(New York) Engagées dans une élection qui traîne en longueur, les grandes chaînes américaines suivent le comptage au plus près et se livrent au jeu risqué des projections, en espérant éviter le faux pas.  

Mardi, 23 h 20. Fox News annonce la victoire du candidat démocrate Joe Biden en Arizona.

Donald Trump fulmine, rapporte le New York Times. S’il perd cet État, qu’il avait gagné en 2016, son horizon va nettement s’assombrir.

Conseiller politique du président, Jason Miller passe plusieurs appels à Fox News, dont plusieurs animateurs s’affichent pro-Trump, pour leur demander de se rétracter, selon le quotidien new-yorkais.

Le gendre de Donald Trump, Jared Kushner, appelle même Rupert Murdoch, rien moins que le président du groupe Fox. Mais rien n’y fait. Fox News maintient sa projection, seule parmi les grandes chaînes.

Pour se lancer, elle s’est appuyée sur son « decision desk », une équipe de dizaines de statisticiens et analystes qui alimentent l’antenne d’estimations et de résultats, comme chez toutes ses concurrentes.

En 2018 déjà, Fox News s’était signalée en annonçant, avec plusieurs heures d’avance sur ses rivales, que les démocrates avaient obtenu la majorité à la Chambre des représentants à l’issue des élections législatives de mi-mandat.

Les chaînes ont toutes en tête le 7 novembre 2000 et la volte-face qu’il fallut faire après l’annonce prématurée d’une victoire du démocrate Al Gore dans l’État décisif de Floride. Un cauchemar pour leur crédibilité.

« Au final, Fox pourrait avoir eu raison, mais leur décision initiale était probablement prématurée », estime Costas Panagopoulos, professeur de sciences politiques à l’université Northeastern et membre du « decision desk » de la chaîne NBC.

Les « decision desks » ont « une énorme pression pour donner des résultats justes », explique-t-il, « mais ils en ont aussi une pour les communiquer rapidement, et chacun trouve un équilibre différent entre les deux ».

« Nous ne faisons pas la course », avait assuré mi-octobre Sam Feist, chef du bureau de Washington de CNN, lors d’une table ronde organisée par l’association PEN America. « Ce serait contre-productif pour nous tous. Nous savons que nous devons attendre que les chiffres sortent ».

Pas de magie

La montée en puissance du vote anticipé (par correspondance ou en personne), observée depuis longtemps mais accélérée par la pandémie cette année, a contraint les équipes à bouleverser leurs méthodes.

L’importance des sondages effectués le jour même du scrutin à la sortie des bureaux de vote, jadis baromètre absolu, s’est ainsi sensiblement réduite.

Pour la présidentielle 2020, les équipes ont appelé des milliers d’électeurs qui avaient voté de manière anticipée afin de décrypter, autant que possible, cette partie du scrutin.

C’est ainsi qu’ils ont découvert que ce vote anticipé était très majoritairement démocrate et compris que les bulletins déposés le jour même de l’élection seraient vraisemblablement plutôt favorables au président sortant.

Aujourd’hui, résultats agrégés et projections viennent de deux grands pôles aux États-Unis. D’un côté, le consortium formé par Fox News et l’agence AP. De l’autre, le National Election Pool (NEP), sur lequel s’appuient CNN, ABC, CBS et NBC. Cela explique que, jeudi après-midi, Fox News et AP étaient toujours seuls à avoir déclaré Joe Biden vainqueur en Arizona.

De quelle circonscription viennent les bulletins encore à dépouiller ? Quelle y est la tendance jusqu’à présent ? Combien sont des votes anticipés ? Quels sont les résultats des précédentes élections ? Voilà ce qui a incité Fox News et AP à se lancer, les deux expliquant que selon leurs modèles, Donald Trump ne pouvait plus refaire son retard.

« Il n’y a pas de magie dans les projections », expliquait sur CNN, début octobre, Jennifer Agiesta, responsable des résultats électoraux pour la chaîne d’information. « C’est triste, mais ce ne sont que des maths ».