(Detroit) À l’extérieur, les cris assourdissants de dizaines de militants pro-Trump qui cognaient dans les vitres du centre des congrès de Detroit en hurlant, dans l’espoir d’entrer ou de faire arrêter le décompte. À l’intérieur, le bruissement constant de membres du personnel électoral qui s’activaient à compter chaque bulletin de vote.

La tension était élevée, mercredi au Michigan, alors que les grands médias accordaient les 16 grands électeurs de l’État à Joe Biden, même si le président sortant y revendiquait sa propre victoire sur la base d’allégations douteuses. Son camp a promis de lancer des poursuites.

Tard mercredi soir, le dépouillement se poursuivait. Le candidat démocrate (50,3 % du vote) récoltait 120 000 voix de plus que son adversaire républicain (48,1 % du vote), avec 99 % des bulletins calculés.

La soirée électorale de mardi avait bien commencé pour Donald Trump au Michigan, mais la prise en compte du vote postal des électeurs urbains, majoritairement démocrates, a fait pencher la balance en sa défaveur à mesure que le temps passait.

Des militants républicains ne digéraient visiblement pas ce changement. En milieu d’après-midi, ils étaient un nombre considérable à manifester devant le centre des congrès de Detroit, où le vote postal est ouvert et compté. « Laissez-nous entrer ! », « Arrêtez le décompte ! », hurlaient-ils en chœur. Certains avaient réussi à se rendre jusqu’aux portes de l’immense salle du décompte. Des policiers municipaux de Detroit, bandana ou masque sur le nez, ont été déployés pour protéger les installations.

Rumeurs douteuses

Trois manifestants ont expliqué à La Presse qu’ils avaient reçu des alertes de différentes organisations leur demandant de se présenter rapidement sur les lieux et de tenter de pénétrer dans la salle de dépouillement pour assister aux opérations.

Aux États-Unis, le processus électoral est extrêmement transparent : au Michigan, tout citoyen a le droit d’observer chaque étape du processus électoral, du vote jusqu’au décompte des résultats. En plus d’une suspension du décompte, les militants présents devant le palais des congrès de Detroit demandaient à entrer pour pouvoir observer les opérations. Les autorités limitaient toutefois le nombre d’observateurs présents en même temps dans la salle de dépouillement pour ne pas nuire au processus et pour ne pas favoriser la propagation de la COVID-19, ce qui a causé une vive frustration chez les républicains.

J’ai reçu une notification qui soulignait qu’ils avaient besoin de gens pour surveiller le décompte parce que des choses étranges s’étaient passées pendant la nuit : 35 000 bulletins de vote sont apparus comme par magie, livrés par des autos […]. Une amie a vu des boîtes de bulletins traitées à deux reprises pour qu’ils soient comptés en double.

Carol Felgenhour, évoquant des allégations auxquelles aucun média d’importance n’a accordé la moindre crédibilité

« J’ai aussi entendu dire que des préposés remplissaient des bulletins eux-mêmes », a-t-elle ajouté.

C’est en se fondant sur des rumeurs semblables que Donald Trump a revendiqué l’État sur Twitter, mercredi en fin d’après-midi : « Nous revendiquons l’État du Michigan si, comme on l’a largement rapporté, un grand nombre de votes ont été secrètement ajoutés aux résultats. »

À la mi-journée, les médias américains ont annoncé que la campagne républicaine s’adresserait à la justice pour faire suspendre le décompte à Detroit parce qu’elle était insatisfaite de l’accès accordé aux observateurs républicains.

Le travail a toutefois continué jusqu’en soirée. Des îlots de tables étaient répartis dans l’une des immenses salles du centre des congrès, autour d’une plateforme surélevée où s’activaient des responsables. Certains travailleurs étaient très actifs alors que d’autres sommeillaient, faute de tâche. De temps en temps, un drapeau rouge s’élevait au-dessus des têtes : un bulletin posait problème et demandait l’intervention d’un officiel. Dans un coin de la salle, une nuée de journalistes filmaient les calmes entrailles de la démocratie américaine.

« Comptez tous les votes ! »

À l’extérieur, toutefois, la tension continuait à être vive.

Paul McGee s’était collé une affiche « Fraude électorale : la honte de Detroit » sur le torse avant d’aller poser devant les photographes de presse. L’homme avait observé le dépouillement mardi soir et « tout semblait correct », mais les rumeurs qui sont venues à ses oreilles mercredi ne l’étonnent pas. « Les démocrates sont le mal absolu », a-t-il expliqué alors qu’il tentait d’entrer dans la salle de dépouillement. « J’ai écouté 700 ou 800 heures de vidéos sur YouTube, c’est là que se trouve la vérité. »

Chris Steffes, étudiant en médecine, soulignait que sa présence prouvait que les pro-Trump n’étaient pas « qu’une bande d’idiots sans instruction ». « Je doute que le décompte soit correct », a-t-il dit, en montrant un message d’un groupe Facebook qui l’incitait à se « rendre dès maintenant » au centre des congrès.

Face aux manifestants pro-Trump, des démocrates et des militants de gauche criaient eux aussi leur slogan : « Comptez tous les votes ! »

« La situation est ridicule : nous avons des gens de l’extérieur de la ville qui tentent de nous dire comment compter les votes de Detroit », a déploré Terry Campbell, qui craignait que les manifestants causent « de la confusion » dans le comptage s’ils réussissaient à entrer. « Mon bureau est à deux coins de rue. J’ai vu ce qui était en train de se passer, alors je suis venu pour souligner que chaque vote mérite d’être compté. »

Le Michigan fait partie du « Blue Wall », ces États traditionnellement démocrates qui ont partiellement basculé du côté républicain en 2016, fournissant la victoire à Donald Trump.