La pandémie de COVID-19 et l’instabilité sociale ayant suivi la mort de George Floyd inquiètent de nombreux Américains qui ont décidé de s’acheter une arme pour se protéger. Les ventes ont même atteint un niveau record en juin sur fond d’élection présidentielle, générant des problèmes de stocks pour certains commerçants assaillis de clients.

La décision du président américain Donald Trump de déclarer l’état d’urgence en mars pour faire face à la pandémie de COVID-19 a convaincu nombre d’Américains de se précipiter… chez l’armurier.

Des commerces comme Long Island Gun Source, dans l’État de New York, rapportent avoir été submergés par la demande.

« Je dirais qu’on a vendu en deux mois ce qu’on écoule normalement en six mois », souligne le propriétaire de l’établissement, Cliff Pfelger.

PHOTO TIRÉE DE LA PAGE FACEBOOK DE LONG ISLAND GUN SOURCE

Des clients font la file, début mars, pour entrer au Long Island Gun Source et se procurer une arme.

« Dans les premiers jours en mars, c’était rempli de gens. Quand les mesures de distanciation ont été imposées et qu’on a commencé à restreindre l’accès, la file d’attente à l’extérieur faisait le tour du bâtiment », relate-t-il.

Les clients, dit M. Pfelger, craignaient que la pandémie entraîne de nombreuses mises à pied et se traduise ultimement par une hausse de la criminalité.

Les manifestations qui ont suivi la mort de George Floyd, asphyxié par des policiers lors d’une arrestation survenue en mai au Minnesota, ont alimenté une nouvelle flambée de ventes, souligne-t-il.

Les gens ont commencé à se dire que les manifestations pouvaient arriver près de chez eux. […] On est passé de la crainte suscitée par la pandémie à la peur.

Cliff Pfelger, propriétaire du Long Island Gun Source

Le commerçant a vu ses ventes ralentir récemment en raison du manque de stocks pour les armes et les munitions les plus populaires.

« Je ne peux plus en obtenir. Certains manufacturiers disent que leur carnet de commandes va les tenir occupés jusqu’en 2023 », dit-il.

Phillip B. Levine, professeur d’économie au Wellesley College, dans la région de Boston, confirme que l’insécurité suscitée par la pandémie et les manifestations parfois tendues contre la violence policière ont entraîné une montée en flèche des ventes d’armes depuis mars.

Un sommet a été atteint en juin avec la vente de 4 millions d’armes, le nombre le plus élevé enregistré en un mois depuis 20 ans. Malgré un léger ralentissement, les résultats obtenus en juillet et en août demeurent largement supérieurs à la moyenne des dernières années.

« Nous traversons une période stressante. […] Les gens sentent le besoin de se protéger », souligne l’analyste, qui base son analyse sur le nombre de fois où le FBI a été appelé à vérifier les antécédents judiciaires d’un acheteur potentiel, un indicateur imparfait, mais significatif.

Par le passé, note le chercheur, les pics de ventes ont souvent suivi des fusillades de masse parce que les amateurs d’armes craignent que de nouvelles restrictions compliquant leur achat soient mises en place. L’élection de dirigeants démocrates susceptibles de vouloir renforcer les contrôles en vigueur a aussi eu le même effet, relate M. Levine.

Ce fut le cas notamment à la suite de la réélection de Barack Obama, qui a tenté en vain en 2013, après la fusillade à l’école Sandy Hook, au Connecticut, de faire voter une réforme modérée à ce sujet.

Une proposition qui aurait fait en sorte que les ventes réalisées dans des foires ou lors de ventes en ligne soient aussi assujetties à une vérification des antécédents de l’acheteur potentiel a échoué au Sénat, faute de recueillir l’appui de 60 élus.

« C’est une journée assez honteuse pour Washington », avait déclaré le président à l’issue du vote, vu comme une victoire pour la National Rifle Association (NRA).

Une force politique considérable

L’organisation pro-armes, qui avait investi des dizaines de millions de dollars pour soutenir l’élection de Donald Trump en 2016, est aujourd’hui affaiblie sur le plan financier et moins bien placée pour peser sur les élus récalcitrants à ses demandes.

PHOTO KATHY WILLENS, ARCHIVES ASSOCIATED PRESS

Letitia James, procureure générale de l’État de New York

Elle doit notamment composer avec les pressions de la procureure générale de l’État de New York, Letitia James, qui a déposé en août une poursuite visant à obtenir sa dissolution.

La poursuite allègue que des membres de la direction ont détourné à leur profit des millions de dollars et attribué des contrats de manière à favoriser de proches associés ou des membres de leur famille.

Le camp démocrate estime que la fin de la NRA pourrait constituer une occasion unique de resserrer les règles en vigueur sur le plan national et local.

Leur candidat, Joe Biden, qui avait réussi dans les années 90 à faire adopter un moratoire de 10 ans sur les ventes d’armes d’assaut lorsqu’il était sénateur, présente un programme détaillé de réforme dans sa plateforme politique.

Il propose notamment de rendre obligatoire un contrôle des antécédents de l’acheteur pour toutes les ventes d’armes, une mesure avec laquelle une majorité d’électeurs, tant démocrates que républicains, est d’accord, selon un récent sondage du Pew Research Center.

Le représentant démocrate veut aussi bannir définitivement les fusils d’assaut et les chargeurs à haute capacité et rendre les manufacturiers d’armes civilement responsables des dommages causés par leurs produits. Ils sont actuellement protégés contre de telles poursuites.

Dans la foulée de la fusillade survenue dans une école secondaire de Parkland en 2018, qui a donné naissance à un mouvement de mobilisation de portée nationale, près d’une vingtaine d’États sont allés de l’avant avec des réformes locales de portée plus limitée.

La Floride a notamment rehaussé l’âge minimum de possession de 18 à 21 ans et facilité la capacité des autorités policières à saisir les armes d’un individu jugé dangereux.

Bien qu’il ait appuyé, après le drame de Parkland, l’interdiction d’un accessoire permettant de modifier une arme semi-automatique pour tirer en continu, le président Trump demeure généralement opposé à tout resserrement des contrôles.

Il accuse régulièrement son adversaire de vouloir en finir avec le deuxième amendement de la Constitution américaine permettant aux citoyens de porter des armes.

PHOTO TY WRIGHT, ARCHIVES THE NEW YORK TIMES

Convention annuelle de la National Rifle Association (NRA), à Louisville, au Kentucky, en mai 2016

Ses attaques sont saluées par la NRA, qui lui a récemment réitéré son appui et continue de faire grand cas de ses déclarations pro-armes et de celles du vice-président américain Mike Pence, un adhérent enthousiaste.

Dans une des vidéos en ligne sur le compte Twitter de l’organisation, l’ancien gouverneur de l’Indiana relate qu’il est tombé amoureux de sa femme dès qu’il l’a vue parce qu’elle avait « une arme et une camionnette ».

La perte d’influence relative de la NRA ne signifie pas que Joe Biden aurait carte blanche en cas de victoire pour engager de vastes réformes, prévient dans une récente analyse la revue Politico.

Le journaliste Bill Scher y rappelle que près de la moitié des Américains vivent dans des foyers où les armes sont présentes et qu’ils continueront de représenter une force politique considérable, quoi qu’il advienne.

L’arrivée d’un nouveau président démocrate aurait probablement pour effet de les galvaniser, ajoute M. Scher, qui évoque la probabilité d’un nouveau bond dans les ventes d’armes en cas de victoire de M. Biden.

Cliff Pfelger est d’ores et déjà convaincu que ses propres ventes vont augmenter, quoi qu’il advienne le 3 novembre.

Si Donald Trump remporte la mise, les gens qui s’opposent à sa réélection vont multiplier les manifestations, dit-il.

« Il y a apparemment des personnes dans ce mouvement qui aiment détruire les choses lorsqu’elles n’obtiennent pas ce qu’elles veulent. Ça va alimenter le sentiment d’insécurité », conclut le commerçant new-yorkais.

En chiffres

PHOTO LOGAN CYRUS, ARCHIVES THE NEW YORK TIMES

Des clients font leurs emplettes chez un armurier de Charlotte, en Caroline du Nord, le 11 mars.

40 000

Selon les plus récentes données des Centres pour le contrôle et la prévention des maladies (CDC), près de 40 000 Américains ont été tués par balle en 2017. Il faut remonter au milieu des années 90 pour enregistrer un total aussi élevé. En cinq ans, le nombre de victimes a bondi de 20 %, reflétant une hausse de 15 % des suicides et de 25 % des meurtres réalisés avec une arme. On comptait 12 morts par arme pour 100 000 habitants en 2017, comparativement à 15,5 pour 100 000 habitants en 1993.

INFOGRAPHIE LA PRESSE

Les jeunes durement frappés

Selon une étude du Center for American Progress, les jeunes Américains sont frappés de plein fouet par la violence liée aux armes. L’organisation relève que bon an, mal an, plus de la moitié des personnes tuées par balle ont moins de 30 ans. Et que c’est entre 17 et 29 ans que la probabilité d’être blessé par balle est la plus importante. Les Afro-Américains sont particulièrement touchés. L’organisation Everytown for Gun Safety estime qu’en moyenne, 26 membres de cette communauté sont tués et 104 blessés quotidiennement. Dans les grandes villes, 68 % des victimes de meurtre sont afro-américaines.

Une volonté de changement

Malgré l’impasse qui prévaut souvent sur le plan politique, une majorité d’Américains se disent favorables à un resserrement des règles régissant l’accès aux armes. Le Pew Research Center relève que la proportion de la population favorable à une telle initiative est passée de 52 % en 2017 à 60 % en 2019. De façon prévisible, le résultat varie largement selon l’allégeance politique des individus. Plus de 85 % des démocrates réclament un contrôle accru, contre seulement 30 % des républicains.

67 %

Selon le Pew Research Center, les deux tiers des Américains qui possèdent une arme disent avoir décidé de s’en procurer une pour se protéger.

176

Nombre de tueries de masse que le Washington Post a recensées aux États-Unis au cours des 50 dernières années. Le quotidien a regroupé dans cette catégorie tous les évènements attribuables à un tireur solitaire qui ont fait quatre morts ou plus.