(CEDAR RAPIDS, IOWA) Son t-shirt aux couleurs jaune et noir des Hawkeyes de l’Iowa était trompeur. Matthew Gunnip ne pourra pas participer lundi soir aux caucus du petit État rural du Midwest qui se pâme de football universitaire. Mais ce travailleur social de Providence, dans le Rhode Island, voulait être aux premières loges de ce rendez-vous électoral qui pourrait contribuer à transformer son pays.

Après avoir traversé jeudi dernier la moitié des États-Unis en avion, l’homme de 39 ans s’est mis à rouler dans une voiture de location sur des autoroutes rectilignes bordées de champs de maïs enneigés et d’éoliennes, arrêtant dans les villes où les candidats démocrates font campagne. Samedi après-midi, il s’est donc retrouvé dans le gymnase d’une école de Cedar Rapids, dans l’est de l’Iowa, à six rangées seulement du lutrin où Joe Biden devait s’adresser à une foule d’environ 300 personnes.

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Joe Biden

« Le processus des caucus est unique », a indiqué M. Gunnip, un barbu au crâne lisse, avant l’arrivée de l’ancien vice-président. « Même si l’Iowa n’est pas l’État le plus représentatif des États-Unis sur le plan démographique, les électeurs ont l’occasion de voir les candidats de près, de leur poser des questions directement. »

Et d’ajouter : « Je veux être témoin de l’histoire. Un de ces candidats démocrates deviendra probablement le prochain président des États-Unis et leader du monde libre. J’aurais voulu être ici en 2008. L’Iowa, en définitive, est peut-être responsable de l’élection du premier président afro-américain des États-Unis. »

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Matthew Gunnip

Matthew Gunnip pèche peut-être par excès d’optimisme. Les chances du républicain Donald Trump d’être réélu demeurent bonnes. Mais le travailleur social a raison sur un point : les caucus de l’Iowa, première étape officielle de la course à l’investiture des grands partis américains, peuvent servir de tremplin à un candidat qui sort du moule.

La « révolution » de Sanders

Cette année, Bernie Sanders pourrait être ce candidat. Et si la « révolution » dont il est le prophète triomphe en Iowa, ce sera grâce à des électeurs et des électrices comme Lasha Roberts. Gérante d’un bar de Cedar Rapids, l’Afro-Américaine de 28 ans participera lundi soir à son premier caucus à vie. Le succès du sénateur indépendant du Vermont, qui se définit comme un socialiste démocrate, passe par la mobilisation de cet électorat plus jeune qui avait permis à Barack Obama de surprendre le monde il y a 12 ans en Iowa.

« Mes amis m’ont convaincue d’y aller », a affirmé Lasha Roberts en tentant de trouver un siège libre dans l’amphithéâtre de Cedar Rapids où plusieurs milliers de personnes s’étaient rassemblées pour entendre Bernie Sanders, ses alliés de gauche – dont le documentariste Michael Moore et le philosophe Cornell West –, ainsi que le groupe Vampire Weekend.

« Je me suis dit : pourquoi pas ? Je n’avais rien d’autre à faire. »

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Lasha Roberts

Bernie Sanders est le premier politicien qui fait vibrer Lasha Roberts depuis Barack Obama. Quand on lui demande ce qui l’attire chez le candidat démocrate âgé de 78 ans, elle répond sans hésiter : « Sa réforme de la santé est formidable. Et je veux que ma fille aille à l’université quand elle sera grande. La gratuité scolaire sera une bonne chose pour elle. »

Système de santé à payeur unique. Gratuité des universités publiques. Plan vert pour assurer la transition énergétique. Pour que ces propositions ambitieuses – et plusieurs autres encore – deviennent réalité, l’élection de Bernie Sanders ne suffira pas. Mais Lasha Roberts croit qu’un mouvement populaire parviendra à forcer un Congrès récalcitrant à mettre en œuvre les politiques du premier président socialiste démocrate.

« Il y a tellement d’Américains de la classe ouvrière qui bénéficieront de son programme, dit-elle sans s’embarrasser du conditionnel. Les milliardaires et les gens au pouvoir tenteront de le stopper, mais nous sommes beaucoup plus nombreux qu’eux. »

L’âge de Biden

Le contraste entre le rassemblement de Bernie Sanders à Cedar Rapids et celui de Joe Biden dans la même ville n’aurait pas pu être plus grand et frappant. Le sénateur du Vermont s’est adressé à une foule imposante, jeune, bruyante. Certes, certains spectateurs s’étaient déplacés expressément pour entendre Vampire Weekend. Mais la plupart buvaient les paroles du candidat.

« Le monde entier regarde l’Iowa », a déclaré Bernie Sanders à la fin de son discours. 

« Le monde entier se demande si les gens de l’Iowa sont prêts à se battre pour la justice. […] Tout commence ici lundi soir. »

Et la foule de scander : « Bernie ! Bernie ! Bernie ! »

Joe Biden, lui, était entouré d’une petite foule, plus âgée, moins enthousiaste, au sein de laquelle des électeurs ont exprimé une inquiétude qui est niée ou ignorée chez les partisans de Bernie Sanders.

« J’aime tout de Joe Biden, mais son âge me préoccupe un peu, a indiqué Jack Murphy, ingénieur à la retraite. Le travail d’un président est éprouvant. »

Comme nombre d’électeurs de l’Iowa, Jack Murphy attendra d’être sur le site de son caucus avant de prendre une décision finale. Il veut voir comment les électeurs s’assembleront dans la pièce avant de décider s’il peut aider un candidat en particulier.

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Jack Murphy

Bernie Sanders et Elizabeth Warren sont les deux seuls candidats qu’il a déjà éliminés.

« Ils sont trop extrêmes. Je ne vois pas comment ils pourraient se faire élire contre Donald Trump », croit M. Murphy.

Cindy Nass, elle, n’est ni indécise ni inquiète au sujet de l’âge de Joe Biden. Survivante du même cancer qui a emporté Beau Biden, fils de l’ancien vice-président, cette adjointe juridique âgée de 49 ans a déjà participé à un défilé du 4 juillet aux côtés du candidat âgé de 77 ans.

« Il ne marchait pas, il courait, a-t-elle dit en riant. Il n’y a pas de doute dans mon esprit que Joe Biden est le seul candidat capable de battre Donald Trump et d’unir notre parti. »

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Cindy Nass

La difficile unité

L’unité du Parti démocrate. Vendredi, dans un espace événementiel de Des Moines, Adam et Alaina Swell, un couple d’enseignants, ont abordé ce sujet délicat en attendant le début d’un rassemblement organisé par l’équipe de campagne d’Elizabeth Warren.

Adam s’indignait d’une action organisée par des partisans de Bernie Sanders, qui ont envahi le quartier général de la campagne de Joe Biden dans la même ville, la semaine dernière.

« Les gens disent que la politique est un sport de contact, mais je pense que nous devons rester civilisés. Pour ma part, je vais soutenir quiconque remportera l’investiture démocrate, et je suis sûr que tout le monde dans cette salle pense la même chose », a-t-il dit.

Alaina, sur un ton plutôt coupant, a interjeté : « Tu n’en sais rien. »

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Alaina et Adam Small

Le même soir, dans une autre ville de l’Iowa, une alliée progressiste de Bernie Sanders, la représentante du Michigan Rashida Tlaib, soulevait la controverse en huant publiquement Hillary Clinton, qui a critiqué le sénateur du Vermont récemment.

« Les haineux vont se la fermer quand nous gagnerons lundi », a-t-elle déclaré.

Le lendemain, tant Elizabeth Warren que Pete Buttigieg, deux autres candidats de premier plan en Iowa, se sont posés en rassembleurs. L’un et l’autre pourraient également se servir des caucus de l’Iowa comme tremplin. Une victoire de la sénatrice du Massachusetts ne serait certes pas historique, compte tenu de la première place d’Hillary Clinton en 2016, mais il en irait autrement pour l’ancien maire de South Bend, en Indiana.

Ce dernier pourrait en effet devenir le premier candidat ouvertement gai à remporter un État dans le cadre d’une course à l’investiture d’un des grands partis. Mary Stempel, enseignante à la retraite, l’en croit capable.

« Il me fait penser à John Kennedy », a-t-elle dit après un rassemblement de Pete Buttigieg à Council Bluffs, dans l’ouest de l’Iowa. « Il est jeune, éduqué, intelligent. Biden et Sanders appartiennent au passé. Buttigieg représente l’avenir. »

L’a b c des caucus

À partir de 19 h ce lundi, heure locale, les quelque 615 000 électeurs démocrates de l’Iowa sont convoqués dans 1678 sites (precincts) pour participer aux caucus de l’État. Sur place, ils débattront des enjeux et des candidats avant de se répartir dans la pièce en fonction de leur préférence. Après un premier décompte, tous les candidats n’ayant pas récolté au moins 15 % d’appuis sont éliminés. Leurs supporteurs peuvent ensuite quitter les lieux ou s’assembler avec les électeurs d’un des candidats encore en lice. Trois résultats seront annoncés au cours de la soirée : les appuis récoltés par chaque candidat après le premier « alignement » ; les appuis récoltés après le deuxième ; et le nombre de délégués remportés par les candidats ayant survécu au premier tour. L’Iowa met en jeu 41 des 4765 délégués à la convention démocrate.

Que disent les sondages ?

Selon la moyenne des sondages du site RealClearPolitics, Bernie Sanders mène dans les intentions de vote en Iowa avec 24,7 % devant Joe Biden (21 %), Pete Buttigieg (16,3 %), Elizabeth Warren (15,2 %) et Amy Klobuchar (8,3 %). La moyenne des sondages du site FiveThirtyEight laisse entrevoir un résultat plus serré : Sanders (22,4 %), Biden (21,4 %), Buttigieg (15,5 %), Warren (14,5 %) et Klobuchar (10 %). La différence entre les moyennes tient au poids relatif accordé à chaque sondage par FiveThirtyEight en fonction de sa qualité. L’importance d’une victoire en Iowa peut également être relative. Un triomphe de Biden, par exemple, pourrait ébranler Sanders, alors que la victoire attendue de Sanders n’aurait pas le même effet pour Biden. Sanders mène également dans les intentions de vote au New Hampshire, qui tiendra la première primaire de la course démocrate le 11 février.

Du côté républicain

Mine de rien, les républicains tiendront également des caucus lundi soir en Iowa. Mais le résultat, contrairement à celui du Parti démocrate, est connu d’avance. Donald Trump triomphera face à ses deux rivaux : l’ancien représentant de l’Illinois Joe Walsh et l’ancien gouverneur du Massachusetts William Weld. Si Weld s’est fait discret ces derniers jours en Iowa, Walsh a été plus actif… et cinglant. « Mon parti est une secte », a-t-il confié au quotidien The Guardian entre deux rassemblements. « Je suis un républicain conservateur. Fox News refuse de m’inviter. Les médias conservateurs m’ignorent parce qu’ils font partie de la secte. » Donald Trump n’a quand même laissé rien au hasard, tenant un rassemblement la semaine dernière au campus de l’Université Drake, à Des Moines. « En novembre, nous battrons les démocrates socialistes ! » a-t-il exulté.