La transmission en direct des points de presse du président américain Donald Trump, qui a remis en question lundi l’utilité de mesures prolongées de distanciation sociale, contribue à désinformer dangereusement le public relativement à la pandémie de COVID-19 et devrait être suspendue.

Telle est du moins la suggestion de spécialistes des médias américains généralement critiques du chef d’État qui pressent les grandes chaînes de télévision de revoir leurs façons de faire à son égard pour éviter d’aggraver la situation sanitaire du pays.

« Il ne suffit pas de faire comme d’habitude. Des efforts mineurs visant par exemple à vérifier a posteriori les déclarations du président sont largement insuffisants pour contrer les dommages sérieux que cet homme inflige au bien-être de la population américaine », plaide notamment Margaret Sullivan, qui commente le monde des médias pour le Washington Post.

Plutôt que de chercher à relayer des informations « essentielles et fondées » au public de manière à le rassurer, le président use de cette tribune pour chanter ses propres louanges, attaquer les journalistes et multiplier les « exagérations et les mensonges », écrit l’analyste.

Elle relève notamment que le président a souligné récemment les mérites d’un médicament utilisé contre la malaria (la chloroquine) comme moyen de lutter contre le nouveau coronavirus alors qu’aucun consensus scientifique n’existe à ce sujet.

En « mode urgence »

Jay Rosen, critique des médias rattaché à la New York University, affirme dans la même veine que les médias doivent se mettre en « mode urgence » et revoir en profondeur dans ce contexte la manière dont ils couvrent les interventions publiques du président américain.

Les journalistes, note-t-il sur son blogue, ne sont pas obligés d’aider le président Trump « à désinformer le public américain relativement à la propagation de la maladie et ce que son gouvernement fait vraiment à ce sujet ».

M. Rosen note que le chef d’État a prétendu initialement que le virus allait disparaître rapidement « comme par miracle » avant de virer capot en prétendant avoir été parmi les premiers à comprendre qu’une pandémie s’en venait.

De nombreuses déclarations du président sur le coronavirus ne sont pas fiables et doivent être mises en perspective plutôt que d’être relayées directement au public par l’entremise de conférences de presse télévisées, souligne-t-il.

Il s’agit, ni plus ni moins, d’une « question de vie ou de mort » a souligné l’analyste, en relevant que la décision de diffuser un résumé commenté des points de presse de Donald Trump plutôt que les images en direct générerait certainement de nombreuses critiques, y compris dans le milieu journalistique.

PHOTO JONATHAN ERNST, REUTERS

Le lutrin présidentiel désinfecté avant le point de presse de lundi

Howard Kurtz, analyste des médias rattaché à la chaîne Fox News, a indiqué lundi en ondes que l’idée était la « pire suggestion » imaginable.

Les progressistes sont censés être des champions de la liberté d’expression et voilà que des progressistes connus disent que le président ne mérite pas cette liberté d’expression et devrait être censuré sous prétexte qu’il profère des mensonges et diffuse de la désinformation.

Howard Kurtz, analyste rattaché à Fox News

La suggestion voulant que les médias soient mieux placés que le public pour évaluer la teneur des propos du président paraît extrêmement « condescendante » envers le public, ajoute M. Kurtz.

« Le public est plus intelligent que ces analystes veulent bien le penser », relève-t-il.

Pente glissante

Bernard Motulsky, spécialiste des communications rattaché à l’Université du Québec à Montréal, pense que les médias critiques de Donald Trump s’engageraient sur une pente glissante en décidant de ne pas relayer les points de presse du président en temps de crise.

Les « gens ne sont pas idiots » et doivent pouvoir évaluer eux-mêmes les propos du dirigeant américain, relève l’analyste, qui voit le « contrôle d’information » comme une mauvaise solution.

Les interventions du président n’en demeurent pas moins problématiques, puisqu’elles semblent souvent être en porte-à-faux avec les experts en santé publique américains, relève M. Motulsky.

« On a l’impression qu’ils ne chantent pas la même chanson. C’est susceptible de renforcer le scepticisme de la population » relativement aux restrictions proposées, souligne-t-il.

Ces contradictions étaient de nouveau manifestes lundi alors que le pays fait face à une augmentation très rapide du nombre de cas de contamination et devient l’un des pays les plus touchés.

Tandis que Donald Trump s’interrogeait sur l’efficacité du confinement de la population, le médecin en chef des États-Unis, Jerome Adams, a prévenu les Américains que la crise allait « vraiment empirer » prochainement et justifiait qu’ils limitent leurs déplacements au minimum.

« Il faut vraiment, vraiment que tout le monde reste chez soi », a-t-il relevé.