(New York) Le laboratoire pharmaceutique Purdue a accepté de plaider coupable pour sa promotion agressive du médicament anti-douleur aux opiacés OxyContin, et de se réorganiser pour lutter contre le fléau des overdoses alimentées par ce type de médicaments, dans le cadre d’un accord avec le ministère américain de la Justice évalué à 8,3 milliards de dollars.

Selon cet accord annoncé mercredi par le ministère, Purdue Pharma, propriété de la très controversée famille Sackler, va plaider coupable de trois chefs d’inculpation-fraude et violation des lois sur les pots-de-vin — pour avoir notamment induit en erreur l’agence américaine de régulation FDA entre 2007 et 2017. Ce après que le laboratoire eut déjà été sanctionné en 2007 par une amende de 635 millions de dollars.  

Purdue devra payer directement quelque 225 millions de dollars d’amende pénale à l’État fédéral, plus quelque 2,8 milliards de dollars censés mettre fin à la partie civile du litige.  

L’intégralité des 8,3 milliards d’amendes, dommages et remboursements annoncés ne devrait cependant pas être versée, Purdue — qui s’est placée l’an dernier sous la protection de la loi des faillites — ayant déjà beaucoup d’autres dettes à honorer.

L’entreprise basée dans le Connecticut devra aussi se dissoudre puis créer une nouvelle entité dédiée au « bien public » (Public Benefit Company), gérée par un trust : outre la vente d’OxyContin à des fins « légitimes », elle devra fournir, gratuitement ou à prix coûtant, des médicaments anti-overdose et des traitements contre la dépendance aux opiacés.  

Les bénéfices de la nouvelle entité devront aussi contribuer au paiement des programmes mis en place par les collectivités locales — États, comtés, réserves indiennes — pour lutter contre les dommages causés par la crise des opiacés.

Plus de 450 000 Américains sont morts d’overdoses liées aux opiacés depuis 1999, selon les Centres de prévention des maladies (CDC).  

« Purdue regrette profondément et accepte sa responsabilité pour ses erreurs de conduite », a indiqué son président, Steve Miller, dans un communiqué.  

« Purdue est très différent aujourd’hui […], nous avons changé substantiellement notre direction, nos opérations, notre gouvernance et notre mode de surveillance », a assuré cet homme arrivé à la tête du laboratoire mi-2018.

Les Sackler dans le collimateur

La famille Sackler — qui finançait des musées du monde entier avant de se voir bannie à la suite de la crise des opiacés — devra elle payer, séparément, 225 millions de dollars de dommages et intérêts, visant à solder à son litige civil avec la justice fédérale, a indiqué le ministère.

L’accord d’aujourd’hui est « une étape essentielle dans les efforts du ministère pour faire rendre des comptes à tous ceux qui ont alimenté la crise des opiacés », a déclaré Jeffrey Clark, un des responsables du ministère.

L’accord ne prévoit cependant aucune poursuite pénale contre les Sackler, au grand dam des procureurs de plusieurs États, dont New York, décidés à continuer leurs propres actions en justice pour les faire payer plus.

« Alors que notre pays se remet encore de la douleur et la destruction causées par la cupidité des Sackler, cette famille essaie d’échapper à ses responsabilités et de dédommager, à moindres frais, les millions de victimes de la crise », a déploré la procureure générale démocrate de l’État de New York, Letitia James, dans un communiqué.  

« Nous allons continuer à poursuivre ces dossiers en justice pour obtenir jusqu’au dernier centime possible, afin de limiter les futures dépendances aux opiacés », a-t-elle ajouté.

L’accord qui doit encore être validé par le tribunal des faillites pourrait néanmoins ouvrir la voie à un règlement plus global des nombreux litiges liés aux opiacés actuellement devant les tribunaux américains.  

Des centaines de collectivités locales ont attaqué en justice laboratoires, grossistes et chaînes de pharmacies distributrices de médicaments aux opiacés.  

Tous sont accusés d’avoir, à partir de la fin des années 90, poussé à une surconsommation d’anti-douleurs aux opiacés — jusqu’alors utilisés surtout dans le traitement des maladies les plus graves — alors même qu’ils connaissaient leur puissance addictive.

Les dépendances ainsi générées ont alimenté un trafic illégal de drogues opiacées, comme le puissant fentanyl, à l’origine de dizaines de milliers de morts par overdose chaque année.   

Certains ont comparé ces litiges à ceux engagés contre les grands cigarettiers dans les années 80-90, accusés d’avoir minimisé pendant des décennies les dangers du tabagisme. Ils avaient accepté de payer plus de 200 milliards de dollars dans le cadre d’un accord en 1998.