Quatre professeures de droit et un organisme américain ont déposé une poursuite jeudi contre l’administration Trump. Au cœur du litige se trouve un décret présidentiel imposant des sanctions aux hauts fonctionnaires de la Cour pénale internationale et à ceux qui la soutiennent.

« Quand le décret a été annoncé, c’était un choc, nous nous demandions tous : qu’est-ce qui vient juste de se produire ? a dit Natasha Arnpriester, avocate et agente de défense d’intérêts à l’Open Society Justice Initiative (OSJI). On voit des décrets comme ça qui visent des terroristes, habituellement. »

C’est elle qui a déposé la poursuite jeudi matin, au nom de l’OSJI et de quatre professeures.

La Cour pénale internationale (CPI), qui siège à La Haye, aux Pays-Bas, est dans la ligne de mire de Donald Trump depuis des mois. Sa colère vient d’une décision de la CPI d’autoriser en mars une enquête pour crimes de guerre et crimes contre l’humanité en Afghanistan.

En juin, le président avait autorisé des sanctions économiques contre les responsables de la CPI, s’attirant les foudres de nombreux organismes internationaux.

Avoirs gelés

Les mesures se sont concrétisées au début du mois de septembre, lorsque les États-Unis ont inscrit la procureure de la CPI, Fatou Bensouda, et le directeur de la division de la compétence, de la complémentarité et de la coopération, Phakiso Mochochoko, sur leur liste noire. S’ils ont des avoirs aux États-Unis, ceux-ci devaient être gelés.

PHOTO PETER DEJONG, ARCHIVES REUTERS

Fatou Bensouda, procureure de la Cour pénale internationale

« Nous ne tolérerons pas les tentatives illégitimes de la CPI de soumettre les Américains à sa juridiction », avait dit au début du mois de septembre le chef de la diplomatie américaine, Mike Pompeo.

Les personnes qui assistent la CPI s’exposent elles aussi à des sanctions.

Pour les collaborateurs de la CPI aux États-Unis, la situation est inquiétante. « Ma passion est de contribuer à la justice globale », a confié l’une des plaignantes de la poursuite, Margaret deGuzman.

On me dit maintenant que je ne suis pas autorisée à soutenir le travail de la CPI. Ça restreint sérieusement mes capacités à continuer de poursuivre cette passion, ça restreint ma liberté de parole, ma capacité d’enseigner.

Margaret deGuzman, plaignante

La Canadienne d’origine, installée aux États-Unis depuis un grand nombre d’années, est codirectrice de l’Institut droit international et de gouvernance publique de la Temple University, à Philadelphie. Elle a fourni des avis à la CPI dans certaines causes, concernant notamment des accusations au Darfour et en Côte d’Ivoire.

Jusqu’à la prison

Mme deGuzman a publié cette année un livre sur le droit pénal international. Elle espérait faire un lancement à la CPI, en compagnie du personnel de la Cour, mais a décidé de ne pas courir ce risque. Elle n’ose plus non plus entrer en communication avec le personnel de la CPI, comme elle le faisait avant dans le cadre de son travail.

Les personnes associées à la CPI s’exposent à des sanctions pouvant aller d’une amende à la prison.

Les plaignants contestent la constitutionnalité du décret, sur le plan de la liberté d’expression et en raison de termes trop généraux, disent-ils.

Le décret a été prononcé grâce, notamment, à la loi sur les urgences nationales.

« Je ne pense pas que cette peur [de poursuite par la CPI] justifie un décret, je ne peux pas imaginer comment on peut penser que c’est une urgence nationale », a commenté Mme deGuzman.

« Pas beaucoup d’options »

Les États-Unis, contrairement à plus de 120 pays, n’ont pas ratifié le traité régissant la CPI, qui traite les crimes contre l’humanité et les personnes accusées de génocide, notamment.

La Cour ne se substitue pas aux États de droit ; la CPI ne peut intervenir que si un pays n’a pas la capacité ou la volonté de mener une véritable enquête et de poursuivre les auteurs de crimes. Mme deGuzman s’explique d’autant moins la réaction de l’administration Trump que les États-Unis ne seraient vraisemblablement pas visés par la CPI.

MArnpriester craint une application difficile, en raison de termes trop larges.

Pour nous, c’est une cause vraiment importante, ça nous empêche de faire une partie de notre travail.

Natasha Arnpriester, avocate et agente de défense d’intérêts à l’Open Society Justice Initiative

Ce n’est pas la première poursuite que l’Open Society Justice Initiative lance contre l’administration Trump et diverses agences gouvernementales. Quatre poursuites sont en cours, dont une demandant de la transparence dans la réponse contre la COVID-19.

Les décrets présidentiels ont une durée d’application d’un an, après quoi ils peuvent être reconduits ou non. MArnpriester a bon espoir que la cause sera entendue dans les prochains mois. Le président – peu importe qui sera élu en novembre – peut aussi annuler le décret.

« Il n’y avait pas beaucoup d’options, a expliqué MArnpriester à propos de la décision de déposer une poursuite. Soit on s’y soumet – ou on essaie, parce que ça reste vague –, soit on le conteste devant la cour. »

— Avec l’Agence France-Presse