(Largo) Derrière de grandes vitres du bureau électoral de Pinellas County, dans l’ouest de la Floride, les bulletins de vote roulent par milliers dans les numériseurs qui les dénombrent. Sur un écran, une caméra retransmet en direct le travail de dizaines de travailleurs d’élections qui ouvrent, une à une, les enveloppes contenant le vote postal.

« Tout le monde peut venir ici et observer. Vous n’avez même pas besoin de donner votre nom ou de prendre de rendez-vous. Vous entrez, tout simplement », a expliqué Julie Marcus, directrice des élections du comté, lundi.

Si les machines fonctionnent déjà à fond de train en Floride, c’est que les autorités locales ont le droit de compter les bulletins de vote postal dans les trois semaines qui précèdent l’élection présidentielle.

Après la catastrophique élection de 2000, où l’État s’est retrouvé au centre d’une immense controverse pour la façon dont les bulletins de vote y étaient comptés, la Floride a appris sa leçon et réformé ses lois électorales.

Les autorités locales promettent qu’elles sont prêtes à faire face à un scrutin très serré ou contesté, notamment parce que le décompte des votes y est commencé depuis le début d’octobre. L’État pourrait même annoncer ses résultats assez rapidement mardi soir, donnant une bonne indication de l’identité du prochain président américain.

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Après l’élection de 2000, « nous étions devenus les clowns de tout le pays, nous faisions rire de nous », s’est rappelé Charles Zelden, professeur de sciences politiques à la Nova Southeastern University, à Fort Lauderdale.

En Floride, nous avons toujours des votes serrés. Et c’est dans les votes serrés que les problèmes arrivent. S’il y a une grande marge entre candidats, il n’y a jamais de contestation.

Charles Zelden, professeur de sciences politiques à la Nova Southeastern University

L’objectif central de la réforme, a expliqué M. Zelden en entrevue : faire en sorte que le gagnant soit rapidement désigné, afin d’éviter une période d’incertitude nocive pour la confiance du public.

Décompte d’avance

Parmi ces nouvelles règles mises en place depuis 2000 : une méthode de vote uniforme qui laisse des traces claires, ainsi que des seuils précis à partir desquels un nouveau dépouillement se déclenche. Et la possibilité de compter le vote postal bien à l’avance, un atout inestimable alors que la pandémie a favorisé ce moyen de vote.

PHOTO PHILIPPE TEISCEIRA-LESSARD, LA PRESSE

Des employés à l’œuvre dans le bureau électoral de Pinellas County, dans l’ouest de la Floride, où les bulletins de vote roulent par milliers dans les numériseurs qui les dénombrent.

Dans Pinellas County, autour des villes de St. Petersburg et de Largo, c’est près d’un électeur sur deux qui avait voté par la poste en date de lundi. « Je remercie le ciel qu’on ait pu commencer le décompte d’avance », explique Mme Marcus en entrevue avec La Presse. Elle plaint ses homologues de Pennsylvanie et d’ailleurs qui doivent attendre la fin de l’élection avant de commencer le décompte.

De l’autre côté de la baie de Tampa, dans le comté de Hillsborough, le directeur des élections Jim Latimer remerciait le ciel lui aussi.

« En Floride, nous sommes très chanceux, a-t-il dit. [Mardi] soir, vous verrez des résultats incluant des millions de votes qui seront publiés rapidement. » En entrevue devant ses bureaux, M. Latimer a fait la liste des mesures qui visent à protéger les précieux votes : ordinateurs déconnectés d’internet, bulletins conservés pendant près de deux ans après l’élection… La catastrophe de 2000, « ça fait bien longtemps, la technologie a évolué », a-t-il assuré.

Un État scruté à la loupe

Mais comme la Floride conserve sa réputation électorale sulfureuse, tous les yeux sont tournés vers ses bureaux de vote, et les partis ont sorti l’artillerie lourde pour s’assurer que leurs intérêts soient défendus si la situation dérapait.

Assis devant la vitre d’observation du comptage des votes de Pinellas County, David Schauer regarde les opérations se dérouler. L’avocat a été mandaté par le Parti démocrate pour s’assurer que tout se passe dans l’ordre. Il observe aussi un comité de trois personnes (un juge et deux administrateurs) qui analyse en continu les bulletins qui posent problème et qui ont été rejetés par les machines.

« Ça peut être parce qu’il y a une tache de café, que quelqu’un a fait un symbole incorrect. […] Je suis ici depuis 20 jours. C’est comme regarder de la peinture sécher sur un mur », blague-t-il. À son avis, le tout se déroulait rondement.

Un autre avocat se penche un peu trop près de la vitre, au point de pouvoir lire un bulletin de vote, et se fait réprimander par un officiel : on peut observer les opérations dans leur ensemble seulement, c’est la loi.

Leonard Collins, avocat qui pratique dans le capitale floridienne, travaille plutôt pour des candidats républicains. Lui aussi risque fort de recevoir un appel urgent si les résultats sont très serrés dans un comté ou un autre en Floride.

Il est toutefois optimiste pour le déroulement de la soirée. Les règles sont solides et permettront de donner une idée rapide de la direction que prennent les résultats.

« En Floride, je crois que nous aurons des résultats électoraux probablement vers 21 h ou 21 h 30, selon le comté », a-t-il prédit.