(Philadelphie) Séparés par des barrières métalliques et une rangée de policiers, ils incarnaient le fossé qui divise les États-Unis, avec leurs pancartes, leurs slogans et leurs vêtements contrastants. Mais ils s’entendaient sur un point précis en cette matinée ensoleillée à Philadelphie, plus grande ville de Pennsylvanie, un des États-clés de l’élection présidentielle de 2020 : leur pays est devenu une république bananière.

« Cela ne me dérange pas de perdre », a dit Ray Cortes, en brandissant une pancarte aux couleurs du ticket Trump-Pence. « Perdre d’une façon juste et équitable, c’est correct. Chacun a eu sa chance. Mais il y a tellement de manigances, c’est horrible. Nous sommes censés être un des pays les plus avancés du monde et ça prend trois ou quatre jours pour compter les votes. Ce sont des choses qui arrivent dans des républiques bananières. »

Du même côté des barrières métalliques, Dan Karns tenait des propos semblables en faisant siennes les dénonciations de Donald Trump sur la prétendue corruption des élus démocrates de Pennsylvanie et du Michigan.

« Ils sont en train de voler cette élection », a dit l’homme de 55 ans, vêtu d’une chemise et d’un veston. « Pour tout vous dire, c’est une honte pour le peuple américain. J’ai une femme asiatique. Les gens du monde entier considèrent les États-Unis comme un phare de la démocratie, l’étalon-or de la démocratie. Et j’ai l’impression de vivre au Venezuela ou en Argentine. »

« Le vote des Noirs compte »

PHOTO MARK MAKELA, REUTERS

Des jeunes dansent en scandant « Comptez chaque vote ».

De l’autre côté de la rue, les cheveux colorés de nombreuses teintes et habillée d’un t-shirt jaune sur lequel on pouvait lire « Comptez chaque vote », Makayla Madison dansait au rythme de Fight the Power, le classique de Public Enemy, qui sortait de haut-parleurs installés sur le trottoir.

« Je suis très attristée et découragée d’avoir à descendre dans la rue pour m’assurer que chaque vote soit compté dans un pays qui se targue d’être une grande démocratie », a dit la jeune femme avant de marquer une pause. « Le comportement de Trump n’est pas différent de celui d’un dirigeant de république bananière. Il discrédite le mode de votation employé par des gens qui voulaient se protéger de la pandémie. C’est complètement absurde.

« Et je suis très attristée et découragée de voir à quel point nous sommes divisés sur des questions aussi fondamentales. »

Les deux groupes s’étaient donné rendez-vous devant le Centre des congrès de Philadelphie, lieu du dépouillement des votes dans le comté le plus populeux de la Pennsylvanie. Leurs pancartes résumaient leurs points de vue respectifs deux jours après un scrutin qui semblait devoir marquer la fin de la présidence de Donald Trump après un seul mandat.

Sur celles des partisans du président, on pouvait constater le déni de la réalité que devait manifester quelques heures plus tard le président à la Maison-Blanche : « Biden s’est fait battre » ; « Comptez les votes légaux » ; « Arrêtez la tricherie » ; « Le vote finit le jour de l’élection ».

Sur celles de l’autre camp, où les couleurs du mouvement Black Lives Matter étaient plus présentes que celles du ticket Biden-Harris, on pouvait lire : « Le vote des Noirs compte » ; « Comptez chaque vote » ; « Rejetez le fascisme ».

« Une parodie de justice »

PHOTO MATT SLOCUM, ASSOCIATED PRESS

Pam Bondi, ancienne procureure générale de Floride, montre l’ordre d’un juge d’un tribunal d’appel ordonnant que les observateurs électoraux aient un meilleur accès aux bulletins de vote.

Vers midi jeudi, deux alliés bien connus de Donald Trump ont fait leur apparition parmi les partisans du président : Corey Lewandowski, ancien directeur de campagne du président, et Pam Bondi, ancienne procureure générale de Floride.

Ils se sont plaints que le shérif du comté de Philadelphie ne soit pas intervenu pour faire appliquer la décision rendue plus tôt dans la matinée par un juge d’un tribunal d’appel. Ce dernier avait ordonné aux responsables du dépouillement du scrutin de donner aux observateurs électoraux un meilleur accès aux bulletins de vote.

« Que se passe-t-il dans cette ville ? », a demandé Corey Lewandowski lors d’un point de presse impromptu. « Que cachez-vous ? Ouvrez la porte. Laissez-nous entrer pour que nous puissions avoir une élection libre et équitable. Que vous ayez voté pour Donald Trump ou Joe Biden, tout le monde a le droit de voir chaque vote. Cela ressemble à un tribunal rendant une parodie de justice. »

Un tribunal de république bananière, quoi.

Peu après, la secrétaire d’État de Pennsylvanie, Kathy Boockvar, a annoncé que le Keystone State finirait probablement plus tard en fin de soirée de compter le gros des quelque 550 000 bulletins de vote encore à dépouiller. Elle a plus tard reporté le tout à ce vendredi.

La fin de cette étape devrait confirmer la victoire de Joe Biden en Pennsylvanie, qui mettait en jeu 20 grands électeurs.

« Donald Trump, tu es viré ! »

« Je suis heureuse, je suis enchantée », a déclaré Hope Hardaway en dansant dans la rue du côté des partisans d’un décompte complet des bulletins de vote par correspondance. « Ça fait quatre ans que j’attends ce jour. Ça fait quatre que j’attends de pouvoir dire : “Donald Trump, tu es viré !” »

Non loin d’elle, Scott Thurston partageait cette joie.

« C’est une journée passionnante, a-t-il dit. Nous pouvons commencer à reconstruire tout ce que Donald Trump a démoli au cours des quatre dernières années. »

Mais une certaine appréhension se mêlait à cette joie.

« Il est temps que l’establishment républicain se lève et dénonce les efforts de Trump pour discréditer le vote, a-t-il dit. Je ne pense pas seulement aux élus du Congrès, mais aux membres de son administration. Trump est en train de causer un tort peut-être irréparable à ce pays. »

Sans en rejeter la faute sur le président, certains de ses partisans s’inquiétaient également des divisions que risque d’exacerber l’élection présidentielle de 2020 aux États-Unis.

« Peu importe qui sera déclaré vainqueur, la moitié du pays mettra en doute sa légitimité et cela va diviser encore plus notre pays », a dit Siarra Lee, une femme de 30 ans. « En ce moment, la gauche tente de faire passer Donald Trump pour un dictateur. De mon côté, je ne crois pas du tout que Joe Biden ait gagné cette élection. Il peut à peine réunir six voitures pour un discours de campagne. Et vous pensez qu’il a battu Trump ? »