S’il y a eu un côté positif à cette année entachée par une pandémie meurtrière ainsi que des tumultes d’ordre social, politique et économique, c’est bien ceci : les tueries de masse n’ont jamais été aussi rares en plus d’une décennie aux États-Unis.

Les experts expliquent ce recul marqué par deux principaux facteurs. D’une part, la plupart des gens évitaient de sortir pendant les périodes de confinement, réduisant le nombre d’occasions de perpétrer des massacres dans des milieux de travail et dans des écoles. D’autre part, l’attention des Américains était tellement concentrée sur d’autres tragédies que les potentiels tireurs étaient moins susceptibles d’envisager de passer à l’acte.

Une base de données compilées par l’Associated Press, le quotidien USA Today et l’Université Northeastern qui surveille les tueries de masse — définies comme comptant quatre morts ou plus, excluant le tireur — ne recense que deux fusillades de masse survenues dans des lieux publics cette année aux États-Unis. Toutes deux se sont produites avant que les confinements n’entrent en vigueur.

La première a eu lieu le 26 février, lorsqu’un employé d’une brasserie de Milwaukee a tué cinq de ses collègues avant de se suicider. L’autre s’est déroulée le 15 mars, lorsqu’un homme a tué quatre personnes à Springfield, au Missouri, avant de lui aussi s’enlever la vie.

Depuis, plus rien.

James Alan Fox, criminologue et professeur à l’Université Northeastern, espère que l’accalmie aidera à briser le cycle des dernières années et à freiner les fusillades de masse. Le soi-disant « effet de contagion » donne à penser que plus nous entendons parler de carnages et en parlons nous-mêmes, plus cela obsède les éventuels auteurs de ces bains de sang.

En outre, au cœur d’une pandémie qui a coûté la vie de centaines de milliers d’Américains, ces personnes troublées ne se sentent peut-être pas aussi persécutées ou seules dans leurs épreuves, explique M. Fox.

« Il est difficile de dire en ce moment que son propre sort est unique ou injuste. »

Outre les deux fusillades de masse dans des lieux publics recensées cette année, la base de données a retracé 10 tueries de type « familial », dont huit étaient des fusillades. Trois ont été perpétrées dans la foulée d’autres crimes et six autres ont eu lieu pour des raisons inconnues. Sur ces six attaques, une pourrait éventuellement être considérée comme une fusillade de masse publique — une fête de quartier le 10 juin à Charlotte, en Caroline du Nord, où des coups de feu ont tué quatre personnes.

En 2019 et en 2018, il y a eu respectivement neuf et dix fusillades de masse dans des lieux publics aux États-Unis.

Les facteurs de risque en hausse

À bien des égards, cette baisse peut paraître surprenante compte tenu du fait que pendant cette année de pandémie et de confinements, la plupart des gens ont passé plus de temps en ligne, parfois dans les coins sombres d’internet, et se sentaient peut-être déprimés ou désespérés. Les achats d’armes à feu ont également atteint des niveaux jamais vus auparavant.

« Tous ces facteurs de risque augmentent, mais pourtant, nous ne voyons pas de fusillades de masse », souligne Jillian Peterson, professeure agrégée de criminologie et de justice pénale à l’Université Hamline, au Minnesota.

La baisse des fusillades faisant un grand nombre de victimes est encourageante, mais les experts qui suivent la violence armée notent que d’autres types de fusillades semblent avoir augmenté cette année : la violence des gangs, les fusillades au volant et d’autres décès aléatoires par arme à feu. Le nombre de suicides par arme à feu semble comparable aux années précédentes, selon les données compilées par Gun Violence Archive.

Cette organisation, qui surveille les reportages des médias et les rapports de la police pour suivre la violence armée aux États-Unis, définit les fusillades de masse comme celles ayant touché quatre personnes ou plus, qu’elles aient été tuées ou non. Selon cette définition, les recherches du groupe montrent qu’il y a eu environ 600 évènements de ce type depuis le début de l’année. C’est plus que pendant les six années précédentes au cours desquelles Gun Violence Archive a suivi la violence armée.

Néanmoins, la baisse globale du nombre de personnes tuées dans des fusillades de masse est « presque une expérience dans les conditions naturelles pour tester le rôle du facteur de contagion », souligne James Densley, criminologue et professeur à la Metropolitan State University du Minnesota, qui étudie les fusillades de masse. « Pour le moment, nous avons cette pause, cette pause dans laquelle nous sommes, et qui a le potentiel d’arrêter vraiment ce cycle. »