(Houston) Ce n’est pas pour me vanter, mais j’ai découvert une nouvelle loi de la science politique américaine. J’appellerai ça la loi de la distribution radiophonique des intentions de vote.

L’espace me manque pour l’exposer en détail avec équations et graphiques, mais en gros, voici ce que ça postule : le vote démocrate suit la même concentration que les ondes de la radio publique américaine.

Vous êtes dans une ville au hasard. Vous prenez la route. Vous ouvrez la radio. Le signal de la station affiliée à NPR (National Public Radio) entre 10 sur 10. Selon toute probabilité, cette ville a voté démocrate.

PHOTO GO NAKAMURA, REUTERS

Des électeurs font la queue pour aller voter à Houston, au Texas.

Vous roulez un peu. La station a des hoquets dans un virage. Elle disparaît lentement – généralement quand un invité dit : « Et vous ne devinerez jamais qui j’ai rencontré au fond de la jungle amazonienne ? C’était Br$:*&?… ! » Si quelques postes plus loin on rattrape l’entrevue (trop tard, évidemment) sur une autre station affiliée, vous êtes en territoire bleu pâle.

Mais quand il n’y a plus aucune station de NPR, vous êtes en territoire rouge.

Pas besoin de faire des sondages, la marge d’erreur est de moins de 3 %. Et nulle part cette loi ne se vérifie-t-elle mieux qu’au Texas. Le territoire est immense, les centres urbains éloignés les uns des autres.

Vendredi, je quitte El Paso (66 % pour Clinton en 2016) pour San Antonio. Une heure à peine… NPR disparaît. Le comté voisin a voté à 57 % pour Trump.

San Antonio (54 % Clinton, 42 % Trump en 2016), samedi matin. C’est l’heure de Wait Wait... Don’t Tell Me !, un jeu-questionnaire brillant sur l’actualité. Je l’ai, je l’ai, je l’…

PHOTO MARK LAMBIE, ASSOCIATED PRESS

La femme de Joe Biden est venue encourager les démocrates au Texas au début du vote par anticipation.

Je ne l’ai plus. Les trois comtés qui ceinturent la ville démocrate vers l’est ont voté dans des proportions de 63 % à 73 % pour Trump. Un peu plus à l’est, ce fut à plus de 80 %. Vous pouvez capter trois postes religieux. Un poste country, mais une sorte de country en similicuir.

Rodéo, oh rodéo, j’te mentirais si je disais que je m’ennuie pas de toi…

Pauvre rodéo, si tu savais ce qu’on chante en ton nom.

Puis, quand la dernière vache Angus rumine dans la cour de la première maison de l’étalement urbain de Houston… pouf ! Revoici NPR. C’est une émission de CBC, d’ailleurs, car NPR diffuse plusieurs heures de CBC : une entrevue avec la réalisatrice abénakise Alanis Obomsawin, qui parle de Restigouche et du conflit des pêches.

Devinez comment a voté Houston en 2016 ? Eh oui : 54 % Clinton.

PHOTO MICHAEL STRAVATO, ARCHIVES THE NEW YORK TIMES

Une rue de la banlieue nord de Houston

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Les quatre grands centres urbains du Texas (Houston, Dallas, San Antonio et Austin) ont tous voté démocrate en 2016. Mais Donald Trump a obtenu 800 000 votes de plus (4,7 millions contre 3,9 millions, 52 % à 43 %). C’est une bonne avance, et depuis 1976, le Texas n’a jamais voté pour un candidat démocrate.

Mais dans cet État qui compte 38 « grands électeurs », soit le plus grand nombre après la Californie, seulement 51 % des inscrits ont voté en 2016. Si l’on tient compte de toute la population en âge de voter, c’est seulement 43 % qui se sont présentés aux urnes.

Or, deux phénomènes changent la donne en 2020. D’abord, le taux de participation s’annonce plus important, en particulier chez les jeunes. On rapportait samedi que le vote par anticipation cette année représente 76 % du vote total de 2016.

Deuxièmement, la liste électorale, complète au 5 octobre, compte cette année 1,9 million de personnes inscrites de plus qu’en 2016. C’est considérable.

Les démocrates disent que les nouveaux inscrits sont surtout des jeunes ou des électeurs démobilisés, des clientèles qui leur seraient plus favorables statistiquement.

Est-ce que Biden, alors, pourrait remporter le Texas ? Ce n’est pas impossible. Dans une lettre au Washington Post, Beto O’Rourke, candidat défait à l’investiture démocrate, a supplié Biden d’investir au Texas et de venir s’y faire voir. L’État est prenable, dit-il.

O’Rourke a mis sur pied une initiative de mobilisation pour le vote. Il se concentre surtout sur la législature de l’État. Pourquoi ? Parce que ce sont les États qui dessinent les cartes électorales et établissent les règles, y compris pour les élections fédérales. Prendre le contrôle d’Austin est donc une première étape pour la prochaine fois. La démographie joue en leur faveur, selon les démocrates. Le Bureau du recensement indiquait pour 2019 une augmentation de 15,3 % de la population depuis 2010. Houston est une des grandes villes les plus jeunes du pays et les plus multiculturelles aussi. Les démocrates sont convaincus que le temps joue contre le vieux Texas conservateur.

Mais comme disait un organisateur républicain à un journal local : la meilleure façon de savoir si un État est un État-clé, c’est d’observer les déplacements des candidats. Quand ils ont un espoir de gagner, ou qu’ils ont peur de perdre, ils viennent sur le terrain. Or, si Jill Biden est venue au Texas au début du vote par anticipation, Joe ne s’y est pas rendu encore. Au grand dam des organisateurs locaux, qui veulent croire à la victoire. Et les sondages placent presque tous Trump en avance au Texas.

Peut-être manque-t-il encore aux démocrates quelques longueurs d’onde de NPR ?

Oh, mais attendez… après un sondage les plaçant a égalité la semaine dernière, un autre donnait un point d’avance à Biden samedi… et un suivant, fait pour le Dallas Morning News, mettait Biden à 48 % et Trump à 45 %… Rien n’est impossible dans ces conditions.