(PHILADELPHIE) Nul n’est prophète en son pays, sauf peut-être Joe Biden.


Près de 78 ans après sa naissance à Scranton, ville industrielle du nord-est de la Pennsylvanie, l’ancien vice-président a vu son État natal basculer pour lui vendredi matin et sceller virtuellement son élection à la présidence des États-Unis, quête ultime de sa longue carrière politique.

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Joe Biden à Scranton, le 3 novembre

Au milieu de la soirée, le candidat démocrate détenait une avance en apparence insurmontable de plus de 27 000 voix sur Donald Trump dans le Keystone State, qui mettait en jeu 20 grands électeurs. Le président ne pouvait espérer décrocher un deuxième mandat sans cet État où il a surpris Hillary Clinton par 44 000 voix en 2016. Le revirement de la situation a contribué à l’atmosphère de kermesse qui a régné pendant toute la journée parmi les supporteurs de Joe Biden massés devant le Centre des congrès de Philadelphie, site du dépouillement des voix dans le comté le plus populeux de l’État.

Trois fois plus nombreux que la veille, ces partisans dansaient, chantaient et scandaient des slogans à quelques mètres seulement des partisans de Donald Trump, dont les rangs étaient plus clairsemés. Stacey Richards, 23 ans, célébrait en particulier le rôle crucial joué par Philadelphie dans le succès de Joe Biden, qui était sur le point de réaliser un rêve de jeunesse à sa troisième campagne présidentielle.

« C’est incroyable ! », s’est-elle exclamée en faisant référence à l’appui reçu par le candidat démocrate dans la ville où a été signée la déclaration d’indépendance et où a été ratifiée la Constitution.

La démocratie américaine est née à Philadelphie et elle est relancée aujourd’hui à Philadelphie. C’est la meilleure ville du monde.

Stacey Richards

Joe Biden a récolté 78 % des suffrages à Philadelphie, un pourcentage impressionnant qui est néanmoins inférieur aux 82 % de votes reçus par Hillary Clinton en 2016.

Une chose est certaine : Philadelphie n’est pas la Pennsylvanie, comme l’illustre le mince écart qui séparera les deux candidats présidentiels après le dépouillement du dernier vote.

« C’est un État très divisé », a reconnu Matt Pritt, 43 ans, en tenant une pancarte sur laquelle on pouvait lire « Le peuple a parlé ».

« James Carville [ancien stratège démocrate] disait que la Pennsylvanie, c’est en gros Philadelphie, Pittsburgh et l’Alabama entre les deux. Ça demeure vrai. Mais le fait d’y être né a vraiment aidé Biden. Il vient du comté de Lackawanna, où il a fait mieux qu’Hillary Clinton, comme dans plusieurs autres comtés du genre. »

« Il doit féliciter le gagnant »

Le comté d’Erie en est le meilleur exemple. En 2016, Donald Trump avait remporté ce coin de cols bleus situé dans le nord-ouest de la Pennsylvanie par 4 points de pourcentage. Quatre ans plus tard, Joe Biden y a éclipsé le président par 1,2 point de pourcentage, un de ses plus importants succès dans l’État. De quoi inciter Donald Trump à féliciter Joe Biden ? En principe, oui. En pratique, c’est une autre histoire. C’est aussi une réalité que le maire de Philadelphie a déplorée vendredi midi.

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Jim Kenney, maire de Philadelphie, au Centre des congrès

« Ce que le président doit faire, franchement, c’est mettre son pantalon de grand garçon », a déclaré Jim Kenney lors d’une conférence de presse au Centre des congrès de Philadelphie. « Il doit reconnaître le fait qu’il a perdu. Et il doit féliciter le gagnant. Tout comme Jimmy Carter l’a fait. Tout comme George H. W. Bush l’a fait. Et tout comme Al Gore l’a fait. » Le premier citoyen de Philadelphie a également rejeté les allégations de fraude portées par Donald Trump et ses alliés à l’encontre des responsables du décompte des voix dans sa ville.

Alors que certains, y compris le président, continuent de faire des allégations de fraude sans fondement – des allégations pour lesquelles son équipe n’a pas produit un seul iota de preuve –, ce que nous avons vu ici à Philadelphie est de la démocratie, pure et simple.

Jim Kenney, maire de Philadelphie

Évidemment, rien n’est pur et simple en matière de politique américaine. Peu après la déclaration du maire de Philadelphie, le Parti républicain de Pennsylvanie a demandé à la Cour suprême des États-Unis de stopper le dépouillement des bulletins de vote par correspondance reçus après la fermeture des bureaux de vote dans l’État, le 3 novembre. En soirée, le juge Samuel Alito a ordonné que ces votes ne soient pas comptés avec les autres.

Ce dépouillement, faut-il souligner, n’avait pas encore commencé vendredi. Et rien n’indique qu’il changerait l’issue de l’élection en Pennsylvanie. Mais le président et son parti semblent chercher à tout prix un prétexte pour convaincre la plus haute instance américaine d’intervenir dans l’élection présidentielle.

« Notre seul espoir »

Martha Olsen, 54 ans, qui se trouvait parmi les partisans de Donald Trump réunis devant le Centre des congrès de Philadelphie, partage cette détermination.

« Il faut que la Cour suprême empêche que les démocrates réussissent à voler cette élection. C’est notre seul espoir », a-t-elle dit en tenant à la main une pancarte sur laquelle s’étalait un message – « Arrêtez la tricherie » – devenu le cri de ralliement des adeptes des théories du complot, dont ceux du mouvement QAnon.

Comme Joe Biden, Martha Olsen a vu le jour en Pennsylvanie. Mais la victoire du démocrate dans son coin de pays ne l’empêchera pas de le considérer comme un faux prophète.

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La police de Philadelphie a arrêté jeudi soir deux hommes en lien avec une menace d’attaque contre le Centre des congrès où se déroule le dépouillement des votes dans le comté le plus populeux de Pennsylvanie.

Un complot déjoué ?

La police de Philadelphie a arrêté jeudi soir deux hommes en lien avec une menace d’attaque contre le Centre des congrès où se déroule le dépouillement des votes dans le comté le plus populeux de Pennsylvanie. Elle avait reçu une information du FBI sur le déplacement suspect d’un véhicule à bord duquel se trouvaient des personnes armées. Les hommes ont été mis en arrestation à proximité d’un Hummer orné d’autocollants affichant des messages associés à QAnon. Tous deux étaient armés d’une arme de poing. Un fusil d’assaut AR-15 a été retrouvé dans le véhicule. Une femme accompagnant le duo n’a pas été arrêtée. « Pour l’instant, nous n’avons pas d’indications que l’affaire est plus large que ces deux individus », a déclaré le procureur du district de Philadelphie, Larry Krasner. « Cela peut s’avérer n’être rien d’autre que deux personnes ayant décidé de venir à Philadelphie à un moment donné dans un but inconnu. » Selon le Philadelphia Enquirer, l’un des hommes appartient à l’organisation Virginia Armed Patriots et l’autre au groupe Vets for Trump. Celui-ci a repris sur les réseaux sociaux les allégations infondées du président sur l’élection dans des messages accompagnés du mot-dièse #StopTheSteal.