À moins de deux mois du jour J, notre couverture de la campagne électorale américaine s’intensifie. Le chroniqueur Philippe Cantin – passionné de politique américaine – signera tous les mercredis une chronique sur les hauts et les bas de la chaude lutte en cours chez nos voisins du Sud.

Dans son discours à la convention démocrate de 2016, Michelle Obama a expliqué la devise de sa famille face aux attaques vicieuses de ses adversaires politiques : « When they go low, we go high », a-t-elle dit. Non, pas question de sombrer à leur niveau, pas question de jouer les matamores, pas question d’intimider. Face aux insultes, recadrons plutôt le débat vers le haut, dans le respect des plus belles valeurs américaines.

Deux mois plus tard, lors du deuxième débat présidentiel l’opposant à Donald Trump, Hillary Clinton a rappelé les propos dignes et nobles de la première dame des États-Unis. Comment ne pas admirer une telle largeur d’esprit, comment ne pas être inspiré par cette attitude chevaleresque ? Se battre jusqu’au bout, oui. Mais loyalement, dans le respect de ses rivaux.

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Hillary Clinton en août 2016

Pendant ce temps, Trump a multiplié les invectives et les fausses accusations. Cette tornade de mensonges a produit son effet : durant ses discours, ses supporters ont scandé un slogan pour réclamer l’emprisonnement de la candidate démocrate. Jamais campagne électorale n’a sombré aussi bas aux États-Unis.

Loin de payer le prix de sa goujaterie, Trump a remporté l’élection. Et constaté avec satisfaction que les torrents de fiel écumant de sa bouche ont représenté une clé de son succès.

Des millions d’Américains ont admiré le style tonitruant du magnat de l’immobilier. Il n’allait pas s’arrêter en si bon chemin. Il le prouve quotidiennement sur Twitter depuis quatre ans, où ses injures sont innombrables.

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Donald Trump, président des États-Unis, lors de son embarquement dans le Air Force One, en direction de Philadelphie

Aujourd’hui, cette réalité pose problème aux démocrates. Comment riposter à Trump avec mordant, sans descendre aussi bas ? Comment conserver leur dignité tout en ne s’écrasant pas devant ce rouleau compresseur ? Car s’ils encaissent les coups sans en remettre, bon nombre d’électeurs y verront un aveu de faiblesse. Le fair-play n’est pas entièrement soluble avec une victoire le 3 novembre.

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À première vue, Joe Biden n’est pas le candidat idéal pour expédier des jabs à Trump. Homme respectable et respecté, son ouverture aux autres définit sa carrière politique. De l’avis de tous, il est un « bon gars ». La réplique acérée, susceptible de tourner en boucle dans les médias, n’est pas sa spécialité.

Avec son expérience et sa connaissance des enjeux, Biden a l’étoffe d’un président. Mais à cette époque où le discours politique se situe au ras des pâquerettes, a-t-il le profil d’un bon candidat ? Est-il assez solide pour traverser deux mois d’attaques féroces et flanquer aussi des coups ? On verra. Mais avouons qu’il est bien parti.

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Joe Biden, candidat démocrate à la présidence des États-Unis

Biden en a donné une preuve initiale dans son discours à la convention démocrate, attaquant Trump d’un ton pugnace et empreint d’une autorité manifeste.

Livrer avec panache un texte sur lequel des conseillers travaillent depuis longtemps, c’est une chose. Réagir jour après jour à l’actualité démentielle d’une campagne électorale en est une autre. Et cette fois, Biden n’est pas le seul à surprendre. La machine démocrate et tous ses alliés foncent au quart de tour.

On l’a vu au début du mois après la publication d’un article dans The Atlantic. Le rédacteur en chef, Jeffrey Goldberg, a soutenu que Trump s’est moqué des soldats américains morts au combat, les traitant de « perdants » et de « dupes ». Biden a vite marqué son territoire. Même si les allégations n’étaient pas prouvées, il a charcuté Trump dans une allocution passionnée, où il a rappelé le service de son fils Beau en Irak.

Ses mots ont été durs : Trump, a-t-il dit, n’a pas la fibre morale pour être commandant en chef des armées.

Une publicité agressive a aussi été produite, superposant les propos de Trump à des images émouvantes : cimetière militaire américain, soldats dans une cérémonie solennelle, funérailles du sénateur républicain et héros de guerre John McCain… Ce montage percutant a illustré que Biden et son camp ne se contenteraient pas du jeu défensif au cours des prochaines semaines.

Les pubs de ce type irritent Trump. Sur Twitter, dimanche, il a qualifié l’une d’elles de « vicieuse ». Étant lui-même expert de ce genre de commentaires, comme le démontre l’avenir apocalyptique qu’il prédit aux États-Unis si Biden est élu, les démocrates ont sans doute pris son observation comme un hommage.

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En 2016, Hillary Clinton est elle-même devenue l’enjeu-clé des élections. Son utilisation d’un serveur privé de courriels, sa gestion de l’attaque terroriste de Benghazi, en Libye, quand elle était secrétaire d’État, et l’animosité qu’elle suscitait dans une frange de l’électorat – en partie parce qu’elle était une femme aspirant aux plus hautes responsabilités – ont contribué à sa défaite dans des États clés. Cela lui a coûté la présidence même si elle a remporté le vote populaire.

En 2020, Biden doit transformer cette élection en référendum sur Trump qui, loin d’être vaincu, se battra férocement jusqu’au bout. Mais ses quatre années dans le bureau Ovale, couplées aux révélations dans les livres de son ancien conseiller à la sécurité nationale, John Bolton, et du journaliste Bob Woodward, ainsi que dans The Atlantic, fournissent déjà beaucoup de matériel aux démocrates pour frapper là où ça fait mal.

Dans un monde idéal, le débat d’idées serait au cœur de cette campagne électorale. Mais Trump a fait déraper la politique américaine. Pour le battre, il faudra lui rendre un peu la pareille. L’angélisme et les bonnes intentions ne suffiront pas. Parfois, « when they go low », il faut sortir les gants de boxe.