Donald Trump a raison : les médias sociaux publient n’importe quoi et jouissent d’une incroyable impunité.

La preuve : on le laisse dire n’importe quoi depuis des années sur Twitter. On ne compte plus ses mensonges, insultes, menaces. On a trop d’anticorps, on ne s’étonne même plus de ce qu’il dit. On devrait vomir trop souvent.

Cette semaine, il a écrit que le vote par correspondance permettait de truquer les élections. Il prétendait que le gouverneur de Californie envoyait des « millions » de bulletins de vote à n’importe qui en Californie, y compris des immigrants irréguliers.

L’allégation est sans fondement.

Twitter a ajouté une note de « vérification » à son tweet, renvoyant ses 80 millions d’abonnés à une rectification des faits, car l’affirmation est « potentiellement trompeuse ».

PHOTO OLIVIER DOULIERY, AGENCE FRANCE-PRESSE

Donald Trump a menacé cette semaine de fermer les réseaux sociaux après que Twitter eut ajouté à l’un de ses tweets une note de « vérification », renvoyant ses 80 millions d’abonnés à une rectification des faits, en raison d’une affirmation « potentiellement trompeuse ».

On parle moins de ce qu’il a publié plus tôt cette semaine au sujet d’un animateur de MSNBC, Joe Scarborough. Trump laisse entendre que Scarborough a assassiné une stagiaire en 2001 – alors que rien n’indique qu’il y ait eu un acte criminel. La famille de la jeune femme a supplié qu’on la laisse tranquille.

Le président des États-Unis, la même semaine, accuse un citoyen de meurtre sans preuve et dit aux Américains qu’une vaste fraude électorale se prépare. Rien que ça…

Vous êtes tellement foutus, chers amis américains… Et nous avec vous.

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Si Twitter était un journal, ce serait impubliable.

Mais Twitter n’est pas un éditeur. Il n’assume pas de responsabilité quant au contenu. Trump – comme d’autres – a pu hurler tout ce qu’il voulait, mentir, harceler, etc.

En vertu d’une loi de 1996 – donc avant Twitter et Facebook –, les médias sociaux sont considérés juridiquement comme des « plateformes ». Ils sont à l’abri des poursuites en diffamation. Un peu comme un kiosque à journaux ne peut pas être poursuivi pour un article diffamatoire.

Alors voir Twitter mettre en garde les usagers contre un contenu malhonnête a enragé le président.

Il a menacé de fermer les médias sociaux – ce qu’évidemment il n’a pas le pouvoir de faire, pas plus qu’il ne peut fermer une station de télé.

Il a finalement signé hier un décret présidentiel, qui est un acte juridique exceptionnel ayant force de loi. Le décret prétend suspendre la protection des réseaux sociaux, sous prétexte que la liberté d’expression est menacée comme jamais.

Son application est très douteuse, probablement qu’en cour, ça ne tiendrait pas.

À cinq mois de l’élection, l’essentiel n’est évidemment pas là. Il se fout bien de savoir ce que les juges en diront.

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Le but est d’intimider les réseaux sociaux et tous les médias.

Le but aussi, plus pervers, est de fabriquer à l’avance une raison de mettre en doute sa défaite. 

Il avait dit pendant la campagne de 2016 que les élections étaient « truquées ». Les sondages étant particulièrement mauvais pour lui en ce moment, annoncer une fraude à venir sert autant à mobiliser ses partisans qu’à construire le récit d’une éventuelle défaite.

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Ce qui est extraordinaire cette semaine, c’est de voir Donald Trump dire qu’il faut à tout prix éviter ce qui s’est passé en 2016. Comme si ces réseaux sociaux dirigés par des « démocrates » avaient nui à ses intérêts. Les enquêtes des services de renseignement et du FBI ont pourtant documenté la manipulation des médias sociaux par la Russie. On a exposé la technique des faux comptes et de l’intoxication, on a accusé des gens, on a leur photo, etc. Tentatives de déstabilisation qui étaient destinées à favoriser Trump.

Mais ce président ne croit pas ses propres gens du renseignement ni sa police fédérale.

C’est justement à cause de ces manœuvres étrangères que les médias sociaux, de peur de punitions législatives, ont été forcés de renforcer leurs contrôles, d’éliminer les faux comptes, de mieux gérer les propos haineux et de vérifier les faits qui peuvent avoir des conséquences sociales et politiques.

Comprenez que je ne défends pas ici l’impunité des médias sociaux, qui profitent des contenus des autres, ne rendent aucun compte, évitent les impôts, etc.

Mais qui eût cru que le coup viendrait de la Maison-Blanche ?

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Ce qui est délirant dans cette affaire, c’est que le gardien de la Constitution américaine doit se faire rappeler à l’ordre quand il détruit moralement le système électoral qui l’a mis au pouvoir.

Donald Trump appelle ça de la censure. Pourtant, ses tweets n’ont pas été éliminés. En vérité, son statut de président lui a donné une sorte d’immunité pour attaquer tout le monde au fil des ans.

Ses partisans disent : on laisse les Chinois dire n’importe quoi ! Hier, on a appris que des centaines de tweets, dont certains chinois, avaient subi exactement le même sort.

Mais c’est clairement un jeu dangereux, que de jouer à moitié à l’éditeur. Quels sont les critères ? Qui prend la décision ? Tout est déjà remis en question.

On se trouve devant un bizarre paradoxe, aujourd’hui. Le président retire aux réseaux sociaux l’immunité juridique qui leur permettait de ne pas devoir vérifier et « éditer » tout leur contenu… Et il fait ça parce qu’ils ont édité du contenu. Ça veut dire qu’ils devront être encore plus vigilants s’ils ne veulent pas être poursuivis. Et donc limiter encore plus la liberté d’expression quasi absolue qui règne dans ce far west des mots. Donc en laisser moins passer du président…

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Twitter ici n’est pas le vrai sujet, je le répète.

À la fin, ça ne changera probablement pas grand-chose. Ce sera encore de l’esbroufe. Juste une rage de plus.

C’est peut-être ça qui le tient en vie et en aussi bonne énergie, au fond : l’entretien rigoureux de sa rage.

Hier, il a écrit que les fraudes massives qu’il anticipe feront des États-Unis « la risée » du monde entier.

Ben voyons. C’est déjà fait. Et personne n’a mieux tourné en ridicule les institutions américaines que Donald Trump. Bonne chance pour réparer ça.

Pour ce qui est du « reste du monde », en moins de quatre ans, cet homme et tous ceux qui le laissent faire ont abîmé comme jamais la réputation des États-Unis.

Quand on est son meilleur allié, ce n’est pas une bonne nouvelle.