Chaque journée de cette campagne présidentielle américaine est plus étonnante que la précédente. Qui a envie de regarder des téléséries ? La réalité est tellement plus créative, inquiétante, perturbante, parfois terrifiante, et jamais ennuyeuse.

Donc le dernier épisode ? Après celui où on a appris que le président américain ne payait pas d’impôts sur le revenu et avait des tonnes de dettes. Après celui de mardi soir où Donald Trump a clairement signalé qu’il ne condamnait pas les suprémacistes blancs et laissait courir les doutes sur sa reconnaissance du résultat de l’élection – froid dans le dos garanti –, nous voilà plongés dans une nouvelle trame narrative où le président est malade et a la COVID-19, nouvelle officielle depuis la nuit de jeudi à vendredi.

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Le Dr Sean Conley, médecin de la Maison-Blanche, a répondu samedi aux questions des journalistes à l’hôpital militaire Walter Reed, où Donald Trump est hospitalisé.

À quel point est-il mal en point ?

Il n’est pas touché tant que ça, ont semblé dire samedi midi les médecins de l’hôpital militaire Walter Reed qui veillent sur lui depuis vendredi, alors qu’ils étaient invités à parler en point de presse.

Sean Conley, le docteur principal du président, a même dit qu’il allait « très bien ». Ce que Trump a réitéré dans une vidéo diffusée en soirée sur Twitter.

Toutefois, il n’a jamais voulu dire aux journalistes, qui lui ont posé la question de nombreuses façons, si le président avait eu besoin d’apport extérieur en oxygène depuis son hospitalisation vendredi.

« Il n’en a pas actuellement », a-t-il répété plusieurs fois.

Jamais il n’a dit que le président n’en avait pas du tout eu besoin, ce que les reporters auraient aimé savoir, ce qu’on aurait tous aimé savoir, pour avoir une idée plus précise de son état. On le sait, c’est là que le virus frappe. Les poumons.

Le DConley a aussi dit que les traitements expérimentaux qu’il suit, du remdésivir de la pharmaceutique Gilead Sciences – oui oui, Gilead, comme le nom de la dictature fictive créée par Margaret Atwood dans La servante écarlate – allaient bien, et que « 72 heures » plus tard, tout était sous contrôle.

Sauf que Trump nous a dit, à nous le public, qu’il venait de découvrir qu’il avait le virus jeudi en soirée. Il y a une incongruité ici. Entre jeudi soir et samedi, début d’après-midi, il n’y a pas 72 heures.

Mensonge ? Bévue ? Apparemment, c’était une erreur, corrigée ensuite par le DConley. Comme ce fut aussi apparemment une « erreur » de dire que le premier traitement d’anticorps monoclonaux avait été donné jeudi, ce qu’a dit un médecin en point de presse.

Disent-ils vrai ? Faux ? Inexactitudes de bonne foi ?

Ce président a tellement, tellement menti et changé son discours de mille façons depuis toujours qu’on est rendus presque programmés à douter de tout ce qui vient de lui, à ne pas l’écouter, lui et ceux qui parlent en son nom.

D’ailleurs, quand l’Agence France-Presse nous a appris en après-midi samedi que le président n’allait pas aussi bien que ce que le point de presse médical avait laissé entendre, personne n’a été surpris.

Finalement, c’est le chef de cabinet de Trump, plus tard samedi en après-midi, qui est venu apporter un peu de clarté, ou brouiller encore plus les cartes, c’est selon, en disant que son patron avait traversé un moment « très inquiétant », vendredi, et que « les 48 prochaines heures seraient critiques ».

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L’autre chose que l’équipe médicale a refusé de dire en point de presse, c’est quand le président a été contaminé par le virus.

Et ça, ça serait vraiment intéressant de le savoir. Même si on se doute que la contamination vient probablement de son aide, sa collaboratrice Hope Hicks.

Et ce qu’on sait, en ce moment, c’est qu’un évènement a eu lieu le samedi 26 septembre, à la Maison-Blanche, surtout dehors, mais aussi à l’intérieur, pour annoncer le choix d’Amy Coney Barrett comme juge à la Cour suprême, pour remplacer Ruth Bader Ginsburg.

Et les images de l’évènement montrent que très, très peu de gens portaient des masques. Que bien des accolades ont été faites.

Bref, que peu de mesures ont été suivies pour éviter la propagation.

Outre Donald Trump, au moins sept des personnes présentes avaient officiellement été déclarées positives, dont les sénateurs républicains Thom Tillis de la Caroline du Nord et Mike Lee de l’Utah, ainsi que Bill Stepien, directeur de campagne de Trump, Melania, John I. Jenkins, président de l’Université Notre Dame où Amy Coney Barrett a été professeure, ainsi que Kellyanne Conway, ancienne conseillère du président. Chris Christie, ancien gouverneur du New Jersey, qui l’a aidé à se préparer au débat, figure également sur cette liste.

Ronna McDaniel, qui préside le Parti républicain, fait aussi partie des hauts placés près de Trump qui ont attrapé le virus, mais elle n’était pas à l’évènement pour Amy Coney Barrett.

PHOTO ALEX BRANDON, ASSOCIATED PRESS

Un évènement pour annoncer le choix d’Amy Coney Barrett comme juge à la Cour suprême a eu lieu le 26 septembre à la Maison-Blanche. Depuis, Donald Trump et au moins sept autres personnes présentes ont été déclarées positives à la COVID-19.

Serait-ce donc un évènement « superpropagateur », ces incidents qui ont eu lieu un peu partout dans le monde depuis le début de la pandémie, où un nombre particulièrement élevé de personnes ont été contaminées ?

Ou est-ce qu’il y avait à cet évènement une personne qu’on pourrait qualifier de « superpropagateur », un phénomène observé depuis le début de la crise mais qui a été solidement étayé par une étude menée notamment par des chercheurs des universités Princeton, Johns Hopkins et Berkeley et parue mercredi dans le journal Science ?

La recherche, effectuée sur une vaste population en Inde, dans les États du Tamil Nadu et de l’Andhra Pradesh, a suivi 575 071 individus exposés au virus et 84 965 cas confirmés de COVID-19.

Et ils ont constaté que 71 % des personnes infectées n’avaient contaminé personne, tandis que 8 % des porteurs de virus étaient responsables de 60 % des nouvelles infections.

La question qui m’est donc venue à l’esprit, en regardant les nouvelles apparaître au sujet de l’évènement à la Maison-Blanche, est : y avait-il un superpropagateur ?

Qui ?

Les nouvelles ne sont pas bonnes en ce moment, mais cette nouvelle découverte me semble aussi déprimante que prometteuse.

Ceci veut évidemment dire qu’on progresse pour mieux comprendre cet étrange virus.

Mais aussi que les politiques de santé publique devraient être ajustées.

Il est maintenant clair qu’il faut essayer de savoir non pas tant qui les nouveaux porteurs du virus ont peut-être infecté sans le savoir avant l’apparition de leurs symptômes – et dans 71 % des cas, ça ne sera personne –, mais aussi qui les a infectés eux. Car il y a dans la contamination passée une certitude à 100 % de contamination. Ne serait-il pas vraiment intéressant de pouvoir les détecter ?

L’idée ne vient pas de moi, mais de la sociologue américaine Zeynep Tufekci, qui en a parlé jeudi dans The Atlantic.

J’aimerais bien savoir ce qu’en pensent nos pilotes de santé publique, ici.