Bien sûr, il y a tous ces mensonges et ces « faits alternatifs ». On a beau savoir après près de quatre ans que Donald Trump ment comme il respire, la somme de tout ça reste stupéfiante. Le contraste entre le monde qu’il décrit et le monde réel, encore plus.

Comment Trump peut-il vanter sa gestion de la pandémie alors qu’il en a minimisé la gravité pendant des mois et que plus de 180 000 Américains ont déjà été emportés par la COVID-19 ?

Comment peut-il prétendre qu’il est le président qui en a fait le plus pour les Afro-Américains depuis Abraham Lincoln ? Comment peut-il réécrire l’histoire de façon aussi grotesque ? Ne sait-il pas que c’est au démocrate Lyndon B. Johnson qu’on doit la signature du Civil Rights Act en 1964 et le Voting Rights Act en 1965 visant à mettre fin à la ségrégation ?

« En tant que vérificateur des faits, par où commencer ? Je suis sérieux. Je ne sais vraiment pas par où on commence », a tweeté le journaliste Dan Rather durant le discours de Trump, jeudi soir, point culminant et affligeant de la Convention nationale républicaine.

En 3 minutes et 15 secondes, sans reprendre son souffle, le journaliste Daniel Dale à CNN a de son côté recensé plus de 20 mensonges et affirmations trompeuses dans ce discours de Trump.

Bien sûr, il y a tous ces mensonges et ces « faits alternatifs ». On ne s’habitue pas. Et c’est mieux ainsi. Mais ce qui m’a semblé plus éloquent encore dans le discours de Trump, c’est son silence concernant Jacob Blake, le racisme et la violence policière. De ces silences qui en disent plus long que n’importe quel discours-fleuve.

Le président des États-Unis s’avance au micro quatre jours après que Jacob Blake, un Afro-Américain de 29 ans, a reçu, sous les yeux de ses enfants, plusieurs balles dans le dos, tirées par un policier blanc, à Kenosha, dans le Wisconsin. L’homme est paralysé, probablement à vie. Comme si ça ne suffisait pas, il est menotté à son lit d’hôpital, rapportent ses proches. La première chose qu’il dit à son père à son chevet, c’est : « Pourquoi m’ont-ils tiré dessus tant de fois ? » Son père lui répond qu’ils n’auraient pas dû tirer une seule fois. Au moment où j’écris ces lignes, l’agent qui a tiré n’était toujours pas arrêté ou inculpé. Nouvelle injustice. Vieux combat.

PHOTO KEREM YUCEL, AGENCE FRANCE-PRESSE

Un homme et sa fille passent près d’une voiture incendiée pendant une manifestation antiraciste à Kenosha, dans le Wisconsin.

Trois mois après la mort de George Floyd, l’affaire relance de plus belle le mouvement de contestation antiraciste aux États-Unis. La tension est extrême. Les soldats de la Garde nationale sont déployés. Dans la nuit de mardi à mercredi, deux manifestants sont tués par balles à Kenosha, sans que cela provoque l’émoi de la police. Le suspect, un adolescent de 17 ans, qui serait membre d’une milice armée, sera arrêté chez lui, plusieurs heures plus tard.

L’affaire Jacob Blake entraîne dans son sillage un élan de protestation sans précédent dans le monde du sport professionnel contre la violence policière et le racisme systémique. « NOUS DEMANDONS LE CHANGEMENT. ON EN A MARRE », a écrit sur son fil Twitter, mercredi, LeBron James, joueur vedette des Lakers de Los Angeles. Des joueurs de la NBA font la grève, par solidarité avec le mouvement Black Lives Matter. La NBA annule des matchs. D’autres ligues emboîtent le pas.

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Des joueurs de la NBA ont fait la grève par solidarité avec le mouvement Black Lives Matter.

Toute la semaine, des proches de Jacob Blake ont lancé des appels au calme et livré des témoignages poignants.

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Letetra Widman, sœur de Jacob Blake

« Je ne suis pas triste. Je suis en colère. Je ne veux pas de votre pitié. Je veux du changement », a dit sa sœur Letetra Widman, dans un puissant discours où elle a évoqué les noms de trop nombreuses personnes noires victimes du racisme et de violences policières aux États-Unis.

À un collaborateur de CNN, qui lui demandait quel message il aimerait lancer au nom de sa famille, le père de Jacob Blake, atterré, a répondu : « Dites-leur que mon fils est un être humain. »

Tout ça ne s’est pas déroulé il y a un siècle. Tout ça s’est déroulé cette semaine, donc, en pleine Convention nationale républicaine, juste avant que Trump s’avance au micro pour son discours d’acceptation. Et qu’a-t-il dit à ce sujet ? Rien. Pas un mot. Comme si ça n’existait pas. Comme si le président des États-Unis vivait dans un univers parallèle où le problème n’est pas tant la violence policière contre les Noirs que ceux qui s’en indignent. Comme si ce même homme qui se vante sans rire d’en avoir fait plus pour les Noirs que n’importe quel autre président depuis l’abolition de l’esclavage voulait confirmer au mouvement Black Lives Matter sa raison d’être : non, vous avez bien raison, ces vies ne comptent pas. Ces vies ne valent rien. Et ce rêve d’égalité et de justice pour lequel des milliers de manifestants antiracistes indignés sont encore descendus dans les rues de Washington, vendredi, 57 ans jour pour jour après le discours de Martin Luther King « I have a dream », ne mérite même pas un mot. Rien. Rien. Rien. Juste un silence effroyable qui a l’effet d’une autre balle dans le dos.