(New York) Les allégations explosives de John Bolton dans un livre à paraître ont plongé le procès en destitution de Donald Trump dans l’incertitude, tout en remontant d’un cran la pression sur les sénateurs républicains à l’approche d’un vote attendu sur l’assignation à comparaître de quatre témoins, dont l’ancien conseiller de la Maison-Blanche pour la sécurité nationale.

Poursuivant leur plaidoirie entamée samedi, les avocats de Donald Trump ont largement ignoré lundi ces accusations qui contredisent un des arguments clés de leur défense. Mais les révélations de John Bolton ont poussé au moins quatre sénateurs républicains à se dire intéressés ou curieux d’entendre ce qu’il a à raconter.

Le troisième procès en destitution d’un président américain pourrait prendre une tournure inattendue – et dangereuse pour la Maison-Blanche – si quatre sénateurs républicains se rallient aux démocrates à l’occasion d’un vote sur l’assignation de témoins, prévu vendredi.

Je crois de plus en plus possible que d’autres républicains se joignent à ceux d’entre nous qui pensent que l’on devrait entendre John Bolton.

Mitt Romney, sénateur républicain de l’Utah, devant des journalistes

Les sénateurs républicains Pat Toomey (Pennsylvanie), Susan Collins (Maine) et Lisa Murkowski (Alaska) pourraient faire partie de ce groupe, au vu de leurs déclarations de lundi.

Dans des mémoires qui doivent sortir en librairie le 17 mars, John Bolton affirme que le président l’a informé en août 2019 qu’il voulait maintenir le gel sur une aide militaire de 391 millions de dollars à l’Ukraine jusqu’à ce que le gouvernement de ce pays accepte de contribuer à des enquêtes impliquant des démocrates, dont l’ancien vice-président Joe Biden.

Depuis le début de l’affaire ukrainienne, Donald Trump et ses alliés nient tout lien entre l’aide militaire et les enquêtes. Le président a renouvelé ce démenti dans un tweet publié après la publication d’un article du New York Times sur le livre de John Bolton dimanche soir.

À boulets rouges sur les Biden

« Je n’ai JAMAIS dit à John Bolton que l’aide à l’Ukraine était liée aux enquêtes sur les démocrates, dont les Biden », a tweeté le président un peu après minuit. « En fait, il ne s’est jamais plaint de ça lors de son licenciement très public. Si John Bolton a dit ça, c’est seulement pour vendre un livre. »

Donald Trump n’a jamais obtenu l’annonce par l’Ukraine d’une enquête sur les Biden. Mais ses avocats ont consacré une partie importante de leur argumentaire lundi – plus de deux heures – à justifier cette demande.

PHOTO JOSHUA ROBERTS, REUTERS

Pam Bondi, ex-procureure générale de Floride et membre de l’équipe juridique du président Trump

« Nous préférerions ne pas en parler. Mais les procureurs de la Chambre ont mis cette question en cause, nous devons donc l’aborder », a déclaré Pam Bondi, ex-procureure générale de Floride et membre de l’équipe juridique du président, avant d’accuser les Biden de népotisme et de corruption.

L’avocate du président a d’abord rappelé la décision controversée de Hunter Biden, fils de l’ancien vice-président, d’accepter d’être richement rémunéré pour siéger au conseil de la société d’énergie ukrainienne Burisma. Elle a plus tard accusé Joe Biden d’avoir cherché à aider son fils en faisant des pressions pour obtenir le limogeage du procureur général d’Ukraine Viktor Shokin en 2016.

Pam Bondi n’a fourni aucune preuve pour étayer ses accusations concernant l’ancien vice-président, dont la campagne contre Viktor Shokin, réputé pour sa corruption, était appuyée par l’administration Obama et ses alliés internationaux. Et elle a fait fi du témoignage de l’ancien envoyé spécial de l’administration Trump auprès de l’Ukraine Kurt Volker, qui a déclaré sous serment que les accusations visant Joe Biden n’étaient « pas crédibles » et relevaient d’une « théorie du complot ».

« Tout ce que nous disons, c’est qu’il y avait lieu de parler de ça, de soulever cette question », a déclaré Pam Bondi à la fin de sa présentation.

Starr et Dershowitz entrent en scène

Deux des avocats de Donald Trump les plus connus ont fait leur entrée en scène lundi. En début de journée, l’ancien procureur indépendant Kenneth Starr a dénoncé le recours à la procédure de destitution à des fins partisanes, ce dont il a accusé les démocrates.

IMAGE TIRÉE D’UNE VIDÉO DE LA CHAÎNE US SENATE, LA PRESSE CANADIENNE

L’ancien procureur indépendant Kenneth Starr, un des avocats de Donald Trump

« Comme la guerre, la procédure de destitution est l’enfer », a-t-il déclaré en appelant les sénateurs à mettre fin à « l’ère de l’impeachment ».

De nombreux commentateurs ont souligné que Kenneth Starr s’exprimait comme s’il n’avait pas joué un rôle central dans la procédure de destitution visant Bill Clinton, exercice partisan par excellence, selon eux.

En soirée, c’était au tour d’Alan Dershowitz de prendre la parole. Le professeur de droit émérite de Harvard a défendu sa thèse controversée selon laquelle un président ne peut pas être destitué pour abus de pouvoir ou entrave au travail du Congrès s’il n’a pas commis un crime ordinaire. Et les révélations de John Bolton n’y changent rien, selon lui.

« Si un président, n’importe lequel, devait avoir fait ce qu’a rapporté le Times à propos du contenu du manuscrit de Bolton, cela ne constituerait pas une infraction justifiant la destitution », a déclaré le célèbre avocat au cours d’un argumentaire touffu.

Mais l’ombre de John Bolton aura plané sur toute la journée. En se disant ouvert à l’assignation à comparaître de l’ex-conseiller de la Maison-Blanche, le sénateur républicain Pat Toomey a évoqué la possibilité d’un échange de témoins. Selon le Washington Post, il a proposé à des collègues républicains une entente prévoyant l’assignation de deux témoins, l’un choisi par les démocrates, l’autre par les républicains.

Ce n’est pas la première fois qu’un tel marché est proposé. Le chef de la minorité Chuck Schumer l’a déjà rejeté. Mais c’était avant que le New York Times ne change peut-être la donne en faisant état des allégations contenues dans le livre de John Bolton.