« Si Trump gagne l’élection, auriez-vous une chambre à louer au Canada ? »

J’ai souri à la boutade, mais Josh Harrison est resté de marbre. « Je suis sérieux. Ce n’est pas une blague. Je ne crois pas qu’on puisse tenir quatre années de plus… »

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Membre de l’organisation d’extrême droite Proud Boys muni d’une arme « à létalité réduite » en direction d’un rassemblement pro-Trump à Portland, dans l’Oregon

C’était en septembre, en Caroline du Nord. Josh Harrison, républicain déçu de Donald Trump, fier propriétaire de quatre armes à feu – dont un AK-47 ! –, me confiait avoir peur des lendemains de l’élection présidentielle.

Peur que Trump gagne.

Mais peur que Trump perde, aussi.

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Josh Harrison, républicain désenchanté de Caroline du Nord

« J’ai peur que ses fidèles descendent dans la rue pour protester. Je parle des miliciens d’extrême droite qui aiment se déguiser et exhiber leurs armes. En tout cas, moi, je n’irai pas dans un endroit public pendant quelques semaines après l’élection. »

C’est à ce point-là.

Il est convaincu, au point de se terrer chez lui tout le mois de novembre, que ça va mal finir.

Et il n’est pas le seul.

***

Selon un récent sondage YouGov, 56 % des électeurs américains s’attendent à une augmentation de la violence après l’élection du 3 novembre.

Sur le terrain, ça se sent.

L’angoisse est là, en filigrane. Elle tord le cœur de républicains comme de démocrates, d’hommes comme de femmes, de jeunes comme de moins jeunes.

Des gens profondément divisés, mais qui partagent la crainte de voir leur pays secoué pour la première fois de son histoire par un déchaînement de fureur postélectorale.

En Floride, j’ai croisé Suzy Batlle, fille d’exilés cubains, républicaine jusqu’au bout des ongles : « Si Trump gagne, il y aura des émeutiers qui brûleront et pilleront dans les rues… »

En Caroline du Nord, Tamara Kersey, membre du mouvement Black Lives Matter : « Je me prépare aux lendemains de l’élection. Il y a des politiciens qui disent que BLM est un groupe terroriste, que nous voulons couper les fonds à la police, que ce sera le chaos… »

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Tamara Kersey, membre du mouvement Black Lives Matter en Caroline du Nord

En Alabama, Jenna King-Shepherd, militante pro-choix : « La menace est réelle. Je ne sais pas ce qui va se passer après l’élection. Je ne sais pas ce qui va pousser quelqu’un à commettre un acte de folie. »

Elle sait au moins une chose : la violence peut éclater à tout moment, au coin d’une rue. « Il y a des gens vraiment fous. À Birmingham, des cliniques d’avortement ont déjà été la cible de bombes… »

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Jenna King-Shepherd, militante pro-choix de Birmingham, en Alabama

Mais ce n’est pas ce qui l’inquiète le plus.

« Ce qui se passe, dans notre pays, c’est que notre leader incite à la violence. Et ça, c’est terrifiant. »

* * *

« LIBÉREZ LE MICHIGAN », a tweeté Donald Trump, en avril.

Eh bien voilà, ils ont essayé.

Une bande de cinglés a fomenté un complot pour kidnapper la gouverneure démocrate du Michigan, Gretchen Whitmer. Pendant des mois, ils ont épié sa résidence. Ils se sont entraînés au combat. Ils ont tenté d’acheter des explosifs.

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Le 30 avril dernier, des manifestants armés sont entrés légalement dans le Capitole de l’État américain du Michigan où les parlementaires étaient réunis, pour exiger l’assouplissement des mesures de déconfinement mises en place pour lutter contre la propagation de la COVID-19.

Ils voulaient détenir la gouverneure dans un endroit secret et lui faire un « procès » pour trahison, selon le FBI, qui a déjoué le complot, jeudi.

On lit cette nouvelle et on se dit : ça va trop loin. Sûrement que Trump, cette fois, va condamner ces fanatiques. Sûrement qu’il va tendre la main à la gouverneure, tenter d’apaiser le climat de tension politique extrême…

Pensez-vous.

Le soir même, le président s’est acharné contre Mme Whitmer. Elle aurait pu le remercier plutôt que de le traiter de suprémaciste blanc, s’est-il lamenté. Et puis, les démocrates, eux, ne condamnent jamais les antifascistes qui brûlent des villes. Et puis, la gouverneure a fait un « job terrible » dans sa gestion de la pandémie. Et puis, elle devrait rouvrir son État, ses écoles et ses églises. Et puis, et puis, et puis…

Tout ça pianoté rageusement sur Twitter, à 21 h 30, par un président en convalescence, cloîtré à la Maison-Blanche.

* * *

Est-ce l’effet de la COVID-19 ? La frustration d’être donné perdant par les sondages ? En tout cas, pour pianoter, Donald Trump pianote, par les temps qui courent. Frénétiquement. ET EN MAJUSCULES, ça fait beaucoup plus sérieux, réfléchi et présidentiel.

Mercredi encore, le président délirait sur Twitter à propos d’un « coup d’État » ourdi par une « gauche radicale » prête à tout pour lui arracher le pouvoir.

Comment s’étonner, après cela, d’entendre des Américains évoquer le spectre d’une guerre civile ?

En plein débat télévisé, le président conseille à ses partisans d’extrême droite de reculer, mais de se tenir prêts. Comment s’étonner que des zélotes le prennent au mot ?

Donald Trump instille la peur à dessein. Il sème le doute sur l’intégrité de l’élection. Il dénonce une prétendue fraude dans le vote par correspondance. Et, si Joe Biden l’emporte, il refuse de s’engager à une transition pacifique.

Jamais, dans l’histoire des États-Unis, un candidat défait n’a refusé de concéder la victoire. Que se passera-t-il si Trump prétend que l’élection lui a été volée ? Si 0,1 % de ses partisans armés décident de se battre contre cette terrible injustice ?

C’est le genre de questions qui empêchent Josh Harrison, le républicain désenchanté, de dormir la nuit.

« C’est la première fois de ma vie que je suis inquiet, m’a-t-il confié. Je n’étais pas inquiet quand Barack Obama a gagné. Je me suis dit : bof, tant pis, un président démocrate… »

En 2016, il a voté Trump. Le 3 novembre, il votera pour un candidat démocrate pour la première fois. Il glissera son bulletin dans l’urne sans hésiter une seconde.

Puis, il croisera les doigts. Et se préparera au pire.