(Washington) Le président Donald Trump envoie le signal qu’il fera tout pour s’accrocher au pouvoir, même si son rival Joe Biden semble de plus en plus près d’y accéder. Il l’a signifié jeudi dans un discours truffé d’allégations sans fondement — une allocution que certains réseaux télévisés américains ont cessé de diffuser après quelques minutes, et qui a été descendue en flammes par des ténors du Parti républicain.

Pennsylvanie, Géorgie, Nevada, Arizona, Caroline du Nord. Dans tous ces États, au fur et à mesure que le dépouillement des votes se poursuivait, Joe Biden gagnait du terrain. Une victoire en Pennsylvanie (20 votes) ou en Géorgie (16 votes), et le démocrate arrive au chiffre magique des 270 votes au collège électoral. Et tandis que le processus suivait son cours, l’ancien vice-président de Barack Obama appelait la population à la patience.

Mais à la Maison-Blanche, derrière son lutrin, Donald Trump a tout fait sauf adopter un ton conciliant ou laisser entendre qu’il espérait une transition pacifique. Et il l’a fait en laissant encore une fois planer un doute sur la légitimité des résultats. « Si vous comptez les votes légaux, je gagne aisément. Si vous comptez les votes illégaux, [les démocrates] peuvent essayer de voler cette élection », a-t-il lancé en s’appuyant sur des notes écrites.

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Joe Biden et Kamala Harris, lors d’une conférence de presse dans le Delaware, jeudi

Puis, une litanie de reproches. Les votes postaux sont « frauduleux », certains sortent de nulle part, et ils favorisent les démocrates. Les sondages publiés étaient « bidon » et ont fait croire que le ticket Biden-Harris avait le vent dans les voiles. Certains États disputés, comme la Géorgie (dont le gouverneur est républicain) ou encore la Pennsylvanie, ont des machines électorales corrompues.

Après une quinzaine de minutes, le président a quitté la pièce en refusant de répondre aux questions. Des réseaux télévisés américains l’avaient toutefois quitté avant, mettant fin prématurément à la diffusion du discours. Le réseau CNN, pour sa part, l’a diffusé dans son intégralité. Une fois l’exercice terminé, l’ancien sénateur de Pennsylvanie, Rick Santorum, un bonze du Parti républicain, s’en est aussitôt dissocié.

« Aucun représentant républicain n’appuiera cette déclaration », a-t-il tranché, qualifiant les propos du 45président des États-Unis de « non factuels » et d’« incendiaires ». Et il a exprimé le souhait que ces propos soient dénoncés par des républicains, car « compter des votes postaux, ce n’est pas de la fraude ». Selon la tendance qui se dégage, les votes qui sont envoyés par courrier sont plus favorables aux démocrates.

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Une manifestante, place Black Lives Matter à Washington, portant une affiche exigeant de « compter tous les votes » de l’élection présidentielle, jeudi soir.

Avant lui, un autre ténor du Grand Old Party, Chris Christie, avait exprimé son désaccord face aux allégations de fraude lancées — ou ravivées — par Donald Trump dans la nuit de mardi à mercredi, alors que le dépouillement du scrutin était loin d’être bouclé. Rappelons que MM. Santorum et Christie étaient dans la course à l’investiture républicaine qu’a gagnée le magnat de l’immobilier en 2016.

De son côté, Joe Biden a une nouvelle fois appelé au calme et à la patience. « Personne ne nous prendra notre démocratie. Ni aujourd’hui, ni jamais », a-t-il tweeté peu après l'allocution de Donald Trump.

Les Trump déterminés

Entre les discours de mercredi et de jeudi soir, le président a été absent des ondes. Il a néanmoins fait sentir sa présence sur Twitter. Et en l’espace de 48 heures, huit de ses tweets, dont ceux évoquant un « vol » de l’élection, ont été qualifiés de « trompeurs » par le réseau social.

Ses fils, Donald et Eric, ont aussi multiplié les salves sur leur compte Twitter, tançant des républicains, en leur reprochant de ne pas se porter à la défense du patriarche. « Où sont les républicains ! Ayez une colonne vertébrale. Combattez cette fraude. Nos électeurs ne vous pardonneront jamais si vous faites les moutons ! », a écrit Eric, jeudi.

Quelques ténors du Grand Old Party semblent avoir entendu l’appel.

« Je peux vous dire que le président est en colère et je suis en colère, et les électeurs devraient être en colère », a affirmé jeudi soir le sénateur Ted Cruz sur Fox News.

Son collègue Lindsey Graham a même promis de donner 500 000 $ au fonds de défense légale du camp Trump. « Je suis ici ce soir pour me tenir aux côtés du président Trump. Il l’a fait pour moi », a soutenu le sénateur républicain de la Caroline du Sud, également en entrevue sur la chaîne conservatrice. D’autres influents républicains, dont Kevin McCarthy, leader de la minorité républicaine à la Chambre des représentants, et Newt Gingrich, ex-président de la Chambre, ont soutenu les allégations du président sortant.

Néanmoins, de nombreux observateurs politiques à Washington remarquent que Donald Trump commence à manquer d’alliés. Les tensions entre la garde rapprochée du président et le Parti républicain ne sont pas nouvelles, mais elles semblent avoir été exacerbées au cours des derniers jours.

Par exemple, selon le New York Times, l’équipe Trump a furieusement réagi à l’annonce de la victoire de l’équipe Biden en Arizona, château fort républicain qui était rouge depuis 1952, à une exception près — un appui à Bill Clinton en 1996. Le président aurait passé une partie de la nuit de mardi à mercredi à « passer des coups de fil colériques à des gouverneurs républicains », a révélé le quotidien.

Quels lendemains au scrutin ?

Petit détail à travers les rebondissements de la journée de jeudi : les États-Unis n’ont pas encore désigné leur prochain président.

Malmenées par le camp Trump, les autorités des États où la lutte est serrée ont passé les 48 dernières heures à assurer les électeurs que tout se déroulait dans les règles de l’art. « L’intégrité de ce vote est sans précédent », a notamment plaidé Kathy Boockvar, secrétaire d’État de la Pennsylvanie, jeudi.

Les allusions de fraude électorale n’ont aucun fondement dans la réalité, abonde Paul Schiff Berman, professeur à la faculté de droit de l’Université George Washington. « Il n’y a aucune base juridique à contester le dépouillement. Les États font ce qu’ils ont toujours fait », insiste-t-il en entrevue avec La Presse.

Il y a très peu de chances que la Cour suprême accepte d’entendre une cause que le camp Trump voudrait porter à son attention, surtout si le ticket Biden-Harris remporte à la fois le vote populaire et celui du collège électoral.

« On n’est pas dans le scénario Bush-Gore de 2000 : c’était dans un État, avec 500 votes qui séparaient les candidats. Un État ! Dans le cas présent, pour que l'issue de la présidentielle change, il faudrait que dans plusieurs États, les résultats revirent en faveur de Trump -- et de 15 000, 20 000 votes, peut-être plus », fait remarquer le professeur Schiff Berman.

Washington placardé, mais pacifique

Alors que Donald Trump tweetait de sa résidence, jeudi, on manifestait joyeusement autour de la place Black Lives Matter, devant l’imposante clôture qui protège le 1600, avenue Pennsylvanie.

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Des gens manifestent pacifiquement devant le périmètre érigé autour de la Maison-Blanche, à la place Black Lives Matter.

Devant des journalistes venus des quatre coins du monde qui ont installé leurs pénates dans K Street, des gens chantaient, dansaient et jouaient du tambour, jeudi après-midi.

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Un grand nombre de commerces du centre-ville de Washington ont placardé leurs vitrines.

Les policiers veillaient au grain dans les rues de la ville, où de nombreux commerces ont placardé leurs vitrines, mais où il n’y a pas eu de débordement majeur depuis le soir de l’élection.