« C’est le genre de choses qu’on s’attend à voir dans une jeune démocratie, dans un pays étranger. Le genre de situation où les États-Unis seraient intervenus pour dire que ce n’est pas acceptable, que le perdant devrait reconnaître sa défaite. »

Au bout du fil, Josh Pasek est sonné. « Complètement sous le choc », dit-il, en repassant les évènements de la semaine au Michigan, où il enseigne à l’université de l’État. « C’est difficile d’être impartial, mais d’une façon indiscutable, on assiste à une tentative antidémocratique d’invalider les résultats d’une élection. »

Près de trois semaines après le scrutin, le décompte officiel des votes s’achève sans grand changement par rapport aux résultats non définitifs, les allégations de fraude invoquées devant les tribunaux s’écrasent les unes après les autres, mais les républicains proches de Donald Trump ne baissent pas les bras. Ces derniers jours, c’est sur le front de la certification des résultats électoraux que la bataille fait rage.

Cette procédure officielle se déroule habituellement sans coup d’éclat, puisqu’elle entérine des résultats déjà connus.

Dans une nouvelle tentative pour faire dérailler l’élection de Joe Biden, l’entourage du président Trump pèse de tout son poids pour stopper la procédure, notamment au Michigan, où la certification doit avoir lieu lundi.

L’attention s’est centrée cette semaine sur le comté de Wayne, qui englobe la ville de Detroit. Au début de la semaine, deux agents électoraux républicains, Monica Palmer et William Hartmann, ont refusé de certifier les résultats, invoquant un écart entre le nombre d’électeurs inscrits et le nombre de bulletins de vote comptabilisés dans certains bureaux. Mais les autorités électorales ont déclaré mardi que ces irrégularités concernaient « quelques centaines de votes », alors que le démocrate Joe Biden a obtenu 330 000 voix de plus que Donald Trump dans ce comté. Cet écart, ont fait valoir les experts, est davantage le résultat d’une erreur humaine que la preuve qu’une fraude importante a été commise.

PHOTO CARLOS OSORIO, ASSOCIATED PRESS

Monica Palmer, agente électorale républicaine du comté de Wayne, dans l’État du Michigan

Devant la colère d’électeurs et autres représentants du comté, les deux agents républicains ont finalement accepté de certifier les résultats dans Wayne mardi soir, confirmant la victoire de Biden. Mais mercredi soir, dans une déclaration sous serment, ils ont annoncé vouloir revenir sur leur décision. La raison ? Ils disaient ne plus croire que les autorités allaient tenir un audit concernant les irrégularités avant la certification des résultats de l’État, lundi, comme ils l’avaient réclamé.

Mais surtout, les agents Palmer et Hartmann ont signé leur déclaration sous serment… après avoir reçu un coup de fil de Donald Trump. Qui les a invités vendredi, à la Maison-Blanche. Une démarche qualifiée d’« abus de pouvoir » et de « tentative délibérée d’intimider des responsables électoraux », a déclaré Bob Bauer, avocat de l’équipe Biden. Le sénateur républicain Mitt Romney, quant à lui, a accusé le président d’exercer « des pressions manifestes sur les autorités nationales et locales » pour « saboter la volonté du peuple ». « Il est difficile d’imaginer une action pire et plus antidémocratique de la part d’un président américain en exercice. »

La Géorgie à Biden

Pendant que les autorités électorales du Michigan doivent se réunir lundi pour certifier les résultats de l’État, la Géorgie a complété la procédure vendredi, au terme d’un recomptage manuel des cinq millions de bulletins de vote enregistrés. Joe Biden a officiellement remporté l’État – et ses 16 grands électeurs – par une petite marge de 12 000 voix.

« Les chiffres ne mentent pas », a martelé vendredi le secrétaire de l’État et responsable des élections, le républicain Brad Raffensperger, lui-même un partisan de Trump. « Je crois que les chiffres que nous vous avons présentés aujourd’hui sont corrects. »

Pour la professeure Andra Gillepsie, de l’Université Emory à Atlanta, le secrétaire d’État aurait dû être plus prudent dans ses propos lorsqu’il a lancé le recomptage. « Raffensperger a affirmé que Joe Biden avait gagné la Géorgie, mais il a ensuite repris l’idée, mise de l’avant par le président Trump et ses partisans, que les bulletins de vote par correspondance étaient plus susceptibles de faire l’objet d’une fraude. » L’intégrité du processus électoral ne doit pas être prise à la légère, dit-elle.

En évoquant [l’idée d’une fraude], il n’a pas détrompé les partisans de Trump sur leurs hypothèses mal informées selon laquelle les démocrates ont volé cette élection.

Andra Gillepsie, de l’Université Emory à Atlanta

Lundi, donc, le Michigan et la Pennsylvanie devraient normalement officialiser la victoire de Joe Biden dans leurs États respectifs. Au Michigan, si les autorités électorales se trouvaient dans l’impossibilité de certifier les résultats lundi, il reviendrait aux législateurs de l’État (majoritairement républicains) de le faire. Et s’ils décidaient de passer outre le résultat des urnes et d’imposer aux grands électeurs du Michigan de choisir M. Trump, la gouverneure démocrate aurait le pouvoir d’intervenir. Et de toute façon, les démocrates n’ont techniquement pas besoin du Michigan pour obtenir une majorité au collège électoral.

Ce qui fait que même s’il est semé d’embûches, le chemin vers la victoire officielle de Joe Biden est inéluctable, s’entendent les experts. Mais les dommages sur la présidence Biden, par contre, risquent de durer longtemps. « Le résultat de tout ça, c’est une atteinte majeure à la perception de la légitimité du président Biden, dit Josh Pasek. Il sera encore plus difficile de gouverner les États-Unis, et ça contribuera à la détérioration des relations entre les partis et leur capacité à régler des problèmes sérieux, dont la lutte contre le coronavirus. »