsi que les résultats des élections sont contestés dans une république bananière », a-t-il déclaré dans un communiqué, dénonçant une « insurrection », mot également utilisé par le sénateur républicain de l’Utah Mitt Romney et le chef de la majorité au Sénat Mitch McConnell.

Donald Trump avait fait la promotion de la manifestation de mercredi à plusieurs reprises sur son compte Twitter. S’il refuse d’accepter le résultat du scrutin du 3 novembre par opportunisme, ce n’est pas le cas des milliers d’Américains qui se sont réunis mercredi à Washington pour contester la certification des grands électeurs de certains États-clés.

Ceux-ci ne semblent entretenir aucun doute concernant la validité des allégations du président. Et beaucoup d’entre eux estiment que la violence est nécessaire pour corriger ce qu’ils considèrent comme une injustice.

La guerre ? Yes, sir !

« Je n’appelle pas ça de la violence, j’appelle ça du patriotisme », a dit Jeff Autry, ancien combattant âgé de 58 ans domicilié dans l’Indiana. « J’ai prêté serment en 1981 et promis de défendre la Constitution des États-Unis contre ses ennemis étrangers et intérieurs. Et tel que je vois les choses aujourd’hui, nous sommes attaqués par des ennemis intérieurs. Je n’ai aucun problème à prendre mon arme de nouveau et à me battre. »

Luke Wademan, autre ancien combattant, a tenu le même discours, appelant à une nouvelle « guerre civile » (après la guerre de Sécession de 1861-1865) si Mike Pence ne parvenait pas à bloquer la certification du résultat de l’élection présidentielle, comme le réclamait Donald Trump.

« J’espère que Mike Pence fera ce qu’il faut », a déclaré cet ingénieur de 57 ans originaire de la Géorgie. « Mais presque toutes les personnes à qui j’ai parlé aujourd’hui croient que nous avons besoin d’une guerre pour assainir la nation, pour mettre fin à la corruption. »

Nous ne voulons pas la guerre. Mais nous n’avons pas le choix. Les branches législative et judiciaire de notre gouvernement ne font rien pour combattre l’injustice. Nous, le peuple, devrons donc prendre les choses en main.

Luke Wademan, ancien combattant et ingénieur

Il y avait parmi les partisans de Donald Trump des gens qui appartenaient de toute évidence à des groupes d’extrême droite, dont les Proud Boys, les Oath Keepers et les Three Percenters. Mais chaque personne présente exprimait à sa façon un certain extrémisme.

« Je vais entrer dans le Capitole. Pence a intérêt à faire les choses correctement », a déclaré Katherine Zampitella, une camionneuse née il y a 60 ans à Philadelphie, en marchant à grands pas en direction du siège du Congrès, alors que Donald Trump s’adressait encore à des milliers de personnes.

« Je vais probablement finir la journée derrière les barreaux », a-t-elle ajouté.

Le début ou la fin ?

Utilisant des bombes fumigènes et assourdissantes, la police du Capitole a fini de disperser les derniers émeutiers vers 17 h, soit une heure avant le début d’un couvre-feu imposé par la mairesse de Washington Muriel Bowser. Ce n’est qu’au début de la soirée que des renforts policiers et militaires ont fait leur apparition.

PHOTO BRENDAN SMIALOWSKI, AFP

La question est de savoir pourquoi ces forces n’avaient pas été déployées plus tôt dans la journée. Et pourquoi seulement 26 émeutiers ont été arrêtés.

À 20 h, les deux chambres du Congrès ont repris leurs travaux. D’entrée, Mike Pence et Mitch McConnell ont dénoncé les émeutiers.

À ceux qui ont semé le chaos dans notre Capitole aujourd’hui, vous n’avez pas gagné. La violence ne gagne jamais. La liberté gagne.

Mike Pence, vice-président des États-Unis

Le chef de la minorité au Sénat Chuck Schumer a déclaré que le 6 janvier 2021 resterait un « jour d’infamie » dans l’histoire américaine, utilisant l’expression de Franklin Roosevelt pour qualifier l’attaque du Japon contre Pearl Harbor le 7 décembre 1941.

« Tout ce que je peux dire c’est ne comptez plus sur moi, assez c’est assez, a dit Lindsey Graham, sénateur républicain de la Caroline du Sud et proche allié de Donald Trump depuis les débuts de sa présidence. C’est terminé, [Biden] a gagné. Il est le président légitime des États-Unis. »

AP

Lindsey Graham

« À ceux qui ont participé à la profanation jubilante de ce temple de la démocratie américaine, justice sera rendue », a menacé Nancy Pelosi, cheffe de la majorité démocrate à la Chambre des représentants.

Mitt Romney, sénateur républicain de l’Utah et candidat défait à la présidence en 2012, a qualifié les sénateurs votant contre la certification des résultats de l’élection de « complices d’une attaque sans précédent contre notre démocratie. On se souviendra de leur rôle dans cet épisode honteux de l’histoire américaine. »

Les deux chambres se promettaient de poursuivre leurs travaux jusqu’à une heure avancée de la nuit pour compléter la certification du résultat de l’élection présidentielle. Plusieurs sénateurs républicains ont retiré leur objection à cette certification à la suite du siège du Capitole.

Les émeutiers de Washington les considéreront sans doute comme des traîtres. Certains d’entre eux ont quitté le Capitole en lançant un avertissement qui n’est peut-être pas de simples paroles en l’air.

« Ce n’est pas la fin. Ce n’est que le début », ont-ils dit.