On raconte qu’à la fin de sa dictature, Mussolini a tenté de fuir vers le nord, dans un réduit alpin. Avec pour seul entourage sa maîtresse, une poignée de fascistes irréductibles et une escorte de soldats nazis. Quand il a été rattrapé, il était déguisé en sergent de l’aviation allemande, mais on l’a vite repéré, avec son casque à l’envers.

Il a été fusillé. On l’a pendu par les pieds.

Ces pratiques n’ont plus cours. On ne fusille plus les dictateurs déchus, on ne décapite plus les opposants au régime, comme le déplorait jeudi cette crapule de Steve Bannon, grand inspirateur de Donald Trump.

Bannon a été conseiller personnel du président des États-Unis. Il suggérait jeudi de décapiter le directeur du FBI et le docteur Anthony Fauci, et de piquer leurs têtes sur la clôture de la Maison-Blanche, en guise d’avertissement à tous les employés de l’État qui voudraient résister au « programme » d’un président, comme au temps des Tudors. Le fascisme ne tolère aucune contradiction, aucun contre-pouvoir.

PHOTO BRENDAN SMIALOWSKI, AGENCE FRANCE-PRESSE

Donald Trump quitte la salle de presse de la Maison-Blanche après une conférence de presse, le 5 novembre.

Donald Trump a perdu. Tout le monde le sait. Ne restent autour de lui que quelques fidèles, sa famille et des illuminés.

L’ancien maire de New York et « avocat » du président, Rudolph Giuliani, espion russe plus ou moins volontaire dans une comédie italienne. Les fils Trump, avec leur gueule à faire une annonce de méthamphétamine. Ted Cruz, qui peut-être passera à l’histoire pour avoir prostitué la prostitution.

Ainsi s’achève cette présidence : dans la rage et le ressentiment, dans le déni et l’autodestruction. Dans la dégradation institutionnelle terminale.

Mais c’est fini.

Et comme par une sorte de poésie chaotique de l’histoire, c’est de Philadelphie que la nouvelle est venue. C’est de là, dans cette ville afro-américaine entre toutes, que la Pennsylvanie a remis sa veste à l’endroit.

Avez-vous déjà visité Independence Hall ? C’est là qu’il y a 250 ans, une cinquantaine d’hommes blancs se sont réunis pour rédiger la Constitution. On imagine un endroit majestueux où l’on a écrit avec une plume d’oie des mots devenus sacrés… La poursuite du bonheur… tous les hommes sont créés égaux (enfin, s’ils sont blancs…). Etc.

C’est à peine une salle des délibérations. C’est émouvant à force d’être sobre et petit. La démocratie a beau être une grande idée, c’est dans les petits trucs qu’elle arrive. Des anonymes qui se réunissent jour et nuit pour compter des bulletins de vote. Un, deux, trois… Des gens raisonnables des deux partis. Ils comptent ensemble. Ils transpirent. Ils se grattent. Ils commandent du poulet.

Tiens, c’est Biden. Ah ben, oui. Bonne nuit, tout le monde.

C’est ainsi, à la mitaine, que l’homme « le plus puissant au monde » est choisi. Le monde entier compte sur ces compteurs de bulletins glorieux.

Et deux jours plus tard, ils nous disent : ce sera Joe Biden.

***

Il est trop tôt pour le « déclarer ». Ni l’Associated Press ni aucun grand média ne le fera, alors vous pensez bien, ce n’est pas de Montréal que la nouvelle viendra.

Mais tout le monde le sait quand même. C’est fini. Trump hurle encore, comme un troll qu’on a masqué sur les réseaux sociaux, je veux dire : dans le vide. Lui aussi sait comment le film va finir.

Quatre ans. Quatre ans qu’on voit ce pays se renier. Pas « le pays », non. Il y a de nombreux pays dans ce pays. Disons : ceux qui le représentent au plus haut niveau, ceux qui prétendent en préserver l’âme, ceux qui s’enveloppent dans le drapeau, ceux qui font la morale au monde entier. Et qui se sont prostitués moralement pour sauver la peau de ce charlatan.

Quatre ans qu’on essaie de ne pas s’habituer. De comprendre ce qui a pu arriver à ce pays, à sa présidence, pour que le mensonge, la corruption, le racisme deviennent « normaux », tolérés ou célébrés.

Veux, veux pas, on se fait des anticorps. On se protège contre cette infection. Il est même de mauvais ton de s’émouvoir devant le dernier tweet de Trump. Son dernier missile contre un juge « mexicain », contre John McCain, contre le docteur Fauci… Ben oui, Trump, c’est Trump, ne vous énervez pas.

Je m’énerve encore.

Jeudi, même si je savais ce qu’il allait dire, je ne pouvais pas croire que le président des États-Unis parle comme un fasciste, invente des complots, attaque ce qu’il y a de plus sacré dans son pays, pendant que partout, des gens de tous les partis comptent ensemble chaque vote.

Quatre ans qui ont mené à quoi ? Un match presque nul. Il a fallu un élan démocrate énorme pour le renverser. Tant de gens acceptent d’être gouvernés par ce voyou, quelles que soient leurs raisons ou leur religion. Il n’y a pas eu ce grand congédiement. Même les républicains se sont mobilisés pour lui sauver la peau.

Mais aujourd’hui, c’est fini.

Le théâtre politique se déplace devant les tribunaux, mais la comédie est terminée. C’est d’ailleurs pourquoi il s’en remet aux juges : il a trop perdu.

Je sais, Joe Biden est un homme fatigué. Je sais, les États-Unis restent le même pays, avec un Congrès tendu au maximum. Il n’y aura pas de lendemains qui chantent. Joe Biden prend le contrôle de ce pays dans le plus creux.

Mais déjà, si le trumpisme lui survit, Trump achève, dans son réduit, le casque à l’envers.

Ce ne sera plus le président des États-Unis. « Ça » ne sera plus le président.

Un semblant de normalité est possible. Un minimum de prévisibilité.

Enfin.