Il semble « peu probable » que le président américain Donald Trump puisse triompher de son opposant démocrate Joe Biden grâce aux tribunaux.

Richard Hasen, spécialiste des élections américaines rattaché à l’Université de Californie à Irvine, a indiqué mercredi dans une analyse écrite transmise à La Presse que le vote semblait s’être déroulé dans l’ensemble du pays sans problèmes techniques majeurs, offrant peu de latitude au camp républicain pour agir efficacement en justice.

La marge de manœuvre de la formation semble d’autant plus étroite que les avances enregistrées par le candidat démocrate dans des États-clés comme le Wisconsin et le Michigan sont de plusieurs dizaines milliers de voix, un écart peu susceptible d’être comblé par un recomptage ou la mise au jour de problèmes localisés.

La victoire du candidat républicain George W. Bush lors de l’élection contestée de 2000 s’était jouée sur un nombre beaucoup plus faible de voix en Floride. La Cour suprême avait alors ordonné la fin d’un recomptage demandé par les démocrates.

Allégations de fraude sans preuves

Donald Trump multiplie les allégations de fraude depuis l’élection présidentielle de mardi sans avancer de preuves à ce sujet. Il a indiqué dans la nuit de mardi à mercredi qu’il irait jusqu’en Cour suprême pour protéger sa « victoire », alors que le dépouillement se poursuivait dans plusieurs États.

Le fait que Joe Biden semblait mercredi en bonne position pour atteindre le seuil requis des 270 grands électeurs sans même devoir remporter la Pennsylvanie et pourrait théoriquement aussi remporter cet État rend l’avenue judiciaire encore plus difficile, note Corwin Smidt, professeur de science politique de l’Université d’État du Michigan.

S’il faut que les tribunaux donnent raison à Donald Trump dans deux ou trois États différents pour l’emporter, plutôt qu’un seul, ça devient vraiment compliqué. Je ne suis pas certain du tout qu’il peut gagner de cette façon.

Corwin Smidt, professeur de science politique de l’Université d’État du Michigan

Ces réserves n’ont pas empêché mercredi le camp républicain de réclamer un recomptage au Wisconsin et l’interruption temporaire du décompte des votes au Michigan, en Pennsylvanie et en Géorgie.

Les avocats ont évoqué la difficulté d’accès aux sites de dépouillement pour justifier leur demande de blocage. Aucune interruption du processus n’a été annoncée par les autorités locales.

L’équipe républicaine a indiqué qu’elle entendait par ailleurs demander à la Cour suprême de revoir un jugement récent permettant à la Pennsylvanie de comptabiliser les bulletins postés au plus tard le jour de l’élection qui sont reçus jusqu’au 6 novembre.

Vote par correspondance

La formation de Donald Trump avait multiplié les recours devant les tribunaux dans plusieurs régions du pays au cours des derniers mois pour restreindre le recours au vote par correspondance, particulièrement prisé par l’électorat démocrate, plus encore cette année en période de pandémie.

Dans certains États-clés, les bulletins obtenus de cette façon ont commencé à être comptabilisés après ceux qui ont été déposés mardi directement dans les urnes par des électeurs, faisant graduellement fondre l’avance apparente du président jusqu’à l’effacer complètement à certains endroits en faveur de Joe Biden.

Ce phénomène, décrit comme le « glissement bleu » (blue shift) en lien avec la couleur du Parti démocrate, n’a aucun lien avec une fraude, quoi qu’en dise le camp républicain, relève M. Smidt.

Russell Wheeler, constitutionnaliste rattaché à la Brookings Institution, note que les allégations publiques du président relativement à la probité du scrutin sont « sans précédent » et suggèrent qu’il « ne reculera devant rien pour se maintenir au pouvoir ».

L’analyste craint que les élus républicains qui chapeautent certains des États-clés, dont le Wisconsin, n’évoquent ces allégations de fraude pour désigner une liste de grands électeurs ne respectant pas le vote populaire reconnu de manière à favoriser Donald Trump.

M. Hasen met en garde contre la possibilité d’un tel scénario en Pennsylvanie.

Le Congrès, au moment de formaliser le décompte des grands électeurs, pourrait se retrouver avec deux listes contradictoires pour un même État, une situation susceptible de précipiter une crise constitutionnelle.

Le scénario ne s’est produit qu’une fois, en 1876, et s’était résolu par des tractations politiques plutôt que par la voie juridique, relate M. Wheeler.

« Si vous m’aviez demandé il y a deux ans de dire si un tel scénario était possible aux États-Unis, je vous aurais dit que ça n’arrivait qu’aux républiques bananières. Mais tout est possible maintenant », conclut l’analyste.

Quatre précédents

La Floride en 2000

La saga des bulletins de vote défectueux en 2000 en Floride, remportée par à peine 500 voix par George W. Bush, s’est rendue à la Cour suprême, qui a jugé à cinq contre quatre qu’une décision d’un tribunal inférieur contrevenait à la clause constitutionnelle de représentation égale, parce que seuls les bulletins défectueux devaient être recomptés. Trois des cinq juges de la majorité ont en outre affirmé que la Cour suprême était l’arbitre ultime des lois électorales des États.

Oui en Caroline du Nord

La Cour suprême est intervenue à trois reprises à la fin du mois d’octobre dans des dossiers d’allongement des délais de réception des bulletins de vote par la poste. Par une majorité de cinq contre trois, elle a refusé de bloquer une décision de la Caroline du Nord, entérinée par un tribunal de l’État, qui permet de compter les bulletins reçus jusqu’à neuf jours après le 3 novembre, pourvu qu’ils aient été postés au plus tard le jour des élections.

Non au Wisconsin

Mais un tel prolongement de la période de réception des bulletins de vote par la poste a été refusé au Wisconsin, parce qu’il avait été ordonné par un juge fédéral, toujours par une majorité de cinq contre trois. La décision a donné lieu à une opinion séparée du juge Brett Kavanaugh, qui semblait donner une importance plus grande que ses collègues au jugement Bush c. Gore de 2000.

Oui, mais... en Pennsylvanie

Un prolongement de trois jours du délai de réception des bulletins de vote par la poste en Pennsylvanie a été autorisé comme en Caroline du Nord, parce qu’il avait été décidé par les autorités électorales de l’État. Mais dans une opinion dissidente, le juge Samuel Alito a souligné que les bulletins reçus après le 3 novembre seraient conservés séparément, ce qui permettrait de les écarter si la Cour suprême se penchait sur le fond du dossier.