Il y a longtemps que j’ai hâte d’écrire cette chronique.

Vraiment longtemps.

Je voulais la rédiger en 2016. J’étais sûre que ça y était. J’étais même allée à New York en espérant, convaincue de pouvoir raconter l’histoire, vue de la rue, de l’élection de la première femme à la présidence, Hillary Clinton.

Évidemment, la suite des choses fut bouleversante. Un cauchemar, pour être précise.

Cette fois-ci, tout est différent. Mais la nouvelle est formidable.

PHOTO JIM WATSON, AGENCE FRANCE-PRESSE

La sénatrice Kamala Harris, d’origine indienne et jamaïcaine, devient la première femme vice-présidente des États-Unis.

J’écris, enfin, sur Kamala Harris, la première femme à entrer à la Maison-Blanche par la porte de la vice-présidence.

En plus, c’est une femme d’origine indienne et jamaïcaine. On parle donc ici d’une double première : il n’y a jamais eu quelqu’un de non blanc à la vice-présidence.

Et cette femme qui incarne les métissages de l’Amérique moderne est aussi le visage d’un très, très important phénomène qui s’est produit durant cette élection : la sortie massive des femmes noires en faveur des démocrates. Des femmes qui avaient voté pour Hillary en 2016. Et qui ont de nouveau appuyé les bleus en 2020. Plus de 90 % d’entre elles ont voté en ce sens.

Des femmes de Detroit, Atlanta, Milwaukee, Philadelphie, qui ont fait pencher la balance en faveur de Joe Biden et Kamala Harris à la ligne d’arrivée. Ces votes arrivés par la poste comme pour sauver avec leurs ailes les États-Unis d’une catastrophe prolongée.

Leur dira-t-on assez merci ?

Si vous avez regardé les réseaux américains, vous avez sûrement entendu souvent le nom de Stacey Abrams, un parfait exemple de ces femmes qui ont joué un rôle clé, dans son cas en Géorgie.

PHOTO BRYNN ANDERSON, ASSOCIATED PRESS

Stacey Abrams était candidate au poste de gouverneur en Géorgie en 2018.

Candidate démocrate au poste de gouverneur de cet État du Sud, première femme noire à briguer un tel poste de l’histoire des États-Unis, défaite en 2018 à la suite d’une élection où de nombreuses irrégularités avérées ont été constatées, c’est elle qui a travaillé d’arrache-pied depuis deux ans pour s’assurer que les Noirs soient bien inscrits sur la liste électorale et puissent voter.

On peut facilement imaginer ce que lui doivent les démocrates, sachant que la marge victorieuse dans cet État était de quelque 9000 votes au moment d’écrire ces lignes…

Grâce à leur travail pour l’élection des démocrates, ce sont des femmes comme Stacey Abrams qui ont ramené la gratitude, le respect, la générosité et l’humanité à la Maison-Blanche.

Et ce sont aussi des femmes comme celles du fameux « Squad », les quatre démocrates élues à la Chambre des représentants en 2018, Alexandria Ocasio-Cortez de l’État de New York, Rashida Tlaib du Michigan, Ilhan Omar du Minnesota et Ayanna Pressley du Massachusetts, toutes au premier plan d’un nouvel engagement politique des femmes de couleur américaines, toutes réélues, qui ont encouragé la mobilisation.

J’espère que la présence de Kamala Harris sera ce qui nous rappellera, au quotidien, tout ce qu’on doit à cette génération de femmes politiques qui se sont battues dans les tranchées contre le régime Trump.

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Mais la liste des premières ne s’arrête pas là.

Avec Harris, c’est la première fois qu’une femme arrive à la Maison-Blanche sous son propre nom ! Pas celui de son mari. Ici, au Québec, il est parfaitement banal de ne pas changer de nom en se mariant. C’est ce que prévoit le Code civil. Pas aux États-Unis, où seulement 20 % des femmes mariées choisissent de garder le nom inscrit sur leur acte de naissance. Juste par son nom, Kamala dépoussière l’institution.

Autre grand signe de modernité et autre première : la femme de Joe Biden a dit qu’elle continuerait de travailler. Professeure d’anglais, elle avait d’ailleurs poursuivi ses fonctions au Northern Virginia Community College, alors que son mari était vice-président.

Elle entend faire la même chose après janvier. Actuellement, elle est en congé, pour accompagner son mari en campagne électorale. Mais elle a clairement fait savoir à plusieurs médias américains qu’elle avait l’intention non seulement de poursuivre sa carrière – elle a un doctorat en éducation –, mais aussi d’en profiter pour valoriser la profession de professeur.

Traditionnellement, les femmes des présidents n’ont pas d’emploi payé en marge de leurs fonctions officielles. Même Michelle Obama a abandonné sa carrière d’avocate pour suivre son mari.

J’ai trouvé aussi toutes ces réalités inédites sur différents médias américains.

La républicaine Yvette Herrell ainsi que les démocrates Teresa Leger Fernandez et Debra Haaland ont toutes été élues pour représenter le Nouveau-Mexique au Congrès. C’est la première fois qu’un État n’envoie que des femmes non-caucasiennes à la Chambre des représentants. À noter aussi : Mme Herrell est la première républicaine élue issue d’une Première Nation.

Sarah McBride est la première femme trans élue au Sénat d’un État, le Delaware.

PHOTO SAUL LOEB, AGENCE FRANCE-PRESSE

Sarah McBride

Cori Bush est la première femme noire élue pour représenter le Missouri.

Ensuite, les démocrates new-yorkais Mondaire Jones et Ritchie Torres sont les deux premiers Noirs gais à être élus à la Chambre des représentants.

Marilyn Strickland sera la première Coréano-Américaine et la première Noire à représenter l’État de Washington au Congrès.

Nancy Mace sera la première femme républicaine à représenter la Caroline du Sud au Congrès.

Et Mauree Turner, démocrate qui s’est fait élire en Oklahoma, sera la première personne non binaire à siéger dans une législature d’État.

Et une dernière première : Charmaine McGuffey a été élue shérif du comté de Hamilton County en Ohio. La particularité de son élection ? Elle a battu dans une primaire son ancien patron qui l’avait mise à la porte à cause de son orientation sexuelle. Et maintenant, cette lesbienne engagée dans la défense des droits des LGBTQ a en plus gagné son élection.

Donc l’Amérique est clivée, certes, et Donald Trump n’a pas perdu la présidence par le raz-de-marée bleu que tant espéraient.

Mais le cœur progressiste du pays bat encore bien fort. Et Kamala Harris sera là pour en être le visage, tous les jours, à Washington.