(Washington) Des affrontements en marge de manifestations antiracistes ont fait trois morts aux États-Unis, pays où les divisions de la société, exacerbées par une triple crise, et la présence massive d’armes à feu font craindre le pire à l’approche de la présidentielle.

Donald Trump espère décrocher un second mandat le 3 novembre, bien que son pays traverse la pire crise sanitaire depuis la grippe espagnole de 1918, la pire récession depuis la crise de 1929 et la pire crise sociale depuis les mouvements pour les droits civiques des années 1960.

Mardi, il doit se rendre à Kenosha, dans la région des Grands Lacs, qui s’est embrasée la semaine dernière après une apparente bavure policière. Le gouverneur de l’État du Wisconsin, le démocrate Tony Evers lui a demandé, en vain, de s’abstenir par crainte que sa présence « retarde la réconciliation » d’habitants « traumatisés ».  

Parmi eux, Gregory Bennett ne se sent « plus en sécurité » dans sa ville, où un jeune de 17 ans, qui avait rejoint des milices armées censées protéger les commerces, a abattu deux manifestants antiracisme dans la nuit de mardi à mercredi.

Les militants d’extrême droite « cherchent une raison pour attaquer », estime-t-il. « Les manifestations leur ont donné une excuse », regrette cet ancien militaire devenu travailleur social. Depuis, il ne sort plus sans son gilet pare-balle et son revolver à la ceinture.

Ce réflexe, fréquent dans un pays où 30 % des adultes possèdent au moins une arme à feu et où le droit à l’autodéfense fait partie du récit national, n’est pas de nature à apaiser la situation.

« Toutes sortes de populistes »

D’ailleurs, les armes ont encore parlé ce week-end à Portland, dans le nord-ouest, où des militants d’extrême gauche s’opposent régulièrement aux forces de l’ordre depuis plus de trois mois.

Cette fois, c’est avec une caravane de partisans de Donald Trump que les échauffourées ont eu lieu. Un homme qui portait une casquette d’un groupe local d’extrême droite a été abattu en marge de ces heurts, dans des circonstances encore floues.

D’ici à l’élection, « il y aura d’autres coups de feu », prédit Spencer Sunshine, analyste de l’extrême droite américaine. « Ça va empirer, car aucun des deux camps n’est prêt à se retirer ».

Les groupes extrémistes ont toujours existé aux États-Unis, rappelle cet expert indépendant. Après l’élection de Donald Trump, droite et gauche radicale s’étaient plusieurs fois affrontées à Seattle, et déjà à Portland.

Ce qui est nouveau, selon lui, c’est la présence massive d’armes dans les manifestations. « Il y a quatre ans, on n’en voyait quasiment qu’en Arizona où les lois sur les armes sont particulièrement souples », dit-il.

Elles étaient particulièrement visibles le 1er mai quand des centaines d’hommes armés de fusils d’assaut ont tenté d’entrer dans le Capitole de l’État du Michigan pour protester contre des mesures de confinement prises pour limiter la propagation du nouveau coronavirus.

Selon M. Sunshine, cette manifestation de force a aussi illustré l’arrivée de nouvelles recrues à l’extrême droite : « on ne voit plus seulement des nationalistes blancs, mais toutes sortes de populistes, ou des partisans de Trump et des théories conspirationnistes », qui sont motivés par « une profonde anxiété » quant à l’avenir des États-Unis.

« Zèle de convertis »

« L’extrême droite exploite le climat politique extrêmement conflictuel, qui est devenu encore plus incertain à cause de la pandémie et des manifestations pour la justice raciale », estime aussi dans un rapport l’observatoire des groupes extrémistes, le Southern Poverty Law Center (SPLC), en jugeant « bien réel » le risque de violences politiques avant les élections.

Face à l’extrême droite se trouve une coalition encore plus hétéroclite que le président Trump regroupe sous le mot-tiroir « antifa » (pour antifasciste) et accuse d’être des « agitateurs, des anarchistes ou des émeutiers ».  

En son sein, « il y a de simples voyous qui aiment se battre et des gens qui veulent vraiment lutter contre les suprémacistes blancs », juge Daniel Byman de la Brooklyn institutions. Et, selon lui, ils sont « encore moins organisés » que leurs adversaires, ce qui augmente le risque de débordements.

Dans ce contexte, « une hausse de la violence est très possible, et même probable », craint-il aussi.

Quant à Spencer Sunshine, il résume le cocktail qui menace les États-Unis à trois ingrédients : « le zèle de convertis, de nombreuses armes et des récits hystériques ».