(Washington) Joe Biden, élu samedi à la Maison-Blanche, a promis de restaurer le leadership américain et de rassembler les alliés démocratiques des États-Unis, mais sa politique étrangère devra composer avec le monde chamboulé hérité de Donald Trump et ne pourra se contenter d’un simple retour en arrière.

Les alliés traditionnels de Washington, malmenés par la diplomatie trumpiste, se sont précipités pour féliciter le futur président, donnant l’impression d’être pressés de tourner la page sans attendre que le milliardaire reconnaisse sa défaite.

« J’ai hâte de coopérer étroitement sur nos priorités communes, du changement climatique au commerce et à la défense », a réagi rapidement le premier ministre britannique Boris Johnson, un des dirigeants européens les plus proches de Donald Trump, saluant le « succès historique » du démocrate.

La chancelière allemande Angela Merkel a insisté sur les liens transatlantiques « irremplaçables » et le président français Emmanuel Macron a appelé à agir « ensemble » face aux « défis d’aujourd’hui », alors qu’Américains et Européens ont paru divisés au cours de quatre dernières années.

Joe Biden a promis de faire en sorte que « l’Amérique guide à nouveau le monde », dénonçant un « recul » de la « crédibilité » et de « l’influence des États-Unis » depuis 2016.

Sur plusieurs sujets, la rupture avec Donald Trump devrait être flagrante.

Joe Biden veut ré-adhérer, au premier jour de son mandat, à l’accord de Paris sur le climat, dont le président républicain est sorti, puis renouer avec l’Organisation mondiale de la santé, abandonnée en pleine pandémie.

Il propose d’organiser, pendant sa première année à la Maison-Blanche, un « sommet des démocraties » pour réaffirmer l’attachement des États-Unis au multilatéralisme et à leurs alliés, pris d’assaut pendant quatre ans.

Confrontation avec la Chine

Pour Célia Belin, du cercle de réflexion Brookings Institution, « il y a un risque » que l’ancien vice-président de Barack Obama, âgé de 77 ans, « voie le monde tel qu’il était quand il a quitté les affaires » il y a quatre ans « et non comme il est aujourd’hui », et soit tenté par un simple « retour à la normale ».

« Mais le monde a changé et Trump a changé le jeu sur trop de sujets pour que ce soit possible », d’autant qu’à gauche, de jeunes conseillers ont fait évoluer la doctrine, dit-elle à l’AFP.

Le secrétaire d’État français aux Affaires européennes, Clément Beaune, prévient d’ailleurs que le Vieux Continent ne devra pas considérer « que la situation sera comme avant l’élection du président Trump ».

« Certaines tendances de la présidence Trump — la pression sur l’Union européenne au sujet de sa participation à l’effort de défense, la fermeté sur le commerce et la confrontation avec la Chine — vont, je pense, se poursuivre d’une manière ou d’une autre », a-t-il dit à des journalistes à Washington.

Styles aux antipodes

Au-delà d’un style aux antipodes, Donald Trump et Joe Biden sont sur la même longueur d’onde sur des sujets-clés.

Le premier, novice en politique, a tenté de « mettre fin aux guerres sans fin » et a commencé, sans grande concertation, à retirer les soldats américains de Syrie, d’Irak et d’Afghanistan.

Le second a regretté son vote pour la guerre en Irak en 2003 et a fait sa mue à mesure que l’opinion manifestait sa fatigue face à l’interventionnisme militaire.

Il est donc improbable qu’il renvoie de gros contingents en Afghanistan — préférant miser sur des missions contreterroristes des forces spéciales.

Joe Biden, représentant d’une classe dirigeante qui a longtemps espéré que la Chine se démocratiserait à la faveur de son ouverture économique, affiche aussi son évolution sur ce sujet capital, à l’heure où Washington et Pékin semblent s’engager dans une nouvelle Guerre froide.

« Les États-Unis doivent être fermes avec la Chine », martèle désormais le démocrate, dépeint comme « faible » par Donald Trump.

Bill Burns, un ex-diplomate qui préside l’organisation Carnegie Endowment for International Peace, estime que la gestion de cette compétition stratégique déterminera « le succès ou l’échec de la politique étrangère américaine ».

Selon lui, une administration Biden se concentrera davantage sur la création d’un réseau d’alliances en Asie, « non pas pour empêcher la montée en puissance de la Chine, car les États-Unis n’en ont pas les moyens, mais pour façonner l’environnement de son émergence ».

Reste à savoir si, sur la Chine et le commerce, mais aussi dans le bras de fer nucléaire avec l’Iran ou la Corée du Nord, Joe Biden, qui devra probablement composer avec un Sénat républicain, s’appuiera sur les marges de manœuvres créées tant bien que mal par le président sortant.

« Ou alors aura-t-il la tentation, comme Trump l’a fait, d’effacer tout ce qu’a réalisé son prédécesseur pour tout recommencer à zéro ? », s’interroge Célia Belin. « Il risquerait de rencontrer des partenaires fatigués ».