(Tucson, Arizona) Donald Trump parlait encore, mais la dame était déjà sortie. « J’étais à 20 mètres, j’ai pris mes photos, je suis contente. Mais vous savez, c’est un peu toujours le même discours, on a entendu ça beaucoup… »

Non pas que le rassemblement de Tucson n’ait pas été un succès. La file pour entrer faisait bien deux kilomètres, en bordure de l’aéroport. On n’a pas pu faire entrer tout le monde. Une foule de plusieurs milliers de personnes, qui a attendu trois, quatre, cinq, six heures sous le soleil de l’Arizona, à 35 degrés.

« J’ai compté cinq personnes tombées proche de moi », m’a dit une femme. Un grand succès, donc.

Mais il y manquait un petit peu de pétillant, et ce n’était pas seulement la déshydratation. Comme un petit air de déjà-vu. Comme si ses lignes n’avaient plus tout à fait le même punch.

PHOTO YVES BOISVERT, LA PRESSE

La file pour entrer faisait deux kilomètres, en bordure de l’aéroport de Tucson.

Un outsider président pendant quatre ans l’est un peu moins. Les attaques contre Joe Biden n’ayant pas fait recette jusqu’ici, Trump en rajoute une couche. Biden n’est plus seulement « endormi », il n’a pas seulement des facultés mentales diminuées, il est maintenant « le politicien le plus corrompu » de l’Histoire.

La foule derrière répond en criant « lock him up », mais jamais avec la même rage que lorsqu’il s’agissait d’Hillary Clinton. Ça colle moyennement…

« La famille Biden est une entreprise criminelle », a-t-il ajouté. Rien que ça ! La pandémie ? C’est presque fini ! En Europe, le nombre de cas augmente terriblement, a-t-il dit. « Mais ici, ça va bien. » Les chiffres de l’Université Johns Hopkins, qui font autorité, montrent exactement le contraire : les cas sont de nouveau à la hausse, et fortement. On retourne aux pires chiffres du milieu de l’été.

« D’ailleurs, quand vous l’avez [la COVID-19]… Regardez-moi, je suis bien ! »

Il faut dire que le président pète le feu. Lui n’est pas du tout fatigué.

Je suis immunisé ! Je pourrais descendre et aller embrasser chaque homme et chaque femme ici !

Donald Trump, président des États-Unis

Dans la foule compacte, très peu de masques. Pas plus de 10 %. Et aucune distanciation. L’évènement était tenu en plein air, et sous des rayons UV assez violents.

PHOTO YVES BOISVERT, LA PRESSE

Dans la foule compacte, très peu de masques. Pas plus de 10 %.

Mais un groupe de médecins et la mairesse de Tucson, Regina Romero, ont dénoncé l’évènement du point de vue sanitaire – sans compter que Trump doit toujours 80 000 $ pour avoir utilisé les installations municipales en 2016.

Trump parle d’optimisme, il dit qu’il y aura un boom économique comme jamais s’il est réélu. Mais on n’en est pas là, et tout le monde le sait. Il a raison de dire que la « fatigue COVID » est universelle. Mais est-ce vraiment un bon argument de campagne de plaider que tout va bien ?

Était-ce vraiment une bonne idée de commencer à attaquer Anthony Fauci publiquement, en disant qu’il a été un « désastre » et n’est pas particulièrement brillant, quand les sondages montrent que les Américains lui font confiance plus qu’à quiconque ?

La foule préfère quand il parle du mur. La foule préfère quand il défend la police. La foule aime quand il parle de l’armée. Quand il parle de sécurité. Mais ça aussi, c’est un vieux numéro.

« Je m’adresse aux femmes de banlieue. Ils disent que les femmes ne m’aiment pas. Vous savez que ce n’est pas vrai. Les démocrates veulent détruire les banlieues. Avec moi, vous êtes en sécurité. Il n’y en aura pas, des HLM près de chez vous. »

Les gens applaudissent. « C’est drôle, vous voyez comme elles m’aiment tout d’un coup ? » La foule scande « we love you », mais pas si fort. « Oh, arrêtez, vous allez me faire pleurer. Vous savez combien on aimait Ronald Reagan. Mais même lui, je crois qu’on ne lui a jamais crié ça. Non, il ne faut pas que je pleure, ça va détruire mon image, et après vous ne m’aimerez plus. »

* * *

Qui était là, à faire la file pendant des heures ?

J’aimerais bien vous dire que c’était une horde de fous furieux, ça ferait une meilleure histoire. C’est surtout différentes déclinaisons du conservatisme. Fiscal. Moral. Social. Religieux.

Réglons tout de suite quelque chose. C’est sans doute un sujet fascinant que le groupe complotiste délirant « QAnon », que le président a refusé de désavouer la semaine dernière, arguant qu’il ne le connaît pas.

Mais en sondant une quarantaine de personnes dans la file d’attente, j’oserais affirmer que ça ne compte pour à peu près rien. C’est un cas d’amplification médiatique. Presque personne ne savait même ce que c’était. Un jeune homme m’a dit qu’il les connaissait, que c’était « des choses qu’on peut lire sur l’internet, mais faut prendre ça avec un grain de sel ».

Un type dans la soixantaine m’a regardé en me disant qu’il y trouvait « plusieurs faits différents et intéressants ».

« Comme quoi ?

— Je ne suis pas pour vous le dire, c’est justement ça l’idée : que chacun fasse ses propres recherches ! »

J’ai vu des collants QAnon à vendre, mais personne ne portait le moindre signe distinctif. C’est qui, alors, ces gens ?

C’est Ann, Chris, Gail et Mo, quatre agentes de bord de Phoenix qui vendent des produits dérivés de Trump.

PHOTO YVES BOISVERT, LA PRESSE

Ann, Chris, Gail et Mo

« Oui, on est des femmes de banlieue ! », dit fièrement Ann, qui habite à Scottsdale. Ce qu’elles aiment ? C’est un outsider et « pas un politicien ». Il a diminué les impôts. Il construit un mur. « On a beaucoup voyagé avec notre travail, on sait c’est quoi, un pays communiste. Mais les gens ne comprennent pas, on dirait. Il y a des gens dans ma famille, ils ne font tout simplement pas l’effort de se renseigner, ils sont démocrates, c’est tout. »

PHOTO YVES BOISVERT, LA PRESSE

Quatre jeunes étudiantes de high school

C’est quatre jeunes étudiantes de high school. C’est April Duboice, descendue de San Francisco avec sa blonde Trudy Geiger, des « gaies pour Trump ».

PHOTO YVES BOISVERT, LA PRESSE

April Duboice et Trudy Geiger

« Je suis tellement émue… Il m’a sauvée. J’ai perdu ma business [de prothèses] pendant la pandémie, je vis avec des timbres alimentaires. Mais grâce à Trump, j’ai eu un peu d’argent. »

C’est Alex et Eric, deux « Latinos pour Trump », des ingénieurs électriques.

PHOTO YVES BOISVERT, LA PRESSE

Alex et Eric

« Toute ma famille est démocrate, mais dans le fond, Trump représente bien plus les valeurs de Latinos : famille, travail, religion. Je dis à mes parents : vous êtes venus du Mexique pour la liberté, vous devriez voter pour les républicains. Mon père est devenu républicain, mais il n’aime tellement pas Trump… »

C’est des étudiants de l’Université de l’Arizona, c’est beaucoup, beaucoup de retraités.

C’est très, très peu d’Afro-Américains, et ceux à qui j’ai parlé avaient en commun d’être d’anciens militaires.

Il y avait le candidat local républicain au Congrès, Brandon Martin (Tucson et les environs, 1 million de personnes, sont plutôt démocrates), pour qui c’était surtout la question des juges. « Je suis un originaliste, pour moi, l’important est d’interpréter la Constitution dans son sens véritable », dit-il.

PHOTO YVES BOISVERT, LA PRESSE

Brandon Martin, candidat local républicain au Congrès

Plusieurs vous diront qu’ils n’aiment pas les insultes de Trump. Mais bon, il est « naturel », on ne se refait pas, et puis « c’est un New Yorker ».

Quoi d’autre ? Ah oui, beaucoup de gens inquiets des hausses d’impôt. Beaucoup, beaucoup. Et beaucoup de gens qui craignent l’installation d’un régime socialiste.

Bien sûr, il est question de Dieu, des guns, et de ne « pas être un snowflake », t-shirt généralement porté par quelqu’un avec une masse musculaire conséquente.

Sinon, sachez que le nouveau macaron tendance est celui de Trump avec une perruque collée dessus.

PHOTO YVES BOISVERT, LA PRESSE

Le nouveau macaron tendance est celui de Trump avec une perruque collée dessus.

Parmi ceux qui avaient monté leur kiosque pour profiter de la foule, il y avait James, un Afro-Américain de 67 ans, ex-militaire, ex-prof.

PHOTO YVES BOISVERT, LA PRESSE

James, un Afro-Américain, installe son kiosque de produits dérivés.

Devant les clients, il m’a fait le numéro du fan de Trump, depuis The Apprentice. Je l’ai revu plus tard quand il remettait ses invendus dans sa voiture. « Biden ? Si Trump perd, c’est ce que je vendrai. Tu sais, les politiques… Moi, faut que je gagne ma vie. Un ou l’autre… J’arrive de L. A., je viens de déposer des tonnes de t-shirts des Lakers [qui viennent de gagner le championnat de la NBA]. C’est notre business… »

On serait tenté de croire que tout le monde est à cran dans ce pays. Il y a encore bien des gens qui s’en foutent un peu. En 2016, pour l’élection présidentielle, seulement 55,5 % de la population en âge de voter s’est rendue aux urnes.