C’est le succès mondial annoncé. Dans une sortie aux allures de superproduction, le premier tome des mémoires de Barack Obama, A Promised Land (Une terre promise) a été lancé mardi dans 23 pays, au terme d’une campagne de marketing bien huilée. Dans cet ouvrage volumineux, qui fait plus de 840 pages en version française, le 44président des États-Unis raconte son ascension et les moments forts de son parcours, des primaires de l’Iowa à la mort de ben Laden. Extraits.

Des débuts en dents de scie

En 2000, à l’aube de son parcours politique, Obama est battu à la primaire démocrate pour être candidat à la Chambre des représentants. En proie au doute, le futur président des États-Unis remet en question son choix de carrière. « J’avais presque 40 ans, j’étais fauché, je sortais d’une défaite humiliante et mon couple traversait une passe difficile. J’ai songé, pour la première fois de ma vie peut-être, que j’avais pris un mauvais virage ; que les ressources d’énergie et d’optimisme que je croyais posséder, le potentiel sur lequel j’avais toujours parié, venaient d’être intégralement dépensés en pure perte pour une quête futile. Pire encore, j’étais conscient que ma prétention à me faire élire au Congrès m’avait été dictée non par quelque rêve désintéressé, l’ambition de changer le monde, mais par le besoin de justifier les choix que j’avais déjà faits, ou de flatter mon ego […] Autrement dit, j’étais devenu exactement ce que je m’étais promis, quand j’étais plus jeune, de ne pas devenir. J’étais devenu un homme politique — et pas le plus brillant. »

PHOTO JASON REED, ARCHIVES REUTERS

Barack Obama et Joe Biden, en septembre 2008

Joe Biden, « mon exact opposé »

Candidat démocrate à l’élection présidentielle de 2008, Barack Obama va demander à Joe Biden d’être son colistier. Les deux hommes ont peu en commun, mais Obama sait qu’il pourra compter sur un politicien d’expérience. « Joe était mon exact opposé, du moins sur papier. Il avait 19 ans de plus que moi. J’étais un outsider dans l’univers de Washington ; lui siégeait depuis 35 ans au Sénat. […] Et alors que je passais pour quelqu’un de calme et de pondéré, prudent dans l’usage de mes mots, Joe était tout feu tout flamme, un homme dépourvu d’inhibitions, qui se faisait toujours un plaisir de partager avec vous tout ce qui lui passait par la tête. […] À mesure que j’ai appris à le connaître cependant, je me suis vite aperçu que ses bourdes occasionnelles étaient triviales au regard de ses qualités. »

PHOTO ERIC DRAPER, ARCHIVES ASSOCIATED PRESS

George W. Bush et son successeur, Barack Obama, en novembre 2008

Première visite au bureau Ovale

Barack Obama vient d’être élu 44e président des États-Unis. Quelques jours plus tard, avec sa femme Michelle, il rend visite au président sortant George W. Bush, qui reçoit le couple avec sa femme Laura. « Le président et moi avons abordé un large éventail de sujets — l’économie et l’Irak, la presse et le Congrès —, lui ne démentant jamais sa réputation d’homme jovial et un brin agité. Il a ensuite porté des jugements sans détour sur quelques hauts responsables politiques étrangers et m’a prévenu que ce seraient des gens de mon propre parti qui finiraient par me causer les plus gros soucis. […] J’étais conscient qu’il y avait nécessairement des limites à la franchise d’un président s’entretenant avec son successeur — surtout lorsque ce dernier avait à ce point critiqué son bilan. J’étais également conscient que, en dépit de la bonne humeur apparente du président Bush, ma présence dans le bureau qu’il allait bientôt libérer devait susciter chez lui des émotions contradictoires. »

Nicolas Sarkozy, le « coq nain »

Au fil de son récit, Obama revient sur ses rencontres avec d’autres chefs d’État. Certaines descriptions sont plus drôles que d’autres. « Ce qui manquait à Sarkozy en matière de cohérence idéologique, il le compensait par l’audace, le charme et une énergie frénétique. Les discussions avec Sarkozy étaient ainsi tour à tour amusantes et exaspérantes, ses mains en mouvement perpétuel, sa poitrine bombée comme celle d’un coq nain, son interprète personnel toujours à ses côtés, reflet exalté de chacun de ses gestes, de chacune de ses intonations, tandis que la conversation passait de la flatterie à la fanfaronnade, sans manquer d’une authentique perspicacité, ni jamais s’éloigner de son intérêt premier, à peine déguisé, qui était de se trouver au cœur de l’action et de s’attribuer le mérite de tout ce qui valait qu’on s’en attribue le mérite. »

PHOTO STEPHEN CROWLEY, ARCHIVES THE NEW YORK TIMES

Vladimir Poutine et Barack Obama, en 2013

Poutine et « l’absence de scrupules »

La première rencontre avec Poutine ne se passe pas très bien. Le deux hommes se rencontrent dans la datcha du président russe, près de Moscou, et croisent le fer pendant plus de deux heures. Obama en sort avec une bien mauvaise impression… « Poutine me rappelait le genre d’hommes qui dirigeaient Tammany Hall ou l’équipe de lacrosse des Chicago Machine, des tempéraments durs, roublards, froids, pétris de certitudes, qui avaient une vision du monde étriquée et considéraient le clientélisme, les pots-de-vin, l’extorsion, la tricherie et parfois la violence comme des recours légitimes. Pour eux, comme pour Poutine, la vie était un jeu à somme nulle ; on pouvait traiter avec des personnes extérieures au clan, mais jamais leur faire totalement confiance. On assurait d’abord ses arrières, puis ceux des proches. Dans leur monde, l’absence de scrupules et le mépris envers toute ambition plus élevée que l’accroissement de leur pouvoir n’étaient pas des défauts, c’étaient des atouts. »

Donald Trump « mis en boîte »

Le 1er mai 2011, au traditionnel dîner des correspondants de la Maison-Blanche, Obama s’adresse à Donald Trump qui est assis dans la salle. Le magnat de l’immobilier, qui a mené campagne pour mettre en doute l’authenticité de l’acte de naissance du président, est ridiculisé devant tout le monde. « L’assistance riait aux éclats ; au milieu, Trump, muet, souriait jaune. Je n’imaginais même pas les pensées qui avaient pu le traverser pendant les quelques minutes où je l’avais mis en boîte devant tout le monde. Ce dont j’étais sûr, c’est qu’il savait faire le spectacle et que, en 2011, aux États-Unis, cela constituait en soi une forme de pouvoir. La monnaie avec laquelle commerçait Trump, quoique superficielle, semblait prendre chaque jour un peu plus de valeur. Les journalistes qui riaient à mes blagues continueraient à l’inviter. Leurs employeurs se battraient pour l’avoir à leur table. Loin d’être ostracisé à cause des conspirations qu’il avait colportées, il apparaissait au contraire plus influent que jamais. »

La mort d’Oussama ben Laden

PHOTO ARCHIVES REUTERS

Barack Obama a assisté en temps réel à l’opération militaire qui a culminé avec la mort d’Oussama ben Laden.

« Pour la première et unique fois de ma présidence, j’assistais à une opération militaire en temps réel. Des formes spectrales traversaient l’écran. Nous étions là depuis une minute à peine quand l’un des Black Hawks a légèrement vacillé au cours de sa descente et, avant que j’aie le temps de comprendre ce qui se passait, McRaven nous expliquait que l’hélicoptère avait momentanément perdu de sa portance et touché un des murs du complexe. Une décharge de frayeur m’a traversé pendant qu’un film catastrophe se jouait dans ma tête. […] Pendant vingt minutes insoutenables, même McRaven n’a eu qu’une version limitée de ce qui se passait. Et puis, avec une soudaineté à laquelle je ne m’attendais pas, nous avons entendu McRaven et Leon prononcer, presqu’au même instant, les mots que nous espérions et qui signalaient l’aboutissement de plusieurs mois de préparatifs et de plusieurs années de collecte d’informations. “Geronimo identifié… Geronimo abattu.” »

3,4 millions d’exemplaires

Le livre était si attendu que l’éditeur Crown, filiale de Penguin Random House (premier éditeur mondial), en a tiré 3,4 millions d’exemplaires au lieu des 3 millions prévus à l’origine. Rappelons que l’éditeur Penguin Random House s’était assuré les droits des mémoires de Barack et de Michelle Obama en 2017, pour la modique somme de 60 millions de dollars. Un contrat mirobolant qui dépasse de loin ceux de George W. Bush (10 millions de dollars) et de Bill Clinton (15 millions).