(Washington) Les manifestations massives qui secouent les États-Unis sonnent-elles le glas du racisme et des violences policières ? La question agite le pays, échaudé par l’échec de précédentes mobilisations à instaurer « la justice raciale ».

Qu’y a-t-il de nouveau dans ces manifestations ? -

De Miami à Seattle, en passant par New York ou Los Angeles, des foules battent le pavé depuis qu’un policier blanc a asphyxié, le 25 mai à Minneapolis, George Floyd, un Afro-Américain de 46 ans.

Ce n’est pas la première fois que le pays s’enflamme après la mort d’un homme noir aux mains de la police. Mais les manifestations n’avaient jamais eu une telle ampleur depuis le mouvement de lutte pour les droits civiques dans les années 1960.

Et surtout, pour la première fois depuis des années, les cortèges comptent beaucoup d’Américains blancs. « C’est très encourageant de voir des gens de toutes les origines », commentait AC Channer, un musicien noir croisé il y a quelques jours sur les lieux du drame. « Je crois que tout le monde en a assez ! », ajoutait-il, empli d’espoir de changements.

Quelles sont les premières avancées ?

Cette mobilisation a d’abord permis de faire évoluer les mentalités.  

Près de la moitié des Américains (49 %) jugent aujourd’hui que la police est davantage susceptible d’user d’une force excessive contre un suspect noir, contre 25 % en 2016, selon un sondage de l’université Monmouth.

« Il y a encore sept ans, c’était extrêmement radical de dire “Black lives matter” (les vies noires comptent) », a rappelé récemment l’une des fondatrices du mouvement, Patrisse Cullors. Maintenant, le terme s’inscrit en lettre capitale en face de la Maison-Blanche avec le soutien de la maire de Washington.  

Plus concrètement, plusieurs villes ont annoncé de premières réformes de leurs services de police : Houston a interdit l’usage des « prises d’étranglement », Washington va exclure les syndicats des procédures disciplinaires engagées contre ses agents, New York veut rendre leur passif accessible au public…

Au niveau national, les élus démocrates du Congrès ont déposé un texte de loi qui s’attaque, entre autres, à la large immunité dont jouissent les policiers.

Seront-elles suffisantes ? -

Les réformes sont compliquées par le fait qu’il existe aux États-Unis près de 18 000 entités policières autonomes (polices municipales, shérifs des comtés, patrouilles des États…) qui ont leurs propres règles de recrutement, de formation, de pratiques autorisées… « Il faut absolument qu’on ait des normes fédérales », a relevé le chef de la police de Houston, Art Acevedo lors d’une audition au Congrès.

Or, les profondes divisions entre élus démocrates et républicains laissent peu de chances à l’émergence d’un texte consensuel. Tout en dénonçant un crime « horrible », le parti du président Donald Trump y voit l’œuvre d’« une pomme pourrie » et refuse une profonde remise à plat des services de police.

Et même si le texte démocrate était adopté, cela « ne serait pas suffisant pour créer des changements de long terme partout dans le pays », dit à l’AFP Theodore Johnson, chercheur au sein du Brennan Center for Justice.

Que faudrait-il de plus ? -

« Il faut que l’on commence à éduquer notre prochain leader, pour qu’il puisse succéder à Jesse Jackson », porte-voix vieillissant de la cause noire, soulignait récemment Jalilia Abdul-Brown, une militante croisée à Minneapolis.

Mais pour le mouvement Black Lives Matter, c’est mieux ainsi. « Notre génération ne veut pas avoir un seul messager, surtout parce que ce n’est pas sûr », a expliqué Patrisse Cullors. « Alors » on travaille sur le message en équipe même si parfois, ça prend un peu plus de temps « .  

Cela peut aussi créer de la confusion. L’émergence du slogan » defund the police « (couper les fonds de la police) a ainsi été perçu comme allant trop loin, même si ses auteurs souhaitent surtout insister sur la nécessité d’allouer plus de fonds à la lutte contre les inégalités socio-économiques (éducation, santé…) affectant les Afro-Américains.  

De fait, Donald Trump, qui briguera un second mandat le 3 novembre, s’en est emparé pour dénoncer » la gauche radicale « .

Et les élections ?

 « Le but des manifestations est de sensibiliser le public aux injustices et de faire en sorte que les puissants soient mal à l’aise », a souligné l’ancien président démocrate Barack Obama sur la plate-forme Medium.  

 « Mais à la fin, il faut que les aspirations se traduisent dans des lois et dans des pratiques institutionnelles et dans une démocratie, cela n’arrive que lorsqu’on vote», a-t-il ajouté en soulignant qu’aux États-Unis » les élus qui comptent le plus en matière de réformes des services de police travaillent au niveau local ou des États « .

 « La colère « ne suffira toutefois pas aux démocrates pour obtenir le soutien des électeurs noirs, souligne Theodore Johnson du centre Brennan : » il va falloir qu’ils développent des messages d’optimisme et d’espoir « .