(Brunswick) Avant George Floyd à Minneapolis (et tous les autres), il y a eu Ahmaud Arbery à Brunswick. Si le premier a été asphyxié par le genou d’un policier en sortant d’un commerce, le second a été tué à bout portant en faisant son jogging par un duo père-fils qui s’improvisait policier.

De son balcon, Clarence Trimmings voit Ahmaud tous les jours. Il voit son visage immortalisé sur un mur de l’édifice délabré qui abritera le centre culturel afro-américain de Brunswick, ville située à 500 km au sud-est d’Atlanta. « C’est un sentiment doux-amer », laisse tomber celui qui fait partie de la famille élargie du jeune homme mort.

« En même temps, il a toujours dit qu’il deviendrait internationalement connu. Alors là-dessus, il a réussi », ajoute le jeune homme de 28 ans, qui a planté sur la pelouse des pancartes de candidats démocrates et une autre sur laquelle on peut lire « I Run With Maud » – Maud comme dans Ahmaud.

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Les cousins d’Ahmaud Arbery, Clarence et Gary, devant la murale peinte en sa mémoire, à Brunswick.

Courir, c’était ce que faisait le jeune Noir de 25 ans en février dernier, par un après-midi ensoleillé, lorsqu’il a été tiré à bout portant. Il a fallu plus de deux mois, et la publication d’une vidéo choquante de la scène, avant que les autorités mettent Gregory et Travis McMichael en état d’arrestation.

Les deux Blancs, dont la cause est toujours devant les tribunaux géorgiens, sont accusés de « meurtre par malice » — avant l’affaire Arbery, la Géorgie était un des quatre États à ne pas s’être doté d’une législation sur les crimes haineux ; une loi a été adoptée en juillet pour corriger cela — et de tentative de détention arbitraire.

À bord d’une camionnette blanche, le père (qui était dans la boîte du véhicule, armé) et le fils (qui aurait tiré les coups mortels) voulaient procéder à l’arrestation citoyenne du jeune homme. Là encore, la tragédie pourrait faire bouger les choses, car les législateurs planchent sur de possibles modifications à la loi sur les arrestations citoyennes adoptée en 1863 — l’année même où le président Abraham Lincoln a aboli l’esclavage.

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Maison du quartier de Satilla Shores

Dans le quartier de Satilla Shores, où le drame s’est joué, partout, des avertissements. « Propriété privée ». « Entrée interdite ». « Surveillance par caméra ». Des affiches et des drapeaux Trump-Pence, il y en a beaucoup. Mais dans les rues de la petite communauté, il n’y avait personne, dimanche.

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La maison devant laquelle Ahmaud Arbery a été tué, présentement à vendre

Toc, toc, toc. Une femme dans la soixantaine ouvre la porte. « Ça n’a pas toujours été comme ça, mais on a peur… il m’est arrivé de dormir avec mes clés », insiste-t-elle. La dame, qui a refusé d’être nommée, craint que des protestataires reviennent battre le pavé si les McMichael s’en tirent à bon compte.

Mais selon celle dont le pare-chocs de la voiture est décoré d’un autocollant « Women for Trump », l’assassinat d’Ahmaud Arbery n’a rien à voir avec le profilage racial, et peu importe ce que déterminera le tribunal, cela sera impartial, car « la justice est aveugle ».

Division entre urbanité et ruralité

Dans le comté de Glynn, où se trouve la ville de Brunswick, on vote républicain. En 2016, Donald Trump n’y a fait qu’une bouchée de sa rivale Hillary Clinton, récoltant 62,5 % des voix contre 34,2 %. Ses prédécesseurs Mitt Romney et John McCain avaient obtenu des scores comparables.

En filant sur la route depuis Atlanta vers Brunswick, sur les autoroutes 16 Est et 95 Sud, on voit — des champs de coton par-ci, des marais et des criques par-là — et on entend — au gré du balayage des stations radiophoniques, plus de musique country, des stations religieuses, des tribunes téléphoniques consacrées aux armes à feu — le contraste entre urbanité et ruralité de l’État du Sud.

À Brunswick, le port du masque est une rareté. Dans nombre de commerces, employés comme clients lèvent majoritairement le nez sur la consigne, qui est pourtant affichée aux portes. Cependant, à un peu plus d’une heure de route au nord, à Savannah, il est obligatoire dans les lieux publics.

On l’arborait aussi en grand nombre à l’extérieur, lundi, dans les rues du joli centre-ville. « Je pense que les gens de Savannah l’acceptent assez bien. C’est clairement mieux de porter un masque. Et si, ailleurs, ils veulent faire les idiots, qu’ils fassent les idiots. C’est triste, mais c’est ça », affirme Janna, dans la cinquantaine, sur son vélo.

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Janna, dans la cinquantaine, déplore le fait que le masque n’est pas porté à l’échelle de l’État.

Même son de cloche de Brett Dykes, commis dans un stationnement. « ll y a une grande différence entre les villes et les régions, en particulier dans le sud de la Géorgie, avance l’homme de 32 ans. Ces gens quittent rarement leurs petites communautés et n’ont pas été frappés de plein fouet par le virus, ou pas encore, du moins, et ils semblent croire Donald Trump qui a présenté la COVID-19 comme un petit virus insignifiant. »

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Brett Dykes, 32 ans, estime que l’obligation du port du masque décrétée à Savannah est une bonne mesure.

En Géorgie, l’obligation du port du masque est du ressort des autorités locales.

Le gouverneur républicain de l’État, Brian Kemp, était d’ailleurs allé jusqu’à déposer une poursuite contre la mairesse démocrate d’Atlanta, Keisha Lance Bottoms, laquelle avait été pressentie pendant un moment comme une potentielle colistière de Joe Biden, afin de l’empêcher d’imposer le port du masque et de resserrer des mesures pour contrer la COVID-19. La poursuite a depuis été retirée.