Malgré ce que prétend Donald Trump, la fraude au sens classique du terme lors des opérations de vote est extrêmement rare et de faible ampleur aux États-Unis, dont la santé démocratique est beaucoup plus minée « par des règles abracadabrantes et des découpages électoraux malhonnêtes ».

Tel est l’avis de Louis Massicotte, professeur de science politique à la retraite et coauteur d’Establishing the Rules of the Game, un ouvrage qui analyse les lois électorales de 70 pays.

Dans toute élection, des erreurs humaines de bonne foi peuvent survenir lors du vote en personne comme lors du vote postal, fait observer M. Massicotte.

Comment pourrait-il en être autrement dans le cas présent, alors que les Américains ont voté en nombre record et qu’il s’agit de compter quelque 160 millions de votes ?

Le défi, déjà considérable, est encore amplifié par le fait qu’en une même journée, les Américains élisent leur président et les membres du Congrès, mais aussi les représentants et sénateurs de leur propre État. Le bulletin de vote peut en plus inclure des questions référendaires et parfois porter sur l’élection d’officiels mineurs comme le shérif ou même le chasseur de chiens errants.

Pour un observateur étranger, tout cela est un peu absurde.

Louis Massicotte, professeur de science politique à la retraite

Mais les principales faiblesses de la démocratie américaine se situent ailleurs, notamment dans le fait, au premier chef, qu’il y a 50 États « et [50] lois électorales distinctes », pour des élections pourtant fédérales, souligne M. Massicotte.

Par exemple, le délai à partir duquel les bulletins envoyés par la poste ne sont plus dépouillés diffère d’un État à l’autre, ce qui fait beaucoup jaser ces jours-ci. Autre incongruité parmi tant d’autres : les machines à voter diffèrent d’un État à l’autre, parfois même au sein d’un même État.

Le découpage des circonscriptions électorales fait aussi beaucoup sourciller. « Les représentants fédéraux sont élus dans des circonscriptions délimitées par les parlementaires de leur État. C’est comme si les députés caquistes, péquistes, solidaires ou libéraux provinciaux délimitaient les circonscriptions élisant les députés fédéraux du Québec à Ottawa ! »

Et, bien sûr, « il y a ce fameux collège électoral, qui n’a pas son équivalent dans aucune autre démocratie », et dont la répartition des votes avantage les États les moins peuplés.

« Un candidat peut remporter la majorité au collège électoral avec moins de votes que son adversaire, comme Trump en 2016 et Bush en 2000 », souligne aussi M. Massicotte

PHOTO KEITH BIRMINGHAM, ASSOCIATED PRESS

La poste américaine a connu des ratés dans la réception des bulletins de vote.

Des ratés, mais surtout des problèmes structurels

Certes, la poste américaine a connu des ratés et certains bulletins ont été perdus.

« Dans un pays véritablement démocratique, les autorités postales se seraient assurées que le vote postal soit traité en priorité. Cela n’a pas été le cas. »

C’est que Donald Trump, conscient que le vote postal serait en cette pandémie surtout utilisé par des démocrates, a décidé de le discréditer des mois à l’avance. Plus encore, il a changé le directeur de la poste, il y a quelques mois à peine, confiant cette fonction à un contributeur à la caisse républicaine, « ce qui a fait craindre un sabotage de ce mode de votation ».

Tout cela est certes regrettable, mais de l’avis de Louis Massicotte, les problèmes qu’a connus le vote postal aux États-Unis pèsent somme toute très peu par rapport au problème structurel électoral.

« Pas un modèle de démocratie »

André Blais, professeur de science politique à l’Université de Montréal, est aussi d’avis que la démocratie américaine « n’est assurément pas un modèle, aussi bien en raison de ses institutions défaillantes et de son processus électoral décentralisé qu’en raison de l’extrême polarisation [politique] des gens ».

Même si le vote postal semble globalement bien se passer et qu’il représente un moindre mal en temps de pandémie, M. Blais continue de penser que rien ne vaut le vote en personne, « où chacun met son X dans l’isoloir, à l’abri de tous les regards ».

« En Grande-Bretagne, par exemple, on a rapporté des cas où le père saisissait les bulletins de vote de tous les membres de sa famille et votait à répétition à leur place. »

Certaines erreurs corrigées à temps, d’autres pas

PHOTO MIKE SEGAR, REUTERS

À New York, quelque 100 000 bulletins de vote ont été envoyés de nouveau pour corriger des noms ou des adresses mal imprimés.

Aux États-Unis, cette année, de nombreuses erreurs ont été découvertes à temps. À New York, quelque 100 000 bulletins de vote ont été envoyés de nouveau pour corriger des noms ou des adresses mal imprimés. Au Michigan, le vice-président américain a été mal identifié sur des bulletins, qui ont aussi dû être envoyés de nouveau. Au New Jersey, près de 100 bulletins de vote ont été retrouvés à temps à la poubelle et ils ont été envoyés à ceux à qui ils étaient destinés. Des enquêtes sont cependant réellement en cours, par exemple au Wisconsin, où des bulletins ont été trouvés dans un fossé, de même qu’en Pennsylvanie, où neuf bulletins de vote de militaires ont été rejetés pour des raisons qu’il faudra éclaircir, ont rapporté des agences de presse et des médias américains.

Les États-Unis, bons derniers d’un « index de l’intégrité électorale »

De toutes les démocraties établies, les États-Unis arrivent au tout dernier rang d’un « index de l’intégrité électorale » élaboré par Pippa Norris, professeure de science politique de l’Université Harvard, et par son confrère Max Grömping de l’Université de Heidelberg. Avec le concours de 3861 experts en processus électoraux, ces deux professeurs ont passé en revue pas moins de 337 élections dans 166 pays. Les États-Unis y font figure de cancre, plombés par « leurs lois électorales, leur façon d’inscrire les électeurs et les frontières arbitraires des districts électoraux », écrivent Pippa Norris et Max Grömping. Les pays scandinaves raflent tous les premiers rangs du palmarès, dont « la gouvernance démocratique, l’intégrité et le respect des droits » sont salués. En Amérique, « on ne s’étonnera pas que les experts aient une bonne opinion des élections canadiennes », écrivent Norris et Grömping, tout en soulignant que des pays moins riches comme le Costa Rica et l’Uruguay tirent eux aussi très bien leur épingle du jeu.

— Louise Leduc, La Presse