(Santa Cruz) Le soleil tombe tranquillement sur Opal Cliffs, un secteur côtier de Santa Cruz, mais Alexandra Jeffries sert encore des cafés chez Verve. Les clients sont rares.

Entre le virus et l’air pollué par les incendies qui ont dévasté les forêts au nord de la ville universitaire et balnéaire à l’ADN très hippie, il n’y a plus de bonne raison de se balader.

« Des fois, il fait beau et on est très corrects », dit Mme Jeffries. « Mais des fois, on ne peut juste plus respirer. »

Santa Cruz a la vie dure depuis un bon moment. À la mi-août, dès le début de cette crise enflammée, des incendies ont commencé à ravager plus de 86 000 acres de forêts du nord du comté et forcé des évacuations à Bonny Doon et dans la vallée de San Lorenzo. Aujourd’hui, les incendies sont presque contenus, mais la fumée n’est pas loin.

PHOTO SHMUEL THLER, ARCHIVES ASSOCIATED PRESS

À la mi-août, les flammes ont ravagé la région de Santa Cruz, en Californie.

Mercredi, Mme Jeffries trouvait l’air pas si mauvais. Pourtant, selon PurpleAir.com, site de référence sur la qualité de l’air devenu ici aussi populaire que les sites de résultats sportifs ou de la Bourse, la pollution était au niveau 7, en vertu de la mesure canadienne AQHI.

Et 7, sachant que 10 est le pire, ce n’est pas génial. À 7, il est temps de commencer à repenser ses activités physiques à l’extérieur et à rentrer à la maison, si on a des filtres à air.

Pourtant, le reste de la grande région ne va pas mal en ce mercredi de septembre. Mieux que le week-end dernier, où les niveaux tournaient autour de 9, 10, même 11. Mieux que le mercredi de la semaine précédente, où un mélange de conditions climatiques extrêmes, combinant cendres et brouillard notamment, a créé une journée où tout était orange foncé. Les images ont fait le tour du monde.

PHOTO FREDERIC LARSON, ARCHIVES ASSOCIATED PRESS

San Francisco et son célèbre Golden Gate se trouvaient sous un ciel orangé le 9 septembre dernier.

De l’orange au gris

Des incendies font rage un peu partout, jusqu’à Sacramento, mais le ciel n’est plus orangé dans la grande région autour de la baie de San Francisco, de Napa et Sonoma jusqu’à Santa Cruz, en passant par San Francisco, Palo Alto, Oakland et San Jose.

Plus d’orange dans le ciel, mais du jaune et du gris dans l’air. Et les eucalyptus n’ont plus le dernier mot pour parfumer l’atmosphère des bois typiquement bien secs à la fin de l’été.

« C’est horrible, c’est terrible, la qualité de l’air », lance Kathy Qian, scientifique de données, résidante de San Francisco.

Ça fait un mois que l’air est épouvantable.

Kathy Qian, scientifique vivant à San Francisco

Mme Qian a quitté la Chine enfant, il y a 25 ans, pour venir aux États-Unis, parce que ses parents voulaient lui offrir un air meilleur. La petite avait un grave problème d’asthme.

« C’est quand même ironique, cette situation. »

Aujourd’hui, les difficultés respiratoires sont revenues. Pas en force. Mais cela nuit à sa qualité de vie au quotidien. « C’est plus difficile de respirer. »

Et à San Francisco, où il y avait comme ailleurs jusqu’à tout récemment une importante canicule, cette situation est particulièrement pénible. « On ne peut pas aller à l’intérieur dans les endroits publics à cause de la COVID-19. Et les immeubles résidentiels n’ont jamais eu de climatisation parce que ce n’était pas nécessaire. Et on ne peut pas être à l’extérieur. »

Elle n’est bien nulle part.

Sherry Jam, une entrepreneure techno de San Mateo, a pris le taureau par les cornes. Asthmatique, elle a décidé il y a deux ans de s’acheter un super filtre à air pour sa maison. Ça lui a coûté cher, mais ses assurances médicales lui ont payé ça. « Ce n’est pas la première année que les incendies sont graves », dit-elle. C’est la troisième année. La première, elle a subi le problème. L’an dernier, elle est arrivée équipée. Cette année, elle était de nouveau prête. « Il fallait que je trouve des solutions. »

Même avant la COVID-19, cette année, elle s’est aussi acheté des masques N95, très performants, pour aller à l’extérieur pendant la saison des incendies. « Je réussis à ne même plus sentir la fumée », dit-elle.

Sinon, elle ne peut tout simplement pas aller dehors dès que la qualité de l’air se dégrade.

Valérie Tremblay, Québécoise consultante en formation de gestionnaires, vit à San Francisco depuis cinq ans et est triste que les deux plus beaux mois de l’année, septembre et octobre, soient devenus les mois des incendies, où on ne peut plus respirer.

Ça sent la fumée et il y a de la cendre partout. Parfois, sur les autos, tu peux écrire ton nom.

Valérie Tremblay, Québécoise habitant à San Francisco

Mercredi, c’était la première fois qu’elle pouvait voir le pont du Golden Gate, de sa maison perchée dans les hauteurs de Berkeley, depuis une semaine.

Enfin une bonne nouvelle, car elle trouve la vie un peu ennuyeuse depuis six mois. « Ici, dans mon groupe d’amis, on respecte les règles très scrupuleusement », explique-t-elle. Donc confinement à la maison le plus possible, distanciation, masque, etc.

Parce que quand on ne parle pas d’incendies ou de qualité de l’air, on parle du virus en Californie. Mais au moins, elle voyait du monde à l’extérieur. « Au moins, tu te dis, on va peut-être voir un humain. »

Plus possible depuis la mi-août.

Les Californiens restent à la maison. Ce qui fait, par le fait même, baisser la propagation du virus.

« Il manque juste le tremblement de terre », lance Valérie Tremblay. Celui que la Californie attend depuis longtemps.

Pense-t-elle revenir au Québec à cause de la situation climatique ? « Il n’en est pas question, répond-elle. Mais si quelque chose me faisait changer d’idée, ça serait bien plus Trump ! »

De la fumée jusqu’en Europe

Les experts sont unanimes : l’ampleur de ces incendies, qui s’étendent de la frontière du Canada jusqu’à celle du Mexique, est « sans précédent », jusqu’à 100 fois plus élevée que la moyenne du passé. Cette hausse serait entre autres attribuable aux changements climatiques. Les vents violents de « Santa Ana », attendus en Californie dans les prochains jours, pourraient contribuer à empirer une situation déjà très compliquée. Signe de leur ampleur et de leur durée, ces incendies ont même propagé mercredi leur fumée de l’autre côté de l’Atlantique, jusqu’en Europe, relâchant des quantités importantes de carbone dans l’atmosphère. Plus tôt, mardi, le tout s’était aussi répandu au-dessus du ciel de Montréal, qui semblait recouvert de nuages alors que le soleil était pourtant au rendez-vous. Depuis plusieurs jours déjà, les villes américaines de Portland, San Francisco, Los Angeles et Seattle enregistrent des taux de qualité de l’air jugés « malsains », voire « dangereux », par les autorités sanitaires. Elles figurent toutes parmi les pires régions urbaines à ce chapitre dans le monde, actuellement.

— Henri Ouellette-Vézina, La Presse

Les incendies en quatre chiffres

2 000 000

Nombre d’hectares qui ont déjà été brûlés cette année par les incendies dans l’Ouest américain. C’est l’équivalent de 46 fois l’île de Montréal. Plus de 900 000 hectares sont en Californie, ce qui surpasse tous les bilans précédents depuis les années 30, date à laquelle les incendies ont commencé à être recensés.

7600

Nombre d’incendies qui se sont déclenchés dans l’État de la Californie, seulement en 2020. Pendant toute l’année dernière, il n’y en a même pas eu 5000. Il s’agit d’un bond de 50 %. Or, la saison des incendies est loin d’être terminée.

Plus de 30

Nombre de morts causées par les incendies dans l’Ouest américain depuis le début de l’été. La plupart sont survenues ces deux dernières semaines.

17 000

Nombre approximatif de pompiers qui luttent toujours activement contre la propagation des incendies. Une vingtaine de foyers d’envergure continuent de faire rage en Californie, selon les données des autorités locales.

— Henri Ouellette-Vézina, La Presse