(New York) Peu avant le 1er mai, échéance de paiement de son loyer, Sean Reilly a entendu frapper à la porte de son appartement : c’était le gérant de son petit immeuble de Brooklyn, réclamant le paiement de son loyer d’avril.

Peine perdue : comme plusieurs milliers de locataires new-yorkais, ce chercheur de 25 ans participe à une « grève des loyers », en réaction à une pandémie qui a transformé en chômeurs plus de 30 millions d’Américains, qui craignent dans la foulée de perdre leur logement.  

Alors que Sean Reilly et d’autres locataires déroulaient vendredi des banderoles de protestation dans leur immeuble du quartier de Crown Heights, d’autres manifestaient depuis leur voiture devant la résidence du gouverneur de l’État de New York, dans la capitale Albany, pour demander une aide financière.  

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Des actions similaires étaient prévues, en cette date symbolique du 1er mai, à travers les États-Unis, qui n’avaient pas connu un tel mouvement de locataires depuis la crise des années 30.

Quelque 12 000 locataires, représentant quelque 100 immeubles new-yorkais, ont participé à l’action, selon les estimations encore préliminaires de l’organisation Housing Justice for All, à la pointe de ce mouvement.

« Mal à l’estomac »

« Je ne vais pas mentir, ça fait peur de dire à son propriétaire, “Nous ne payons pas le loyer” », a expliqué à l’AFP M. Reilly, militant du parti de gauche Democratic Socialists of America, qui avec ses quatre colocataires paie un loyer mensuel de 3100 dollars.

« J’avais mal à l’estomac en envoyant le courriel, mais c’est la chose à faire actuellement. »

M. Reilly travaille toujours — il préfère taire ce qu’il fait exactement, de peur de représailles — mais souligne que beaucoup de collègues ont perdu leur emploi, et qu’il craint de subir le même sort.

Installé à New York depuis l’été dernier, son voisin Stephen Henderson, qui lui aussi fait la grève du loyer avec ses colocataires, a perdu avec la pandémie tous ses contrats à la pige pour la télévision et le cinéma.

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De gauche à droite : Jose Sanchez, Sean Riley et Stephen Henderson

Il touche des indemnités chômage depuis la semaine dernière, mais attend encore les 1200 dollars d’aide promis par le gouvernement fédéral à tous les revenus modestes.

« Beaucoup d’entre nous essaient de voir comment on va trouver l’argent pour acheter à manger, alors ne parlons pas du loyer », a indiqué Stephen Henderson, qui porte un bandana en guise de masque contre le virus.

Près des deux tiers des 8,6 millions de New Yorkais sont locataires, dans une ville où le prix moyen d’un trois-pièces varie de 2500 dollars à Queens à 4000 dollars à Manhattan.

Le gouverneur Andrew Cuomo a décrété mi-mars un moratoire qui interdit toute éviction jusqu’au 20 juin, mais cela ne fait que « reporter le problème », dit M. Reilly.

« Les gens ne récupéreront pas les salaires perdus », dit-il, soulignant que ses colocataires espéraient négocier un plan de remboursement mais, sans aide gouvernementale, la situation s’annonce difficile.

Sollicité par l’AFP, le gérant de leur immeuble, qui compte cinq appartements, n’a pas immédiatement réagi.

Encouragements de Bernie Sanders

Mais Kalman Zimmerman, propriétaire et agent immobilier qui gère de nombreux appartements du quartier, a indiqué que renoncer aux loyers était « très difficile » pour les gérants, qui eux aussi peinent à payer leurs factures, leurs prêts immobiliers et leurs impôts.

Pour lui, un gel des loyers ne peut venir que d’en haut : « je suis à fond pour le gel des loyers, si le gouvernement gèle les paiements d’impôts et les remboursements de prêts pour les propriétaires ».

Les jeunes représentantes du Congrès Ilhan Omar et Alexandria Ocasio-Cortez, proches du sénateur socialiste Bernie Sanders qui dès mars évoquait une grève des loyers, soutiennent un projet de loi qui annulerait loyers et prêts immobiliers au niveau national. Mais ni le président Donald Trump ni les leaders démocrates du Congrès n’ont manifesté leur appui.

M. Reilly espère néanmoins que plus la pandémie durera, plus les gens prendront « conscience » du problème.  

« Notre mouvement se renforce », dit-il. « Je vous assure qu’on va continuer jusqu’à ce qu’on gagne. »