(NEW YORK) En voyant les boîtes de matériel médical empilées sur le trottoir, un jeune médecin du Centre hospitalier de Brooklyn n’a pu retenir une exclamation, jeudi après-midi : « Ouah ! Des masques N95 ! »

« Oui, des masques N95 », a confirmé Emily Laing, une ancienne infirmière qui jouait les bonnes samaritaines en compagnie de deux amis. « Nous n’en avons que deux boîtes, car ces masques sont très coûteux. Les autres boîtes contiennent des blouses de protection et du désinfectant en aérosol. »

Lui-même revêtu de l’équipement de protection individuelle (EPI) nécessaire au personnel hospitalier en contact avec des patients atteints de la COVID-19, le médecin s’est emparé d’une première boîte.

« Ce sera certainement utile », a-t-il dit en remerciant Emily Laing et ses amis.

La scène illustre deux réalités à New York, épicentre de l’épidémie de coronavirus aux États-Unis. L’une d’entre elles, c’est celle de citoyens ordinaires qui se mobilisent pour se porter à l’aide des hôpitaux de la ville et de leur personnel, aux prises avec une crise sans précédent.

Il y a à peine une semaine, Emily Laing a fondé un groupe pour ramasser des fonds et distribuer du matériel médical aux hôpitaux les moins fortunés. Après avoir récolté 30 000 $ auprès de 300 personnes, elle procédait jeudi à sa quatrième livraison de matériel dans un hôpital new-yorkais.

« Notre groupe est composé d’Américains d’origine asiatique », a précisé Mme Laing, une native de la Chine qui s’est recyclée dans l’immobilier. « Vous savez, le président Trump parle du ‘‘virus chinois’’, ce qui encourage le racisme envers notre communauté. Nous voulons laisser savoir à tout le monde que nous ne sommes pas une menace. Nous essayons d’aider tout le monde. Nous ne sommes pas un virus chinois. Le virus n’a pas de nationalité. »

PHOTO RICHARD HÉTU, COLLABORATION SPÉCIALE

Emily Laing, ex-infirmière, joue les bonnes samaritaines en distribuant du matériel de protection dans les hôpitaux new-yorkais. Avec elle sur la photo, un médecin du Centre hospitalier de Brooklyn qui n'a pas souhaité donner son nom.

« Un environnement stressant »

L’autre réalité, c’est celle de la pénurie de matériel médical qui guette ou frappe les hôpitaux new-yorkais, dont le Centre hospitalier de Brooklyn, situé dans le quartier Fort Green.

« Nous utilisons environ 500 masques par jour », a déclaré le jeune médecin à La Presse – sous le couvert de l’anonymat, puisqu’il n’a pas obtenu la permission de parler aux journalistes. « Je ne pense pas que nous ayons un besoin pressant de matériel en ce moment, mais la situation pourrait être différente à partir de la semaine prochaine. C’est pour cette raison que les dons des citoyens sont bienvenus. »

Au cours des trois dernières semaines, le Centre hospitalier de Brooklyn a traité plus de 800 patients atteints de la COVID-19 ou soupçonnés de l’être. À l’échelle de la ville de New York, plus de 26 000 cas de contamination avaient été recensés vendredi, sur un total de plus de 44 600 dans l’État de New York, où le nombre de décès atteignait 519, une augmentation de 134 en 24 heures.

Et le nombre d’hospitalisations augmente en conséquence.

C’est un environnement stressant. Tout le monde travaille d’arrache-pied. Tout le monde collabore. Certains membres du personnel tombent malades, mais ça fait partie du travail. Pour le moment, la situation est maîtrisée.

Un médecin de Brooklyn

Ce n’est pas le cas partout. Plus tôt cette semaine, le New York Times a brossé un portrait dantesque de la situation au Centre hospitalier d’Elmhusrt, dans l’arrondissement de Queens, où 13 patients atteints de la COVID-19 sont morts dans la même journée. « C’est la première vague de ce tsunami », confiait une médecin de cet hôpital dont la morgue est pleine.

Pendant ce temps, à l’hôpital Mount Sinai West, à Manhattan, une partie du personnel était révolté après la mort d’un aide-infirmier attribuée à un manque d’équipement de protection individuelle.

« Nous n’avons pas l’EPI adéquat et le personnel approprié pour faire face à cette pandémie », a dénoncé Bevin Bloise, une infirmière de l’hôpital, sur sa page Facebook.

Diana Torres, une collègue, a commenté : « Nous avons perdu un grand combattant dans cette guerre. »

« Ça ne dérougit pas »

Cette guerre, le gouverneur de New York, Andrew Cuomo, s’est de nouveau plaint vendredi de la mener sans une réserve suffisante de matériel médical.

Il a dressé une liste exhaustive de ce dont l’État aura besoin selon lui pour faire face aux hospitalisations exponentielles qui l’attendent en avril et en mai : 20 millions de masques N95, 30 millions de masques chirurgicaux, 45 millions de paires de gants d’examen, 20 millions de blouses de protection et 30 000 respirateurs.

PHOTO BRYAN R. SMITH, AGENCE FRANCE-PRESSE

Andrew Cuomo, gouverneur de l'État de New York, s'est adressé à la presse, vendredi, en présence de membres de la Garde nationale.

La veille, Donald Trump avait mis en doute la nécessité d’aider le gouverneur de New York à se procurer ces respirateurs.

« Je ne crois pas que vous ayez besoin de 30 000 ou 40 000 respirateurs », a-t-il dit lors d’un entretien téléphonique accordé à Fox News, tout en notant le prix élevé de ces appareils. « Vous allez dans certains grands hôpitaux parfois, et ils en ont deux. Et tout d’un coup, tout le monde en réclame de grandes quantités. »

Ce différend était très loin des préoccupations de Leonardo Espinosa, jeudi après-midi. Ce travailleur de la construction faisait la queue devant une tente dressée devant le Centre hospitalier d’Elmhurst, où il voulait se soumettre à un test de dépistage du coronavirus.

« J’ai travaillé lundi et mardi même si j’avais de la fièvre et des douleurs partout », a-t-il dit à La Presse en abaissant son masque chirurgical pour parler librement. « Hier, je n’ai pas été capable de sortir du lit. J’ai peur d’avoir attrapé le virus. Ça doit courir sur le chantier depuis des jours. »

Vers 15 h, Lydia Rojas, une infirmière, a émergé de la tente après la fin de son quart de travail.

« Ça ne dérougit pas depuis 8 h ce matin », a-t-elle dit en montrant du doigt la queue. 

« Je ne peux pas dire que tous les gens que nous avons testés sont atteints de la COVID-19, mais je sais que nous aurons à nous battre contre cette maladie pendant encore très longtemps. »